La vie nomade et les routes d'Angleterre au 14e siècle. J. J. Jusserand

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Название La vie nomade et les routes d'Angleterre au 14e siècle
Автор произведения J. J. Jusserand
Жанр Документальная литература
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Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066088293



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«beaucoup de dépenses, dont on ne peut donner le détail, causées par l'hospitalité offerte à des gens de passage, à des membres de la famille royale et à d'autres grands du royaume qui s'arrêtent à Clerkenwell et y demeurent aux frais de la maison....». C'est pourquoi le compte se termine par ce résumé: «Ainsi les dépenses sont supérieures aux recettes de vingt livres onze shillings quatre pence.» Le voisinage même d'un grand était une source de frais; il envoyait volontiers sa suite profiter de l'hospitalité du couvent. Ainsi dans les comptes de Hampton, la liste des gens à qui on a fourni de la bière et du pain finit par ces mots: «parce que le duc de Cornouailles habite dans les environs [57].» Il faut noter que la plupart de ces maisons avaient été dotées par les nobles, et chacun, reconnaissant sa terre ou celle d'un parent ou d'un ami, se croyait chez lui dans le monastère. Mais ces seigneurs turbulents, amis de la bonne chère, abusaient de la gratitude monacale, et leurs excès causaient des plaintes qui venaient aux oreilles du roi (Ap. 15). Édouard Ier défend que nul ne se permette de manger ou de loger dans une maison religieuse, à moins que le supérieur ne l'ait formellement invité ou qu'il ne soit le fondateur de l'établissement, et même dans ce cas sa consommation doit être modérée. Seuls les pauvres, qui perdaient plus que personne aux fantaisies des grands, continueront à être logés gratuitement: «et per hoc non intelligitur quod gratia hospitalitatis abstrahatur egenis [58].» Édouard II, en 1309, confirme ces règlements, qui tombaient en oubli, paraît-il, et promet de nouveau, six ans plus tard, que ni lui ni les siens n'useront avec excès de l'hospitalité des religieux [59]. Peine perdue; ces abus étaient déjà compris parmi ceux que l'institution des Articles de la couronne avait pour but de faire disparaître et était impuissante à effacer. Périodiquement le magistrat venait interroger à ce sujet les bonnes gens du pays. Il leur demandait «si quelques seigneurs ou autres n'étaient pas allés loger dans les demeures des religieux sans y être invités par les supérieurs; s'ils y étaient allés, fût-ce à leurs frais, contre la volonté desdits religieux»; si quelque audacieux «n'avait pas envoyé dans les maisons ou manoirs appartenant aux moines, pour y séjourner aux frais d'autrui, des hommes, des chevaux ou des chiens». Il paraît que ces règles étaient difficiles et même dangereuses à appliquer, car le magistrat interroge encore le jury sur «ceux qui auraient exercé des vengeances pour refus de nourriture ou de logement [60]».

      Les communes du parlement préoccupées dans ce cas du sort des plus pauvres, n'étaient pas moins jalouses que les grands du bénéfice de l'hospitalité monacale, et veillaient à ce que cet usage ne tombât pas en désuétude. La non-résidence du clergé, qui devait être, deux cents ans plus tard, une des causes de la réforme, occasionne, dès le quatorzième siècle, de violentes protestations. Les communes réclament notamment parce qu'il résulte de cet abus un oubli des devoirs de l'hospitalité: «Et que toutz autres persones avauncez as bénéfices de Seinte Esglise, demandent-elles au roi, demurgent sur lour ditz bénéfices pur y hospitalité tenir, sur mesme la peine, hors pris clercs du roi et clercs des grauntz seignurs du roialme [61].» Le parlement proteste encore contre l'attribution par le pape de riches prieurés à des étrangers qui restent sur le continent. Ces étrangers «soeffrent les nobles édifices auncienement faitz quant ils estoient occupiez par Engleis, de tout cheoir à ruyne,» et négligent «de hospitalitée tenir [62]».

