Название | Mémoires de Mr. d'Artagnan |
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Автор произведения | Gatien Courtilz de Sandras |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066083182 |
Mr. du Hallier fut bien honteux quand il s'entendit faire ces reproches, il eut bien voulu retenir alors la parole qui les lui avoit attirez, mais n'en étant plus tems il envoya avertir, sous main, son parent de se préparer à recevoir une grande mercuriale de Sa Majesté, & en effet ce Colonel étant venu pour la saluer, après la reveuë de son Regiment, un tel, lui dit le Roi Mr. du Hallier me vient de dire que vous aviez bien de l'esprit, je lui ai répondu que je le croyois de bonne foi, mais qu'il falloit aussi qu'il crut avec moi, que vous aviez bien peu de service, ou que vous aviez bien mal profité du tems que vous y avez employé: où avez-vous jamais appris qu'un Colonel dût defiler devant moi, la botte levée. Sire lui répondit le Colonel, je n'ai sû que vôtre Majesté vouloit voir mon Regiment, que lors que je n'avois plus le tems de me débotter, j'étois déja aux portes de la Ville, ainsi je n'ai eu que celui de prendre ma pique; d'ailleurs qui eut cru que vôtre Majesté, parmi la chaleur & la poussiere qu'il fait aujourd'hui, eut voulu se donner la peine qu'elle se donne presentement. Croyez-moi, lui repliqua le Roi, quelque esprit que vous ayez, vous vous tirerez mal de cette affaire, il vaut bien mieux vous taire que de parler si mal à propos, c'est le meilleur conseil que j'aye à vous donner. Ce Colonel qui étoit fort en bouche, répondit au Roi qu'il n'avoit plus garde de s'excuser, puis que sa Majesté ne le trouvoit pas bon; mais que quelque grande que put être sa faute, elle avoit servi du moins à lui témoigner le premier l'admiration, ou tout le monde devoit être aussi bien que lui, de voir le plus grand Roi de la Chrêtienté à cheval, dans un tems où chacun ne demandoit qu'à se mettre à l'abri du grand chaud & des autres incommoditez de la saison.
Ses flatteries ne lui servirent de rien, non plus que son chagrin contre son Major, qu'il fût lui avoir fait cette piece. Il tâcha inutilement de le faire casser aussi-bien que quelques Officiers de son Regiment, qu'il soupçonnoit d'avoir eu part avec lui à l'affront qu'il venoit de recevoir. Ce n'est pas que les Colonels en ce tems-là, n'eussent une grande authorité sur leurs Capitaines, mais enfin quand les Capitaines étoient reconnus pour braves gens, & qu'ils avoient des amis, s'il arrivoit aux Colonels de vouloir entreprendre quelque chose contr'eux, ils se liguoient tous contre lui; le démenti lui en demeuroit ainsi le plus souvent, parce que la Cour ne jugeoit pas à propos, pour satisfaire à la passion d'un seul, d'ôter de leurs postes des gens qui y servoient bien.
Le Roi fit reveuë pareillement de toutes les autres Troupes qui arriverent dans le camp, que l'on avoit formé à un quart de lieuë d'Amiens. Il en fila bien ainsi, jusques à quinze ou seize mille hommes, entre lesquels étoit comprise la Maison du Roi. Quand elles furent toutes assemblées, nous nous mîmes en marche pour aller à Dourlens avec le convoi que nous y devions escorter. Nous n'y arrivâmes qu'en deux jours, à cause de la quantité de charettes que nous avions à conduire, & que quelque bon ordre que l'on puisse donner dans une marche comme celle là, elles ne laissent pas toûjours d'embarasser. Nous y prîmes l'autre convoi, que l'on y preparoit de longue main, & ayant marché le long des bois qui sont de la dependance de la Comté de St Paul, nous ne pûmes faire que deux lieües ce jour-là. Nous n'en fîmes guéres davantage le lendemain, quoi que nous partissions beaucoup plus matin que nous n'avions fait le jour precedent. La raison est, que les ennemis qui avoient resolu de nous donner une fausse alarme, pour couvrir le dessein qu'ils avoient de forcer les lignes des assiegeans, avoient jetté de l'Infanterie dans les bois qui regnent là à droit & à gauche. Elle parut en divers endroits, comme si elle eut eu dessein de faire de grandes choses: nous nous contentâmes de la repousser avec de petits pelottons à mesure qu'elle paroissoit, sans nous mettre autrement en peine de la deffaire. Mr. du Hallier considera que ce n'étoit pas là de quoi il étoit question pour lui, & que pourveu qu'il put conduire son convoi à bon port, c'étoit tout ce que la Cour lui demandoit.
