Mémoires de Mr. d'Artagnan. Gatien Courtilz de Sandras

Читать онлайн.
Название Mémoires de Mr. d'Artagnan
Автор произведения Gatien Courtilz de Sandras
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066083182



Скачать книгу

trouver à redire à sa demande. Il s'en fut avec lui dans la chambre du blessé, & je ne voulus pas les y suivre, de peur de lui faire de la peine en me voyant, moi qui l'avois mis dans le pitoiable état où il étoit. Le Duc ne lui eut pas plûtôt demandé qui avoit tort, ou de lui, ou de celui qui avoit fait ses blessures, qu'il avoüa la chose tout comme elle s'étoit passée. Le Duc fut bien étonné, quand il l'entendit parler de la sorte, & ayant en même tems fait venir devant lui, celui qui la lui avoit contée tout autrement, il lui commanda de sortir de sa maison, & de ne se presenter jamais devant ses yeux, puis qu'il avoit été capable de lui imposer. Il n'y étoit demeuré que pour secourir le blessé qui étoit son parent, aussi bien que son écuyer. Cependant la parenté de ce domestique ne lui servant de rien, pour adoucir son ressentiment, il fut obligé de lui obéir à l'heure même, sans avoir pû obtenir seulement permission de les revoir ni l'un ni l'autre.

      Mr. de Treville s'en étant retourné chez lui, bien content de sa visite, nous y dînâmes Athos, Porthos, Aramis, & moi, ainsi qu'il nous en avoit prié dès la veille. Comme il y avoit aussi fort bonne compagnie, & que nous étions dix-huit à table, on ne s'y entretint presque d'autre chose que de mes deux combats. Il n'y eut personne qui ne m'en donnât beaucoup de gloire, ce qui n'étoit que trop capable de tenter un jeune homme, qui avoit déja de lui même assez de vanité pour croire qu'il valoit quelque chose. Quand nous eûmes diné, on se mit à joüer au lansquenet: les mains me demangeoient assez pour faire comme les autres, si j'eusse eu le gousset aussi bien garni que j'eusse voulu; mais mes Parens m'ayant entr'autres remontrances fait celle-là, avant que de partir, que j'eusse à fuir le jeu comme un écueil, qui perdoit la plupart de la jeunesse, je me tins si bien en garde, non seulement cette fois là, contre ma propre inclination, mais encore dans toutes les autres rencontres, où la même démangeaison me prenoit, que quelque tentation que je receusse, je ne m'y laissai succomber que de bonne sorte.

      L'après dînée s'étant passée de cette maniere, c'est à dire les uns en joüant, & les autres voyant joüer, nous nous en fûmes au Louvre sur le soir, Athos, Porthos, Aramis & moi. Le Roi n'étoit point encore revenu de la chasse, mais comme il ne pouvoit guéres tarder à venir, nous demeurâmes dans son Antichambre, où Mr. de Treville qui étoit monté en carosse l'après dînée nous avoit dit, qu'il nous viendroit prendre pour nous mener dans le Cabinet du Roi. Sa Majesté vint un moment après que nous fûmes là, & ses trois Freres qui avoient l'honneur d'en être connus particulierement, & même d'en être estimés, s'étant mis sur son passage, pour s'en attirer quelque regard, au lieu d'en obtenir ce qu'ils souhaitoient n'en furent regardez qu'avec un oeil de colere & d'indignation. Ils s'en revinrent tout tristes auprès d'une fenêtre où j'étois, n'ayant osé me montrer devant le Roi, avant que de lui être presenté, & lui avoir fait la reverence. Ils étoient si mortifiés tous trois, de ce qui leur venoit d'arriver, qu'il ne me fut pas difficile de reconnoître leur chagrin. Je leur demandai ce qui leur étoit survenu depuis un moment, pour les voir maintenant dans cet état. Ils me répondirent que nos affaires alloient mal, ou qu'ils se trompoient fort, que cependant il falloit attendre l'arrivée de Mr. de Treville, pour en juger sainement; qu'il demanderoit lui-même à sa Majesté ce qui en étoit, mais que du caractére dont étoit ce Monarque, il ne leur avoit pas fait la mine pour rien; qu'il étoit extremement naturel, & que si c'étoit une qualité absolument nécessaire, comme le prétendoit un certain Politique que de sçavoir dissimuler pour regner, jamais Prince n'y avoit été moins propre que lui.

      Je me sentis tout mortifié à ces paroles. J'eus peur, sans que je pénétrasse néanmoins ce qui pouvoit être arrivé, que la mauvaise humeur de sa Majesté ne s'étendit jusques sur moi; ainsi n'ayant plus d'autre impatience que de voir arriver Mr. de Treville, afin d'être feur plutôt de mon sort, il vint enfin, & augmenta encore mon inquiétude, par ce qu'il nous dit en arrivant. Il nous apprit que Mr. le Cardinal, après avoir envoyé Cavois au Duc de la Trimouille, n'avoit pas crû plûtôt l'avoir fait entrer dans son ressentiment, qu'il avoit depêché vers le Roi, pour lui apprendre ce qui s'étoit passé au sortir de nôtre jeu de paume; que son Eminence lui avoit écrit même une longue lettre là dessus, lui mandant que s'il ne punissoit ses Mousquetaires, ils feroient tous les jours mille meurtres, & mille insolences, sans que persone osât plus entreprendre de les reprimer.