      Il est à peine besoin de rappeler que l'hospitalité s'exerçait aussi dans les châteaux; les seigneurs qui n'étaient pas en querelle se recevaient volontiers les uns les autres; il y avait entre eux des liens de fraternité beaucoup plus étroits que ceux qui existent maintenant entre gens de la même classe. On ne donne plus guère aujourd'hui le logement aux inconnus qui frappent à votre porte; tout au plus et rarement permet-on, à la campagne, aux pauvres de passage de coucher la nuit dans les fenières. Au moyen âge, on accueillait ses égaux, non par simple charité, mais par habitude de politesse et aussi par plaisir. Connu ou non connu, le chevalier voyageur se voyait rarement refuser l'entrée d'un manoir. Sa venue, en temps de paix, était une heureuse diversion à la monotonie des jours. Il y avait alors, dans chaque demeure, le hall, la grand'salle où l'on prenait ses repas en commun; le nouveau venu mangeait avec le lord, à la table transversale placée au fond, à l'endroit appelé le dais; sa suite était aux tables basses disposées dans l'autre sens, le long des murs de la maison. Le souper fini, presque aussitôt on allait dormir; on se couchait et l'on se levait de bonne heure alors. Le voyageur se retirait tantôt dans une chambre spéciale pour les hôtes si le manoir était grand, tantôt dans celle même du maître, le solar (chambre au premier étage) et y passait la nuit avec lui. Pendant ce temps, on avait enlevé du hall les tables basses, car elles n'étaient pas dormantes en général, mais mobiles [63]; on avait disposé des couchettes à terre, sur la litière de joncs qui jour et nuit couvrait le pavé, et les gens de la maison, les gens du voyageur, les étrangers de moindre importance s'y étendaient jusqu'au matin. Par une fenêtre percée dans le mur de séparation de sa chambre et du hall, du côté du dais, le seigneur pouvait voir et même entendre tout ce qu'on faisait ou disait dans la salle. On dormait ainsi dans le hall, même chez le roi; les ordonnances d'Édouard IV le montrent [64]; à une époque plus rapprochée de nous (1514), Barclay se plaint encore de ce qu'à la cour la même couchette sert pour deux, de ce que le bruit des allants, des venants, des tapageurs, des tousseurs, des parleurs empêche perpétuellement de dormir [65].

       Les premiers rayons du jour passaient à travers les vitres blanches ou colorées des hautes fenêtres, tachant de lumière la sombre charpente ouvragée qui soutenait, très haut au-dessus du pavé, le toit même de la maison; on se remuait sur les couchettes; bientôt on était dehors; les chevaux étaient sellés, et sur la grand'route sonnaient de nouveau les fers des montures.

      Les gens très pauvres et les gens très riches ou très puissants devaient être les seuls pour qui le monastère était comme une hôtellerie. Les moines recevaient les premiers par charité et les seconds par nécessité, les auberges communes se trouvant à la fois trop misérables pour ceux-ci et trop chères pour ceux-là. Elles étaient faites pour la classe moyenne, les marchands, les petits propriétaires, les colporteurs errants. On y trouvait des lits placés en certain nombre dans la même chambre, et l'on achetait séparément ce qu'on voulait manger, du pain avant tout, un peu de viande et de la bière. Nous pourrions suivre, par exemple, deux fellows et le warden du collège de Merton, qui allèrent, en 1331, avec quatre domestiques, d'Oxford à Durham et à Newcastle [66]. Ils voyageaient à cheval; c'était en plein hiver. Leur nourriture était très simple et leur logement peu coûteux; on voit revenir presque toujours les mêmes articles de dépense, qui comprennent, à cause de la saison, de la chandelle et du feu, quelquefois du feu de charbon. Une de leurs journées peut donner une idée des autres; un certain dimanche ils inscrivent:

Pain 4d. (4 pence)
Bière 2d.
Vin 1d. 1/4.
Viande 5d. 1/2
Potage 1/4.
Chandelle 1/4.
Combustible 2d.
Lits 2d.
Nourriture des chevaux 10d.

      On voit que les lits ne sont pas chers; dans une autre occasion, les domestiques sont seuls à l'auberge et leur coucher revient à un penny pour deux nuits. En général, quand la troupe est au complet, leurs lits à tous coûtent deux pence; à Londres, le prix était un peu plus élevé, c'était un penny par tête [67]. Quelquefois ils prennent des œufs ou des légumes pour un quart de penny, ou un poulet ou un chapon. Quand ils se servent d'assaisonnements, ils les inscrivent à part; c'est, par exemple, de la graisse 1/2 penny, du jus 1/2 penny, de la saumure pour le même prix, du sucre 4 pence, du poivre, du safran, de la moutarde. Le poisson revient régulièrement le vendredi. On s'attarde le soir, les chemins sont obscurs; on perd sa route, on