Mémoires de Mr. d'Artagnan. Gatien Courtilz de Sandras

Читать онлайн.
Название Mémoires de Mr. d'Artagnan
Автор произведения Gatien Courtilz de Sandras
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066083182



Скачать книгу

& qui ne me paroissoit pas trop riche, je ne voulois pas avoir à me reprocher de lui avoir fait dépenser un sol pour l'amour de moi.

      Mon argent fut rendu fidelement à Montigré, d'abord qu'il eut écrit une Lettre à son ami. Montigré ne s'attendoit pas à le ravoir sitôt, & peut-être même à le ravoir jamais. Il savoit combien il étoit rare de recevoir des lettres de change de mon pais, & sur tout à un pauvre gentilhomme tel que j'étois. Richard, c'est le nom de l'homme qui me rendit ce service, avoit prié son ami de lui renvoyer le billet que j'avois fait à Montigré. Il me le remit entre les mains pour marque qu'il avoit eu soin d'executer ce dont je l'avois prié. Je le remerciai de la peine qu'il en avoit bien voulu prendre, quoi que je ne fusse pas à le faire, & que je m'en fusse acquitté dès le moment que je lui avois fait cette priere. Je mis ce billet dans ma poche, au lieu de le dechirer comme je devois, & l'ayant perdu ou le même jour ou le lendemain, en tirant peut-être mon mouchoir ou bien en prenant autre chose, je ne m'apperçus de sa perte que deux ou trois jours après. Je le dis à Richard qui me blama du peu de soin que j'en avois eu, & comme il vit que cela m'inquietoit comme si j'eusse prevû ce qui m'en devoit arriver un jour, il tâcha de m'en consoler. Il me dit que quand même quelqu'un le trouveroit, il ne m'en pouvoit arriver d'accident, que premierement je n'étois pas en âge pour faire un billet, & que secondement étant sous le nom de Montigré, il n'y avoit point de friponnerie à faire là dessus, à moins qu'il n'en fut de moitié avec quelqu'un; que j'avois dû reconnoître au procedé qu'il avoit tenu avec moi qu'il étoit honnête homme, mais que s'il avoit encore besoin, avec cela d'une caution pour me le certifier, il lui en serviroit en tout tems, & en tout lieu, quoi qu'il ne s'en reconnût pas capable.

      Cette dernière raison me toucha plus que la premiere, à laquelle j'avois mis obstacle moi même par un excès de delicatesse. Comme il savoit aussi bien que cet Aubergiste que je n'étois pas en âge de pouvoir m'obliger valablement, je n'étois engagé dans ce billet à en payer le contenu que parole d'honneur, ainsi il n'y avoit point là de minorité à alleguer pour s'exempter du payement, puis que les Maréchaux de France devant qui l'on faisoit venir pour l'éxecution de ces sortes de billets condamnoient & jeunes & vieux également, quand on étoit de si mauvaise foi que de ne le pas vouloir payer. J'avois appris cela d'une affaire que mon pere avoit euë devant eux, où il étoit porteur d'un semblable billet; ainsi je m'étois servi de ma propre connoissance contre moi même, parce que je croyois que quand on avoit bien envie de payer il devoit être indifferent ou de se bien lier ou de ne se point lier du tout.

      Cette circonstance entretint donc mon inquietude pendant quelques jours, mais comme il n'y a rien que l'on n'oublie à la longue, je n'y songeai plus au bout de quelque tems. Je tachai cependant de remplir mon devoir de Soldat tout du mieux qu'il me fut possible. Je trouvai Besmaux dans la même compagnie où j'étois. C'étoit un homme tout d'un autre humeur que moi, & nous ne nous ressemblions en rien ni l'un ni l'autre, si ce n'est que nous étions tous deux Gascons. Il n'y avoit rien effectivement de plus opposé que nos manieres d'agir. Il avoit de la vanité au delà de l'imagination. Il eut voulu presque que nous l'eussions crû de la côte de St. Loüis, tant il s'en faisoit accroire: tout cela n'étoit fondé cependant que sur ce qu'il étoit plus vain que les autres, quoi qu'il ne vallut pas mieux. Le nom de Besmaux qu'il portoit étoit le nom d'une petite metairie qui étoit plus chargée de taille qu'elle n'apportoit de revenu; mais comme lors que l'on s'entête une fois de vouloir paroître plus que l'on est, l'âge n'a guerres de coûtume de reformer ce deffaut, il fit porter le nom de Marquisat à cette chaumiere d'abord qu'il devint en fortune.

