Mémoires de Mr. d'Artagnan. Gatien Courtilz de Sandras

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Название Mémoires de Mr. d'Artagnan
Автор произведения Gatien Courtilz de Sandras
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066083182



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souviens bien d'entre cette Ville & celle de Pluviers. Le Roi qui aimoit son Regiment des Gardes, & qui en connoissoit tous les Cadets, jusques à leur parler bien souvent, & même avec assez de familiarité, me dit le même jour que je fus sorti de prison, que je ne durerois guéres, si je ne changeois de conduite; qu'il n'y avoit pas encore trois semaines que j'étois arrivé de mon païs, & que cependant j'avois déja fait deux combats, & que j'en eusse encore fait un troisiéme si on ne m'en eut empêché; qu'il falloit être plus sage, si l'on avoit envie de lui plaire, sinon que je ne m'en trouverois pas trop bien. Sa Majesté m'eut bien parlé encore d'une autre maniere si elle eut sçû ce qui m'étoit arrivé en m'en venant de chez moi. J'avois pourtant cette affaire autant à coeur que je l'avois jamais euë, & je ne comprenois point comment Montigré, après m'avoir témoigné tant d'honêteté, me laissoit si long-tems sans me donner de ses nouvelles de mon faiseur d'affront. Je lui avois écrit en lui renvoyant son argent, ma lettre étoit aussi honnête qu'elle le pouvoit être par raport à l'obligation que je lui avois, & à celle que je lui voulois encore avoir à cet égard. Cependant je n'en avois point eu de réponse, ce qui m'eut presque fait douter qu'on lui eut donné mon argent, si ce n'est qu'on m'avoit renvoyé le billet qu'il avoit de moi.

      Aussi-tôt que nous fumes de retour de Fontainebleau nôtre Regiment fit revûë devant le Roi, qui nous commanda de nous tenir prêts pour aller à Amiens, où sa Majesté devoit s'acheminer incessamment. Elle y alloit pour appuyer le Siege d'Arras que les Maréchaux de Chaulnes, de Châtillon, & de la Meilleraie avoient formé par ses ordres. Il y avoit déja quelque tems qu'il duroit, & le Cardinal Infant qui rodoit autour de leur Camp avec une armée qui n'étoit guéres moins forte que la leur, pretendoit leur faire lever le Siege sans coup ferir. Il n'y réüssissoit pas trop mal jusques-là, nôtre armée commençoit déja à manquer de toutes choses, & comme il n'y pouvoit rien venir qu'à force de convois, tout son soin fut de les empêcher d'arriver à bon port. Cela lui étoit assez facile, à cause de la quantité de monde qu'il avoit avec lui. Aussi y avoit-il d'ordinaire la moitié de ces convois pris, & les autres qui passoient étoient bientôt consumez, parce que nôtre armée étoit si considerable, qu'il lui en eut bien fallu davantage pour les tirer de nécessité. Ce malheureux succès rendoit les assiegez insolens. Ils mirent sur leurs murailles des Rats de carton qu'ils affronterent contre des Chats faits de même matiere; les assiegeans ne furent ce que cela vouloit dire, & ayant fait deux ou trois prisonniers dans une sortie, ils leur en demanderent l'explication. Ces prisonniers qui étoient de veritables Espagnols, Nation qui a beaucoup d'esprit, principalement la Soldatesque, où l'on en trouve d'ordinaire plus que dans les Officiers, parce que la plûpart de ces Officiers, du moins en ce tems-là, avoient été ou Marchands ou quelque chose de semblable, & qu'ils n'embrassoient cette condition que parce qu'ils avoient fait banqueroute en leur païs, ou que leurs affaires étoient en méchant état, aussi achetoient-ils tous leur emploi, & comme ils conservoient toûjours une certaine crasse de leur premier métier, il y avoit bien à dire qu'ils eussent le même feu qu'avoient les autres; quoi qu'il en soit ces prisonniers qui n'étoient ni bêtes ni honteux, ayant été conduits au quartier du Maréchal de Châtillon, & ce Maréchal leur ayant fait la demande que je viens de dire, ils lui répondirent hardiment, que si c'étoit un autre qui la leur fit, ils le lui pardonneroient aisément, mais que pour lui ils ne s'y pouvoient resoudre, parce qu'il leur sembloit qu'il devoit être plus intelligent qu'il n'étoit; s'il ne voyoit pas bien que cela vouloit dire, que quand les Rats mangeroient les Chats, les François prendroient Arras.

      Le Marêchal n'osa se moquer de ce rebus, ce qu'il eut peut-être fait si les affaires du siege eussent été en meilleur état qu'elles n'étoient. Il ne fit pas même semblant d'avoir entendu ce qu'ils lui disoient, comme si le mépris eut été le salaire que devoit avoir une sotte réponse, comme la leur. Le Roi partit cependant de Paris, & étant arrivé à Amiens, une partie de nôtre Regiment eut ordre de marcher à Doullens, où on preparoit un grand convoi pour les assiegeans. L'autre resta à Amiens, en partie pour la garde de Sa Majesté, & en partie pour escorter un autre convoi qu'on devoit joindre au premier. Ce n'est pas qu'il parut aucun danger depuis Amiens jusques à Dourlens qui n'en est qu'à sept lieües, mais comme un parti pouvoit passer la riviere qui est au de là de cette petite ville, & y venir mettre le feu, lors qu'on y penseroit le moins, on étoit bien aise de prendre toutes ses precautions, afin de n'avoir point de reproches à se faire.

