Mémoires de Mr. d'Artagnan. Gatien Courtilz de Sandras

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Название Mémoires de Mr. d'Artagnan
Автор произведения Gatien Courtilz de Sandras
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066083182



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dit qu'il étoit allé au Louvre, ce qu'il eut peine à croire, parce que, comme j'ai déja dit, il ne se soucioit pas autrement d'aller faire sa Cour à Sa Majesté. Il avoit même accoutumé de dire qu'une des choses du monde qui lui faisoit croire qu'il étoit plus heureux que les autres, c'est qu'il avoit toûjours mieux aimé sa Maison de Touars que le Louvre, de sorte qu'il avoit plus de trente-cinq ans devant qu'il eut jamais vu le Roi. La Religion Protestante dont il faisoit profession étoit cause qu'il haissoit le métier de Courtisan, il savoit que le Roi n'aimoit pas ceux qui en étoient; il savoit dis-je qu'il se contentoit de les craindre & cela est si vrai, que le Roi d'aujourd'hui parlant un jour à des gens de cette Religion, qui avoient la hardiesse de lui remontrer que la rigueur de ses édits ne repondoient pas à leurs espérances, c'est, leur repliqua-t-il, que vous m'avez toûjours regardé comme le Roi mon Pere, & comme le Roi mon grand Pere: Vous avez cru sans doute que je vous aimois comme faisoit l'un ou que je vous craignois comme faisoit l'autre, mais je veux que vous sachiez que je ne vous aime ni ne vous crains.

      Le Duc de la Trimouille avoit déja parlé au Roi quand Cavois arriva, & lui avoit confirmé tout ce que Treville lui avoit dit. Sa Majesté ne fut plus en colere après cela contre ses Mousquetaires; mais le Cardinal y fut beaucoup contre Cavois, de ce qu'il avoit si mal executé ses ordres. Il lui dit qu'il devoit plûtôt attendre le Duc chez lui pendant toute la nuit, que de le manquer, comme il avoit fait; qu'ils eussent pris des mesures ensemble pour perdre un petit Gentillâtre qui s'en faisoit si fort accroire que d'oser toûjours lui resister; qu'il ne le lui pardonneroit de sa vie; qu'il eut à se retirer de devant ses yeux, & à ne s'y jamais presenter sans ses ordres. Cavois qui connoissoit l'humeur de son maître, ne voulut lui rien repliquer, de peur qu'étant innocent comme il l'étoit, il ne se rendit coupable en voulant lui faire connoître son injustice; il s'en retourna chez lui tout chagrin, & sa femme qui avoit bien autant d'esprit que lui, voulant savoir ce qu'il avoit fait, n'en eut pas plûtôt connoissance qu'elle lui dit en même tems qu'il se laissoit là abbattre de peu de chose, qu'il y avoit du remede à tout hors à la mort, & que devant qu'il fut trois jours elle le remettroit mieux avec son Eminence qu'il n'y avoit jamais été. Il lui repliqua qu'elle ne la connoissoit pas, qu'elle étoit têtue comme une mulle, & que quand elle prenoit une fois quelqu'un en aversion il n'y avoit pas moyen, quoi que l'on peut faire, de l'en faire jamais revenir. Madame de Cavois lui répondit qu'elle connoissoit tout aussi-bien que lui de quoi ce Ministre étoit capable, qu'ainsi il n'avoit que faire de se mettre en peine comment elle s'y prendroit pour le mettre à la raison, qu'elle en faisoit son affaire, & que comme elle n'entreprenoit jamais rien dont elle ne vînt à bout, il n'avoit plus qu'à dormir eu repos.

      Cette Dame effectivement faisoit une partie de ce qu'elle vouloit à la Cour, & faisoit rire souvent ce Ministre, lors qu'il n'en avoit point d'envie. Ce n'étoit pas cependant ni par des traits de femmes ni par des railleries fades, telles qu'on en voit souvent dans la bouche des Courtisans, qu'elle faisoit toutes ces merveilles. Tout ce qu'elle disoit étoit assaisonné d'un certain sel qui contentoit les plus difficiles en même tems qu'il repandoit une certaine estime pour elle qui faisoit qu'on ne se pouvoit plus passer de sa Compagnie. Son mari qui étoit redevable à son adresse d'une partie de sa fortune, se jetta entre les bras pour se tirer du mauvais état où il étoit: elle lui dit alors que puis qu'elle l'avoit amené au point qu'elle desiroit, il n'avoit plus maintenent qu'à bien executer ce qu'elle lui alloit recommander; qu'il se mit dans son lit, qu'il y fit bien le malade, & qu'il dit à tous ceux qui le visiteroient ou qui viendroient de la part de quelqu'un pour lui demander des nouvelles de sa santé, qu'elle ne pouvoit pas être en plus mechant état qu'elle étoit, qu'il affectat cependant de ne parler à personne, que le moins qu'il pourroit, & que quand il y seroit obligé il ne le fit que d'une voix engagée, & comme un homme qui auroit une oppression de poitrine.

