Название | La vie nomade et les routes d'Angleterre au 14e siècle |
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Автор произведения | J. J. Jusserand |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066088293 |
Ce n'étaient pas les solennelles interdictions et les prescriptions rigoureuses qui manquaient: celles-là abattent des têtes qui renaissent toujours. Pour devenir ermite, il fallait être résolu à une vie exemplaire de misères et de privations, et il fallait, pour que l'imposture fût impossible, avoir la sanction épiscopale, c'est-à-dire posséder des «lettres testimoniales des ordinairs». On violait ces règlements sans scrupule. Au fond de sa demeure, l'être peu dévot vêtu en ermite pouvait mener une vie assez douce, et ailleurs elle était si dure! La charité des passants était suffisante pour le faire vivre, surtout s'il avait peu de scrupules et savait demander; d'ailleurs aucun travail, aucune obligation pesante; l'évêque était loin et la taverne proche. Toutes ces raisons faisaient renaître sans cesse l'espèce malfaisante des faux ermites, qui ne prenaient l'habit que pour en vivre, sans demander permission à personne. Le roi dans ses statuts [76] les confondait avec les mendiants, les cultivateurs errants et les vagabonds de toute espèce qui sans distinction devaient être emprisonnés en attendant jugement. Il n'y avait d'exception que pour les ermites approuvés, «forspris gentz de religion et hermytes approvez eiantz lettres testimoniales des ordinairs». Un statut comme celui-là prouve suffisamment que Langland, dans ses éloquentes descriptions de la vie des ermites, n'a pas exagéré; son vers n'est que le commentaire de la loi. L'auteur des Visions est du reste impartial et rend justice aux anachorètes sincères: c'est à eux que les vrais chrétiens ressemblent [77]. Mais qu'est-ce que ces faux dévots qui ont planté leur tente au bord des grands chemins ou dans les villes même, à la porte des cabarets, qui mendient sous le porche des églises [78], qui mangent et boivent largement et passent les soirées à se chauffer? Qu'est-ce que l'homme qui se repose et se rôtit, «reste hym and roste hym», près des charbons ardents, «by the hote coles [79]», et quand il a bien bu, n'a plus qu'à se mettre au lit? Tous ceux-là sont indignes de pitié et, ajoute Langland, avec ce sentiment aristocratique qu'on n'a pas assez remarqué chez lui, tous ces ermites cependant sont de vulgaires artisans, «workmen, webbes and taillours and carters knaues»; ils avaient autrefois «long labour and lyte wynnynge» (grand labeur et petit gain), mais ils remarquèrent un jour que ces frères trompeurs qu'on voyait de tous côtés «avaient les joues pleines [80]»; ils abandonnèrent donc le travail et ils prirent des vêtements qui en imposaient, comme s'ils étaient clercs, «des vêtements de prophètes». On ne les voit guère à l'église, ces faux ermites, mais on les trouve assis à la table des grands, parce que leurs habits sont respectables; et les voilà qui mangent et boivent excellemment, eux qui jadis étaient au dernier rang, aux tables de côté, ne buvant jamais de vin, ne mangeant jamais de pain blanc, sans couverture à leur lit [81].
Ces fripons échappent aux évêques, qui devraient avoir les yeux mieux ouverts. Hélas! disait en charmant langage un de nos poètes du treizième siècle, Rutebeuf:
Li abis ne fet pas l'ermite;
S'uns hom en hermitage abite
Et s'il en a les dras vestus,
Je ne pris mie deus festus
Son abit ne sa vesteure
S'il ne maine vie aussi pure
Comme son abit nous démonstre;
Mes maintes genz font bele monstre
Et merveilleux sanblant qu'il vaillent:
Il sanblent les arbres qui faillent
Qui furent trop bel au florir [82].
Sous les yeux de l'ermite placide, confortablement établi au bord de la route, sous le regard de cet homme calme qui se préparait par une vie sans trouble, sans souci ni souffrance, à l'éternité bienheureuse, coulait le flot aux couleurs changeantes des voyageurs, des vagabonds, des nomades, des errants. Sa bénédiction récompensait le passant généreux; le dur regard de l'homme austère ne suffisait pas à troubler son indifférence béate. La vie des autres pouvait se consumer rapidement, brûlée par le soleil, rongée par le souci; la sienne durait à l'ombre des arbres, se prolongeait sans secousse, bercée par le bruissement des passions humaines.
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