      Mr. de Treville nous quitta après nous avoir dit, qu'il ne croyoit pas que l'occasion nous fut favorable ce jour là de voir sa Majesté, qu'il alloit entrer dans sa chambre, & que s'il ne revenoit pas nous trouver dans un moment, nous pouvions nous en retourner chacun chez nous; qu'il nous y iroit avertir de ce que nous aurions à faire, & qu'il n'y perdroit pas un moment de tems. Il nous quitta à l'heure même & étant entré chez le Roi, sa Majesté fut quelque tems sans lui rien dire, elle lui fit même la mine, comme elle l'avoit faite aux trois Frères. Mr. de Treville, qui ne s'en embarrassoit pas beaucoup, parce qu'il sçavoit qu'il la desabuseroit bientôt des impressions que le Cardinal lui avoit données, ne lui dit rien aussi de son côté, sçachant qu'il devoit remettre nôtre justification à un autre tems. Le Roi qui étoit fort naturel, comme je viens de dire, voyant qu'il ne lui parloit point de ce qui étoit arrivé, dont il croyoit qu'il lui devoit rendre compte, rompit le silence à la fin tout d'un coup, & lui demanda si c'étoit ainsi que l'on faisoit sa charge; qu'il étoit arrivé à ses Mousquetaires d'assassiner un homme & de faire beaucoup de desordre, & que cependant il ne lui en disoit pas un seul mot; qu'à plus forte raison n'avoit-il pas eu le soin de les faire mettre en prison pour les faire punir en tems & lieu; que cette conduite n'étoit guéres d'un bon Officier comme il l'avoit toûjours crû, & qu'il en étoit d'autant plus étonné qu'il connoissoit mieux que personne combien il étoit ennemi de toute violence & de toute injustice.

      Mr. de Treville ayant été bien-aise de le laisser dire pour lui faire decharger sa bile, lui répondit alors qu'il étoit informé de tout ce que Sa Majesté lui disoit, mais que pour elle elle ne l'étoit que très-mal, apparement, puis qu'elle lui parloit de cette sorte; qu'il lui demandoit pardon s'il osoit lui parler ainsi, mais que comme il s'en étoit informé à fond, jusques à aller lui-même chez Mr. le Duc de la Trimouille, elle ne trouveroit pas mauvais qu'il la priât d'envoyer querir ce Duc, avant que de lui en dire d'avantage; qu'il y avoit même un homme chez lui qui en pouvoit encore parler plus assurément que les autres; que cet homme étoit celui là même qu'on avoit fait accroire à Sa Majesté avoir été assassiné; qu'il l'avoit interogé lui-même en presence du Duc, & qu'il étoit convenu avec lui, que bien loin que ce fussent les Mousquetaires de Sa Majesté qui eussent tort, c'étoit lui qui par son insolence avoit été cause de son malheur; qu'au surplus ce n'étoit pas seulement eux qui l'avoient blessé, mais bien le même jeune homme qui avoit rendu le combat dont il avoit eu l'honneur de l'entretenir la veille.

      Le Roi fut surpris quand il l'entendit parler de la sorte. Neanmoins comme il étoit de sa prudence, après le ressentiment qu'il venoit de faire éclatter, de ne pas ajouter foi tellement à ses paroles, qu'il ne fut bien aise auparavant d'être éclairci si elles contenoient verité, il envoya dire au Duc de la Trimouille de ne pas manquer de se trouver le lendemain à son lever. Le Cardinal qui avoit des espions dans la Chambre du Roi pour lui rendre compte de tout ce qui s'y passoit, avoit déja appris la mauvaise mine que Sa Majesté y avoit faite à Treville. Cela lui avoit donné espérance qu'il le perdroit à la fin dans son esprit. Il s'y étudioit depuis long-tems, non qu'il ne l'estimât infiniment; mais parce que, quelque promesse qu'il lui eut faites, il n'avoit jamais pu le faire entrer dans ses intérêts; Mais quand il vint à apprendre ce qu'il lui avoit dit, non seulement pour se justifier, mais encore pour justifier ceux qu'il avoit accusez de cet assassinat, il eut bien peur de n'en avoir que le dementi. Il renvoya savoir dés la même heure chez Mr. le Duc de la Trimouille, pour savoir de lui si c'étoit qu'il eut changé d'avis, depuis la parole qu'il lui avoit rapportée de sa part. Ce Duc n'y étoit pas, il étoit allé souper en Ville; & comme ses gens ne pouvoient dire à quelle heure il reviendroit, Cavois prit le parti de s'en retourner dans sa maison & d'attendre au lendemain matin à executer les ordres de son Eminence. Il ne fit pas trop mal, le Duc ne revint qu'à deux heures après minuit, & son Suisse lui ayant rendu une Lettre que lui écrivoit Mr. Bontems, par laquelle il lui mandoit de la part du Roi qu'il eut à se trouver à son lever, il se leva de meilleur matin qu'il n'avoit de coutume, afin d'être