      Le Roi qui faisoit son principal plaisir de voir defiler ses Troupes devant lui, faisoit venir quelques autres Regimens de Champagne, afin d'en grossir l'Armée de ces Marêchaux. Il y en avoit un entr'autres dont le Colonel étoit bien jeune, parce qu'en ce tems-là, comme dans celui-ci, la condition des personnes servoit bien plus à leur faire obtenir un poste comme celui-là, que leurs services, & en effet ce n'est pas sans raison qu'on a toujours eu plus d'égard à l'un qu'à l'autre, puisqu'une des qualités des plus essentielles pour un Colonel qui veut avoir un bon Regiment, est de tenir bonne table. Cela sert merveilleusement bien à ses Officiers, & ils l'estiment bien autant par là que par tout le reste. Celui-ci qui ne manquoit pas d'esprit; mais qui croyoit peut-être en avoir encore plus qu'il n'en avoit, n'étoit pas trop aimé des siens, soit qu'il ne s'acquittât pas trop bien de ce devoir, ou qu'il eut le malheur qu'ont presque tous les gens qui ont plus d'esprit que les autres, savoir de se faire beaucoup plus d'ennemis que d'amis. En effet comme on les apprehende toûjours, parce qu'ils ne pardonnent guéres les fautes dans lesquelles on peut tomber, on les regarde aussi presque continuellement comme des Pedagogues incommodes, qualité qui attire plus de haine que d'amour.

      Ce Colonel, qui par malheur pour lui étoit sur ce pied là, car pour moi, j'estime qu'il vaut mieux n'avoir point tant d'esprit & se faire d'avantage aimer, n'étant plus qu'à un quart de lieu d'Amiens avec son Regiment, le beffroi donna avis en même tems de son arrivée. Le Roi ne l'entendit pas plutôt sonner qu'il envoya savoir aussi-tôt ce qu'il avoit découvert. On lui raporta que c'étoit un Regiment qui marchoit en corps & qui faisoit un bataillon. Sa Majesté voulant le voir deffiler devant lui, devant qu'il se rendit au camp, qui lui avoit été marqué, lui envoya ordre de passer les long de remparts de la Ville sur lesquels elle se rendit. Le Major, que ce Colonel envoyoit au Roi pour prendre ses ordres, ayant trouvé à l'entrée de la Ville l'homme qui étoit porteur de celui dont je viens de parler, le renvoya sur ses pas, & le chargea de témoigner à son Colonel la volonté du Roi. Cependant comme il étoit bien aise de lui faire recevoir quelque mortification, afin de lui apprendre une fois pour toutes que, tout habile qu'il se croyoit, il y avoit encore beaucoup de choses sur lesquelles il feroit bien de prendre conseil des vieux Officiers, il renvoya un Capitaine qu'il avoit avec lui au Regiment pour avertir le Lieutenant Colonel de la reveuë que le Roi en vouloir faire, sans lui en dite un seul mot. Le Lieutenant Colonel fit passer cette nouvelle de bouche en bouche à tous les Capitaines, sans en faire part au Colonel, chacun prit ses mesures là dessus, en gardant toujours le même silence. Ceux qui étoient bottés se firent debotter, entendant, cela, & se mirent en souliers comme il faut que l'Infanterie soit quand elle passe en reveuë. Enfin quand le Regiment ne fut plus qu'à une portée de pistolet de la Ville, le Major en sortit pour aller dire au Colonel que le Roi étoit à cent pas de là pour le voir défiler devant lui. Ce Colonel qui ne s'étoit point apperçu de la manoeuvre de son Lieutenant Colonel & de ses Capitaines, mit alors pied à terre, & fit passer la parole, afin que chacun en fit autant que lui. Il ne songea qu'à prendre une pique, sans songer nullement à ses bottes. Ainsi passant devant Sa Majesté tout botté qu'il étoit, Mr. du Hallier Marêchal de Camp qui devoit être chargé de la conduite du convoi, & qui étoit parent de ce Colonel, dit au Roi à côté de qui il étoit, qu'il desireroit pour le bien de son service, que tous ceux qui portoient les armes pour lui eussent autant d'esprit qu'il en avoit. Sa Majesté détourna les yeux à cette parole de dessus le Regiment où il les tenoit attachés, pour regarder ce Marêchal. Il ne disoit rien cependant, ce qui étonnant celui-ci, il demanda à Sa Majesté ce que cela vouloit dire: c'est ce que je n'ose vous expliquer, lui répondit le Roi, de peur de vous desobliger, car s'il m'étoit permis de vous dire ce que je pense, je vous avouerois franchement que si vous croyez beaucoup d'esprit à un homme comme celui-là, il faut que vous n'en ayez gueres vous même.

      Mr. du Hallier fut fort surpris, quand il entendit le Roi parler de la sorte. Il le supplia de le vouloir