      Pour moi je fus toûjours mon chemin sans vouloir paroître plus que je n'étois. Je savois que je n'étois qu'un pauvre Gentilhomme: je vécus donc comme je devois faire, sans vouloir ni me relever au dessus de mon état ni me rabbaisser au dessous de ceux qui n'étoient pas plus que moi. J'avois peine ainsi à souffrir que Besmaux se donnât des airs de grandeur en vantant le nom de Montlesun qu'il portoit. C'étoit à la verité un nom qui étoit assez beau, mais comme tout le monde ne convenoit pas trop qu'il lui appartint, je me crus obligé de lui dire, & comme son camarade & comme son ami, que toute cette vanité lui faisoit plus de tort que de bien. Il receut mal mon compliment, & l'attribuant moins au desir que j'avois de lui rendre service, qu'à une certaine jalousie qu'il se figuroit que j'eusse conçuë aussi-bien que les autres Cadets de ce qu'il pretendoit s'élever au dessus de nous, il ne me regarda plus que comme un homme qui lui devoit être suspect, bien loin de prendre la moindre confiance en lui. Il avoit aussi cela de ridicule que sans considerer ses forces qui ne pouvoient pas être moindres qu'elles étoient, il vouloit imiter ceux qui avoient des ailes pour voler: s'il voyoit quelque nouvelle mode, il en prenoit aussi-tôt quelque chose, sans considerer qu'il y avoit plûtôt de l'extravagance à le faire qu'il ne pouvoit y avoir ni de raison ni de bon sens. Il pretendoit pourtant le contraire sans prendre garde qu'il s'en rendoit ridicule à tout le monde. Je me souviens là-dessus d'une chose qu'il fit, qui fit bien rire non seulement toute nôtre Compagnie, mais encore tout le Regiment. Nous étions alors à Fontainebleau où il étoit logé chez une hôtesse qui eut quelque bonne volonté pour lui. Il en profita tout autant qu'il pût, mais comme elle n'étoit pas riche, ce qu'il en tira ne se reduisit qu'à peu de chose. Il ne s'amusa point à en remplir son ventre, comme font quantité de nations qui aiment mieux l'avoir plein, que d'avoir toute la magnificence du monde sur leur dos. Il avoit cela de commun avec tous les Gascons qu'il croyoit devoir pratiquer le proverbe qui dit ventre de son & habit de velours. Ainsi il mit sur lui, tout ce qu'il avoit pû tirer de cette femme sans se mettre en peine de tout le reste. Il se donna un habit dont il avoit assez de besoin, parce que quoi qu'il eut celui de Soldat comme les autres, la coutume des Cadets étoit d'en avoir un distingué de ceux du commun. Pour moi c'est à quoi je n'avois pas manqué, & je m'en étois donné un assez beau de l'argent que le Roi m'avoit donné: J'y en avois employé une partie & j'étois bon ménager du reste, sachant qu'il falloit garder une poire pour la soif.

      Au reste comme on commençoit à porter en ce tems là des baudriers en broderie d'or qui coutoient huit ou dix pistoles, & que les finances de Mr. de Besmaux ne pouvoient pas atteindre jusques là, il prit le parti de se faire faire le devant d'un baudrier de cette façon, & le derriere tout uni. Il affecta cependant, afin qu'on n'en vit pas le defaut, de porter un manteau, sous prétexte d'une feinte incommodité, ainsi n'en étalant aux yeux du monde que le devant, il n'y eut personne qui ne crut pendant deux ou trois jours, qu'il avoit donné dans l'étoffe tout aussi bien que les autres. Mais le tour de nôtre Compagnie étant venu de monter la Garde au bout de ce tems là, & Besmaux ayant endossé un autre baudrier que celui que nous venions de lui voir, parce qu'il ne pouvoit pas là porter de manteau, il y eut un de mes camarades nommé Mainvilliers qui ne pouvoit souffrir sa vanité non plus que moi, qui me dit qu'il parieroit sa tête que son baudrier en broderie n'avoit point de derriere. Je lui répondis que cela n'étoit pas croyable, & qu'il étoit trop sage pour s'exposer à la raillerie qu'il s'attireroit par là, si cela venoit jamais à être reconnu. Il me repliqua que j'en pouvois croire tout ce qu'il me plaisoit, mais que pour lui il demeureroit dans sa pensée jusques à ce qu'il eut lieu de s'en desabuser. Qu'il ne tarderoit pas long tems à le faire, & que ce seroit alors que l'on verroit qui auroit raison de lui ou de moi. Nôtre garde étant descenduë Besmaux continua toûjours de feindre d'être incommodé pour avoir pretexte de prendre son manteau. Il ne vouloit pas perdre sitôt l'étalage de son baudrier, & comme il ne le pouvoit porter sans cela, il étoit bien aisé pendant que c'en étoit la mode de faire voir à tout le monde qu'il n'étoit pas homme du commun. Il craignoit qu'elle ne vint à changer par l'inconstance à laquelle nôtre nation est sujette. Il savoit qu'elle est fort grande, & que nos ennemis n'ayant guéres d'autre défaut à nous reprocher, que celui là ne manquaient pas de nous en faire le plus souvent un sujet de mepris.

      Mainvilliers qui étoit un éveillé & qui ne demandoit pas mieux qu'à rire & à faire rire les autres, voyant qu'il avoit repris son manteau, & cela le confirmant plus que jamais dans sa pensée, dit à cinq ou six de nos Camarades, qui se moquoient aussi bien que lui de Besmaux, tout ce qu'il pensoit là-dessus. Ils n'y avoient pas songé, jusques-là, & je n'y eusse pas songé non plus qu'eux, si ce n'est qu'il nous rebatoit toûjours la même chose. Mais ce qu'il nous faisoit remarquer me faisant entrer à la fin dans son sentiment, il y en