      Pour elle, elle se tint tout le jour comme elle étoit au sortir de son lit, & tout de même que si la feinte maladie de son mari l'eut mise hors d'état de songer à son ajustement. Cet homme qui avoit beaucoup d'amis comme en ont tous ceux qui ont quelque faveur auprès du Ministre, car il avoit toûjours été fort bien avec lui, ne manqua pas de visites, quand le bruit de son mal se fut répandu par la Ville. Ils savoient bien pourtant les paroles que le Cardinal lui avoit dites; ce qui étoit plus que capable selon la coutume des courtisans de lui faire perdre leur amitié. Mais comme ils esperoient que sa disgrace ne dureroit pas, sur tout n'ayant rien fait qui pût le perdre dans l'esprit de son Eminence, ils continuerent d'en user avec lui comme ils avoient accoutumé. Le Cardinal qui venoit d'essuyer de grosses paroles du Roi qui lui avoit reproché qu'il n'avoit pas tenu à lui, par ses faux rapports, qu'il n'eut cassé Treville & sa Compagnie de Mousquetaires, étoit encore plus en colere que jamais contre Cavois. Ainsi apprenant que sa maison ne desemplissoit point de monde, il dit tout haut devant mille personnes, qu'il s'étonnoit grandement qu'on eut si peu de consideration pour lui, que d'aller visiter un homme qu'il jugeoit digne de son ressentiment. Ces paroles suffirent pour rendre la maison du feint malade tout aussi deserte qu'elle étoit frequentée auparavant. Madame de Cavois en fut ravie, parce qu'elle avoit peur que quelqu'un reconnut sa feinte, & qu'il n'en allât rendre compte au Cardinal. Cependant ses parens ne croyant pas que cette defense s'étendit sur eux, aussi particulierement que sur les autres, y envoyerent du moins des laquais, s'ils n'y osérent plus aller: ces laquais leur rapporterent ce que Madame de Cavois leur disoit, tantôt elle même quand ils montoient jusques dans son anti-chambre, & tantôt ce qu'on leur disoit à la porte quand ils ne prenoient pas la peine d'y monter. Toutes ces nouvelles ne pouvoient cependant être plus tristes qu'elles l'étoient; le malade se portoit, toûjours à ce qu'on disoit de moment à autre, de plus mal en plus mal, & afin qu'on le crut mieux dans le monde Madame de Cavois fit venir chez elle le premier Medecin du Roi, afin qu'il dit ce qu'il pensoit de son mal: elle ne risquoit pas beaucoup en faisant cela, jamais il n'y avoit eu de medecin plus ignorant que lui, ce qu'on reconnut si bien à la fin à la Cour qu'il en fut chassé honteusement. Au reste pour le mieux tromper, elle fit apporter dans la chambre de son mari le sang d'un de ses laquais qui étoit malade d'une pleuresie, & lui fit accroire que c'étoit le sien. Il ne falloit pas être trop habile pour décider que ce sang ne valloit rien il hocha la tête en le voyant, comme pour lui dire d'un ton misterieux qu'il y avoit là bien du danger. Madame de Cavois fit en même temps la pleureuse, métier qu'elle savoit naturellement, comme savent la plûpart des femmes & qu'elle avoit encore étudié avec beaucoup de soin, afin de s'en servir en tems & lieu.

      Peu s'en fallut que Bouvard, c'étoit le nom de ce médecin, ne pleurât de même quand il lui vit verser des larmes, & accompagner de mille sanglots le recit qu'elle lui faisoit de sa maladie. Il voulut tâter cependant le poux du malade, & il crut qu'il étoit tout en sueur, parce qu'il avoit dans son lit un petit vase d'eau tiede, dont il avoit arrosé sa main, jusques au dessus du poignet, afin de faire accroire la même chose à tous ceux qui auroient la curiosité de le vouloir tâter. On en avoit même repandu quelques gouttes sur une aleze dont on lui fit accroire qu'on avoit enveloppé le malade, & comme on l'avoit laissée ressuyer dans le lit, elle n'étoit plus que moette, afin qu'il donnât plûtôt dans le panneau. Il sentit cette aleze, & trouva à ce qu'il disoit que ce qui causoit sa moetteur sentoit extremement mauvais. Il tira encore des inductions delà que cette maladie étoit très dangereuse, & étant sorti de cette Maison, il en repandit le bruit par toute la Cour. M. le Cardinal le sut comme les autres, sans en paroître autrement touché, quoi qu'il le fut dans le fonds. Il crut que pour soutenir le caractere d'un grand Ministre, comme il étoit, il ne devoit pas changer sitôt de sentiment, qu'aussi bien cela lui seroit tout à fait inutile, s'il venoit à mourir, & que s'il en réchapoit il feroit toûjours bien sa paix avec lui.

      Pendant que cela se passoit le Roi, qui, du même moment qu'il avoit été desabusé, avoit rendu son amitié à Mr. de Treville & lui avoit redit de nous amener les trois freres & moi dans son Cabinet, comme il le lui avoit commandé auparavant. La nouvelle action que je venois de faire lui donnoit encore plus d'envie de me voir que jamais. Mr. de Treville nous y conduisit dés le même jour que le Duc de la Trimouille avoit confirmé à sa Majesté ce qu'il lui avoit dit. Le Roi me trouva extrémement jeune pour avoir fait ce que j'avois fait, & me parlant avec beaucoup de bonté, il dit à Mr. de Treville de me mettre Cadet dans la Compagnie de son beau Frere qui étoit Capitaine aux