Mémoires de Mr. d'Artagnan. Gatien Courtilz de Sandras

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Название Mémoires de Mr. d'Artagnan
Автор произведения Gatien Courtilz de Sandras
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066083182



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qui parurent furent les amis du Garde, dont bien lui prit assurément: je le serois de prés, & comme je lui venois encore de donner un coup d'épée dans la cuisse, il ne songeoit plus qu'à gagner l'hôtel de la Trimouille pour se sauver, quand leur presence lui donna quelque relâche. Au reste ses amis le voyant en cet état, mirent l'épée à la main en même tems, pour empêcher que je n'achevasse de le tuer; peut-être même ne se fussent-ils pas arrêtez-la, & qu'ils eussent converti leurs armes défensives en armes offensives, sans la venuë d'Athos, de Porthos & d'Aramis. Tout l'hôtel de la Trimouille se souleva en même tems contre nous, sçachant que le blessé étoit parent de leur Ecuyer, & nous en eussions été sans doute accablez, si ce n'est qu'Aramis commença à crier, à nous Mousquetaires. On accouroit assez volontiers au secours des gens, quand on entendoit ce nom là, les demêlez qu'ils avoient avec les Gardes du Cardinal, qui étoit haï du peuple, comme le sont presque tous les Ministres, quoi que le plus souvent l'on ne sçache pas trop pourquoi on les hait, faisoit que presque tous les gens d'épée, & tous les Soldats aux Gardes prenoient volontiers parti pour eux, quand ils en trouvoient l'occasion. Au reste un particulier, qui avoit plus d'esprit que les autres, étant venu à passer justement dans ce tems là, crut qu'il nous rendroit bien plus de service, s'il couroit promptement avertir chez Mr. de Treville, de ce qui se passoit, que s'il s'amusoit à mettre l'épée à la main pour nous secourir. Par bonheur pour nous, il y avoit alors une vingtaine de Mousquetaires dans la Cour, qui attendoient qu'il revint de la Ville, sur ce que le Portier leur avoit dit, qu'il ne serait pas long-tems sans arriver. Ils accoururent tout aussi-tôt où nous étions, & ayant reconnu les gens de Mr. de la Trimouille dans son hôtel, les amis de celui à qui j'avois affaire, furent trop heureux de s'y retirer, sans regarder seulement derriere eux. Pour le blessé, il y étoit déja entré, il y avoit quelque tems, & n'étoit pas en trop bon état, le coup qu'il avoit reçu dans le corps, étoit très-dangereux, & voila ce que lui avoit attiré son imprudence.

      L'insolence qu'avoient eu les Domestiques de l'hôtel de la Trimouille, de faire une sortie sur nous, comme ils en avoient fait une, fit que quelques uns de ces Mousquetaires qui étoient venus à nôtre secours, mirent en deliberation de mettre le feu à la porte de cet hôtel, pour leur apprendre une autrefois de ne se pas mêler de ce qu'ils n'avoient que faire: mais Athos, Porthos & Aramis avec quelques autres, qui étoient plus sages qu'eux, leur ayant remontré que tout ce qui venoit de se passer, n'étant qu'à la gloire de la Compagnie, il ne falloit pas par une action aussi indigne que celle-là, donner sujet au Roi de les blâmer, ils se rendirent à son conseil, qui étoit bien plus sage que le leur. Nous avions tout lieu effectivement d'en être contens; outre le Garde du Cardinal, que j'avois mis en l'état que je viens de dire, il y avoit encore deux de ses amis qui étoient blessés: Athos & Aramis leur avoient donné chacun un bon coup d'épée, & ils en avoient tous trois pour plus d'un mois à demeurer dans le lit, supposé toutefois que le Garde ne mourut pas de ses blessures. Nous nous en retournâmes après cela chez Mr. de Treville, qui n'étoit pas encore de retour. Nous l'attendîmes dans sa salle, chacun me venant faire compliment sur ce que j'avois fait. Ces commencemens étoient trop beaux, pour n'en être pas tout à fait charmé. Je me promettois même déja une grande fortune, quand je ne fus guéres à voir, qu'il me falloit beaucoup déconter. J'expliquerai cela dans un moment, mais il faut auparavant que j'achève cette journée, afin de faire toutes choses par ordre.

