Название | Mémoires de Mr. d'Artagnan |
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Автор произведения | Gatien Courtilz de Sandras |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066083182 |
Ce que venoit de dire Mr. de Treville, étoit un trait d'un fin courtisan. Il sçavoit que le Roi n'aimoit pas ces deux Freres, par rapport à l'attache qu'ils avoient pour le Cardinal. Il sçavoit d'ailleurs, qu'il ne pouvoit faire plus de plaisir à sa Majesté, que de lui apprendre que les Mousquetaires avoient remporté la victoire sur les créatures de ce Ministre; aussi le Roi sans s'informer d'avantage si nôtre combat étoit une rencontre ou non, il donna ordre à Mr. de Treville de lui amener dans son Cabinet, Athos, Porthos & Aramis, par le petit escalier derobé. Il lui donna une heure qu'il devoit être tout seul, & Mr. de Treville s'y étant rendu avec ces trois Freres, ils lui dirent, comme ils étoient tout trois de braves gens, les choses comme elles s'étoient passées. Ils lui cacherent néanmoins, ce qui pouvait servir à lui faire connoître que ç'avoit été un duel & non pas une rencontre, & lui ayant aussi parlé de moi, sa Majesté eut curiosité de me voir, elle commanda donc à Mr. de Treville de m'amener le lendemain à la même heure dans son Cabinet, & Mr. de Treville ayant ordonné à ces trois Frères de me le dire de la part de sa Majesté, & de la sienne, je les priai de me mener le même jour au lever de ce commandant. Je fus ravi de ce que la fortune me guidoit ainsi si heureusement, pour être connu d'abord du Roi mon Maître. Je me mis sur mon propre ce jour là du mieux qu'il me fut possible, & come sans vanité, j'étois d'assez belle taille, d'assez bonne mine & même assez beau de visage, j'esperai que ma figure ne feroit pas le même effet auprès de sa Majesté, qu'avoit fait celle de Mr. de Fabert il y avoit déja quelque tems. Il avoit acheté une Compagnie dans un vieux corps, dont le Roi lui avoit refusé l'agrément, parce que sa mine, bien loin de lui être agréable, lui avoit extrémement déplu.
Je n'eus plus besoin après le commandement de sa Majesté de regretter la perte de la lettre de recommandation, que j'avois pour Mr. de Treville. Ce que je venois de faire m'y alloit introduire plus avantageusement que toutes les lettres du monde, & même procurer l'honneur de faire la reverence à mon Maître. La joye que j'en eus, me fit trouver la nuit bien plus longue que pas une que j'eusse passée de ma vie. Enfin le matin étant venu, je sortis du lit, & m'habillai en attendant qu'Athos, Porthos & Aramis me vinssent prendre, pour me presenter à leur Commandant. Ils vinrent quelque tems après, & comme il n'y avoit pas loin de chez moi, chez Mr. de Treville, nous nous y rendîmes bientôt. Il avoit commandé à son Valet de Chambre, que d'abord que nous serions dans son Antichambre, il nous fit passer dans son Cabinet. La porte en étoit interdite à tout autre, & cela s'étant executé à nôtre arrivée, Mr. de Treville n'eut pas plûtôt jetté les yeux sur moi, qu'il dit à ces trois Freres qu'ils ne lui avoient pas dit la verité, quand ils lui avoient dit, que j'étois un jeune homme, qu'ils lui devoient dire, bien plûtôt, que je n'étois qu'un enfant, puisqu'en effet je n'étois pas autre chose. Dans un autre tems j'eusse été bien fâché de l'entendre parler de la sorte, parce que par ce mot d'enfant il sembloit que je dusse être exclus du service, jusques à ce que l'âge me fut venu: mais ce que je venois de faire parlant en ma faveur, bien plus que si j'eusse eu quelques années davantage, je crus que plus je paroissois jeune, plus il y avoit d'honneur pour moi. Cependant comme je sçavois que ce n'étoit pas le tout que de faire son devoir, si l'on n'avoit encore l'esprit d'assaisonner ses actions d'une honnête assurance, je lui répondis très-respectueusement, que j'étois jeune à la verité, mais que tout jeune que j'étois, je tuerois bien un Espagnol, puisque j'avois déja eu l'addresse de mettre un Capitaine d'un vieux corps hors de combat. Il me répondit fort obligeamment qu'en disant cela, je ne me donnois encore, que la moindre partie de la gloire qui m'étoit duë, que je pouvois dire aussi, que j'avois desarmé deux Commandans de Places, & un Commandant de gens d'Armes, qui valoient bien tout du moins un Capitaine de vieux corps; qu'Athos, Porthos & Aramis lui avoient conté la chose tout comme elle s'étoit passée, qu'ils convenoient de bonne foi, que sans moi ils n'eussent peut-être pas remporté sur leurs ennemis l'avantage qu'ils avoient fait, & principalement Athos, qui avouoit même que sans le secours que je lui avoit donné, il eût eu de la peine à se tirer des mains de Jussac; qu'il n'en avoit pas encore parlé à sa Majesté, parce qu'il ignoroit toutes ces circonstances, quand il avoit eu l'honneur de l'entretenir de nôtre combat, mais que maintenant qu'il les sçavoit il ne manqueroit pas de les lui apprendre; qu'il les lui diroit même en ma presence, afin que j'eusse le plaisir, d'entendre de sa propre bouche, les loüanges qui m'en étoient duës.