Nous campâmes ce jour-là entre deux bois, & nous allumâmes de grands feux dans nôtre camp, qui avoit pour le moins une lieuë de long, car comme la plaine est extrémement serrée en cet endroit, à cause des bois qui y sont à droit & à gauche, il falloit bien de toute nécessité se conformer à l'incommodité du terrain. Les ennemis pour faire toûjours acroire de plus en plus qu'ils ne laisseroient pas passer le convoi sans coup ferir, avoient envoyé de ce côté-là quelques petites pieces de campagne. Ils nous en batirent toute la nuit, mais sur nôtre gauche seulement, parce qu'ils en avoient les derrieres plus libres que sur nôtre droite, où nous les eussions pû couper. Nous avions fait un parc de toutes nos charettes, de sorte que quand même les ennemis eussent été plus forts qu'ils n'étoient, il ne leur eut pas été bien facile de nous y forcer. Leurs petites pieces de campagne nous tuerent quelques chevaux, mais ayant été remplacez le lendemain par d'autres, que les munitionnaires tenoient tout prêts, nous arrivâmes à la fin à la veuë de nos lignes.
Les ennemis s'étoient postez entre deux, pour nous empêcher le passage, ce qui nous obligea de nous retrancher, de peur qu'ils ne nous tombassent tout d'un coup sur les bras. Ils vinrent même nous reconnoître pour nous faire toujours acroire de plus en plus que c'étoit à nous qu'ils en vouloient, mais après nous avoir ainsi amusés pendant deux jours, ils firent éclore à la fin leur dessein par l'attaque d'un Fort, que le Comte de Rantzau, qui fut depuis Marêchal de France, avoit élevé pour la seureté de nos lignes. Ce Comte étoit un bon homme de Guerre, & n'eut peut-être pas eu son pareil pour bien des choses, s'il eut été moins adonné au vin qu'il l'étoit. Mais autant qu'il étoit actif & vigilant, quand il étoit de sang froid, autant étoit-il assoupi & incapable de rien faire, quand il avoit une fois dix ou douze bouteilles de vin de Champagne sur l'étomach, car il ne lui en falloit pas moins pour l'abatre, & quand il n'en avoit que la moitié il n'y paroissoit, non plus que quand il tombe une goute d'eau dans la mer. Le Cardinal Infant qui avoit de bons espions, par lesquels il avoit appris le bon & le mauvais de tous nos Generaux, sachant qu'il avoit cette inclination, avoit toûjours depuis le commancement du siege, qui duroit dès près de deux mois, entreprit d'attaquer son quartier préférablement à tout autre, quoi qu'il fut peut-être le plus fort, mais le peu de resistance qu'il pretendoit y trouver s'il y prenoit bien son tems, lui en ayant applani toutes les difficultés, il avoit toûjours persisté jusques là dans la même resolution, sans que rien l'en eut pû retenir.
Rantzaw qui s'étoit apperçu de son dessein, s'étoit empêché de faire aucune debauche, tant qu'il avoit cru qu'il y avoit du danger pour lui. Il s'étoit tenu à cheval & jour & nuit, pour lui ôter toute esperance d'y réüssir. Il avoit même perfectionné ce Fort d'une maniere, qu'il sembloit que c'étoit entreprendre l'impossible, que de le vouloir emporter, à la veuë d'une Armée telle qu'étoit celle des trois Marêchaux. Mais enfin Rantzaw qui avoit toûjours été jusques là si bien sur ses gardes qu'il en avoit édifié toutes les Troupes, commençant à croire que toute la vigilance qu'il pouvoit avoir dorésenavant lui seroit inutile, puis que le Cardinal Infant ne songeoit plus qu'à attaquer nôtre convoi, il en revint tout aussi-tôt à son vomissement. Il fit une debauche, où il appella les principaux Officiers de deux Regimens qu'il avoit, l'un d'Infanterie & l'autre de Cavalerie. Ils étoient campez tous deux auprès de lui, & étoient composez de personnes de sa Nation. Car la Cour n'avoit pas alors la Politique que je lui ai remarquée depuis, savoir de ne pas laisser le commandement à des étrangers, lors qu'ils étoient Officiers Generaux des Troupes qui leur appartenoient, de peur qu'ils n'en abusassent, ou qu'ils ne se rendissent trop puissans. Il est bien vrai qu'on a toûjours laissé leurs Regimens à des Brigadiers, comme on fit à Konisgmark, la premiere année de la Guerre de Hollande; mais quand ils ont été ou Lieutenans Generaux, ou Marêchaux de Camp, ou on les a obligez de s'en défaire, ou l'on a envoyé ces Regimens servir ailleurs, que là où ils devoient servir eux-mêmes, afin de prendre toutes ses précautions.
Quoi qu'il en soit Rantzaw ne fut pas plûtôt à table que les espions du Cardinal Infant, qui savoient qu'il n'en sortiroit pas sitôt, en furent avertir ce Prince. Il n'y avoit pas loin d'un camp à l'autre, ainsi comme il ne lui falloit pas bien du tems pour arriver au fort, qu'il