      Mr. de Treville étant venu bientôt après cela, Athos, Porthos & Aramis le prièrent de leur vouloir donner un petit mot d'audience en particulier, parce qu'ils avoient des choses de consequence à lui dire. Quand même ils ne se seroient pas servi de ce mot, pour lui annoncer quelle étoit la nature de celle dont ils avoient à l'entretenir, il eut bien reconnu à leur visage, qu'ils étoient plus intrigués qu'à l'ordinaire. Il les fit passer en même tems dans son cabinet, pour les entendre, & lui ayant demandé permission de m'y faire entrer avec eux, parce que ce qu'ils avoient à lui dire me regardoit plus que personne, ils ne l'eurent pas plûtôt obtenue, que je les y suivis. Ils lui dirent là ce qui venoit de m'arriver, & comment j'avois soutenu l'honneur de la Compagnie qu'un garde du Cardinal, avoit osé attaquer insolemment, sans qu'on lui en eut donné aucun sujet. Mr. de Treville fut ravi que je l'en eusse si bien puni, & sçachant qu'il y avoit encore deux de ceux qui avoient voulu le défendre qui étoient blessés, il envoya prier Mr. le Duc de la Trimouille de ne point donner retraitte à des gens, qui s'en montraient si indignes par leur procedé. Il lui demanda même justice de la sortie que ses gens avoient faite sur nous. Mr. de la Trimouille qui étoit prévenu par son écuyer, le lui envoya à son tour, pour lui dire que c'étoit à lui à se plaindre, & non pas à ses Mousquetaires; qu'après avoir assassiné devant sa porte un Garde de Mr. le Cardinal, qui étoit parent d'un de ses principaux domestiques, ils y avoient encore voulu mettre le feu; qu'ils avoient même blessé deux autres personnes qui les avoient voulu separer; de sorte que s'il ne punissoit les autheurs de ce desordre, il n'y auroit plus personne qui fut en sureté chez soi. Mr. de Treville entendant parler cet écuyer de la sorte, lui dit que son Maître ne l'en devoit pas croire, puis qu'il étoit trop interessé; qu'il sçavoit bien comment la chose s'étoit passée, & que des gens tout aussi croyables que lui, & qui en avoient été témoins la lui avoient racontée. Il s'en fut en même temps chez le Duc & m'y mena. Il avoit peur que s'il se laissoit abuser davantage, il ne prévint l'esprit de sa Majesté, en lui contant la chose tout autrement qu'elle n'étoit. Il craignoit d'ailleurs, que le Roi étant ainsi prévenu, Mr. le Cardinal ne vint encore à la charge, auprès de lui; qu'ainsi il ne fermât l'entrée par là, à tout ce qu'on lui pouroit dire en suite. Car sa Majesté avoit ce défaut, que quand elle étoit prévenue une fois, il n'y avoit rien de plus difficile que de la desabuser. Ce qu'il eut pû faire encore de mieux, que d'aller ainsi trouver le Duc, étoit d'aller lui même trouver le Roi, & de le prévenir le premier. C'eut été un coup de partie, mais sa Majesté par malheur étoit allé à la chasse dès le matin, & il ne sçavoit presque de quel côté elle avoit tourné: en effet quoi qu'elle eut dit la veille, qu'elle vouloit aller chasser à Versailles, elle avoit changé de sentiment depuis, & étoit sortie par la porte St. Martin.

      Mr. le Duc de la Trimouille réceut Mr. de Treville assez froidement, & lui dit en ma presence, qu'il lui conseilloit encore une fois en bon ami, de faire châtier ceux de ses Mousquetaires, qui se trouveraient coupables de l'assassinat, qui venoit d'être commis; que cette affaire n'en demeurerait pas là; que Mr. le Cardinal en avoit déjà connoissance, & que Cavois, Capitaine Lieutenant de ses Mousquetaires à pied, ne faisoit que de sortir de chez lui, pour le prier de la part de son Eminence, de se joindre avec elle, pour tirer raison d'une injure qui leur devoit être commune à tous deux; que Cavois lui avoit dit encore, que si le Garde de ce Ministre avoit été blessé, sa maison avoit pensé être brulée, que l'un étoit du moins aussi offensant que l'autre, parce que l'on prenoit querelle souvent contre un homme, sans songer au maître à qui il appartenoit, au lieu qu'on ne pouvoit avoir dessein de bruler une maison, sans faire reflexion que celui à qui elle étoit en seroit scandalisé, quand même il n'en recevroit point de dommage.

      Mr. de Treville qui étoit homme de bon sens, le laissa dire, afin de voir tout ce qu'il avoit sur le coeur; mais voyant qu'il avoit cessé de parler, il lui demanda, comme s'il eut reflechi à ce qu'il lui disoit, si l'homme qui étoit blessé l'étoit bien dangereusement: Mr. de la Trimouille lui répondit, qu'il l'étoit si fort, qu'il y avoit beaucoup moins d'esperance à sa vie, qu'il n'y avoit de danger pour sa mort; que le coup qu'il avoit dans le corps, lui avoit percé les poumons; qu'aussi la premiere chose, qu'on lui avoit conseillé de faire, avoit été de songer à sa conscience, parce qu'il étoit entre la vie & la mort. Mr. de Treville lui demanda alors si c'étoit lui, qui lui eut dit de quelle maniere il avoit été blessé, & le Duc étant convenu de bonne foi, que ce n'étoit pas lui, mais un de ceux qui étoient accourus à son secours, il le pria de le vouloir mener dans sa chambre, afin que pendant qu'il étoit encore en état de dire la vérité, on la put entendre de sa propre bouche. Il lui dit que cela serviroit à faire rendre à ce garde garde, une justice prompte & entiere, s'il se trouvoit qu'il eut été insulté; mais aussi que s'il se trouvoit qu'il eut été l'aggresseur, comme il avoit oui dire aux Mousquetaires, cela serviroit à ne pas accabler des malheureux, qui n'avoient fait ce qu'ils avoient fait, que pour repousser une injure, qu'ils n'eussent pû souffrir