Je fis le modeste à un discours comme celui-là, quoi que dans le fonds il ne m'en put guéres tenir qui me fut plus agréable, Mr. de Treville fit mettre dans le même tems les chevaux au carosse, & s'en fut voir Bernajoux qu'il connoissoit particulièrement. Il vouloit sçavoir de lui apparemment de quelle manière s'étoit passé nôtre combat, non qu'il revoquât en doute ce que les trois Freres lui en avoient dit, mais pour pouvoir assurer le Roi qu'il tenoit les choses d'un endroit qui ne lui devoit point être suspect, puis que c'étoit de la bouche même de ceux à qui nous avions eu affaire. Il nous dit cependant de venir dîner avec lui, & en attendant qu'il fut revenu de sa visite, nous nous en fumes dans un Tripot qui étoit tout auprès des Ecuries du Luxembourg. Nous ne fîmes que balloter, métier où je n'étois pas trop habile, & où, pour mieux dire, j'étois fort ignorant, puis que je ne l'avois jamais fait que cette fois là, aussi craignant de recevoir quelque coup dans le visage, & que cela ne m'empechât de me trouver au rendez-vous que le Roi avoit donné, je quittai la raquette, & me mis dans la Gallerie, tout auprès de la corde. Il y avoit là quatre ou cinq hommes d'épées; que je ne connoissois point, et entre lesquels étoit un Garde de Mr. le Cardinal, qu'Athos, Porthos, & Aramis ne connoissoient pas non plus que moi. Pour lui il les connoissoit bien, & sçavoit qu'ils étoient Mousquetaires: & comme il y avoit une certaine antipathie entre ces deux Compagnies, & que la protection que son Eminence donnoit à ses Gardes, les rendoit insolens, à peine me fus-je mis sous la Galerie, que j'entendis que celui-ci dit à ceux avec qui il étoit, qu'il ne falloit pas s'étonner que j'eusse eu peur, parce que j'étois apparemment un apprentis Mousquetaire.
Comme il ne se soucioit guéres que j'entendisse ces paroles, puis qu il les disoit assez haut auprès de moi, pour me les faire entendre, je lui fis signe un moment après, sans que les gens avec qui il étoit en vissent rien, que j'avois un mot à lui dire. Je sortis en même tems de la Galerie, & Athos & Aramis, qui étoient du côté, par où il me falloit passer pour aller dans la ruë, me demandant, où j'allois, je leur répondis, que j'allois où ils ne pouvoient aller pour moi. Ils crurent donc que c'étoit quelque necessité qui m'obligeoit de sortir, & continuant toûjours de balotter, le garde, qui croyoit avoir bon marché de moi, parce qu'il me voyoit si jeune, me suivit un moment après sans faire semblant de rien. Ses camarades qui ne s'étoient point aperçus du signe que je lui avois fait, lui demanderent où il alloit, il leur répondit, de peur qu'ils ne se deffiassent de quelque chose, qu'il alloit à l'Hôtel de la Trimouille, qui étoit attenant de ce jeu de paume, & qu'il alloit revenir. Il y avoit déja passé avec eux devant que de venir là, & comme il y avoit un Cousin qui étoit Ecuyer de Mr. le Duc de la Trimouille, & que même il l'étoit allé demander auparavant, ils crurent aisément que ne l'ayant point trouvé, il alloit voir s'il ne seroit point revenu par hazard.
J'attendois mon homme sur la porte, & je voulois le faire repentir de la parole qu'il avoit lâchée si insolemment, en lui faisant mettre l'épée à la main; ainsi lui voulant faire connoître le sujet que j'avois de le quereller, il ne m'eut pas plûtôt joint, que je lui dis en tirant mon épée hors du foureau, qu'il étoit bien heureux de n'avoir affaire qu'à un apprentis Mousquetaire, parce que s'il avoit affaire à un Maître, je ne le croyois pas capable de lui pouvoir resister. Je ne sçais ce qu'il me répondit, & j'y pris moins garde qu'à me venger de son insolence, avant qu'il survint quelqu'un pour nous separer. Je n'y réussis pas trop mal, je lui donnai deux coups d'épée, l'un dans le bras, & l'autre dans le corps, devant que personne se presentât pour nous rendre ce bon office. Enfin pour peu qu'on nous eut encore laissé faire, il y avoit apparence que j'en allois rendre bon compte, quand il s'éleva un bruit jusques dans le Jeu de paume, de ce qui se passoit devant la porte, les