Название | Mémoires de Mr. d'Artagnan |
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Автор произведения | Gatien Courtilz de Sandras |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066083182 |
Jussac avoit pris pour seconds Biscarat & Cahusac qui étoient Freres, & créatures de Mr. le Cardinal. Ils avoient encore un troisiéme Frere nommé Rotondis, & celui-ci qui étoit à la veille d'avoir des benefices, voyant que Jussac & ses Freres étoient en peine de sçavoir qui ils prendroient pour se battre contre moi, leur dit que sa soutanne ne tenoit qu'à un bouton, & qu'il l'alloit quitter pour les en delivrer. Ce n'est pas qu'ils manquassent d'amis ni les uns ni les autres, mais comme il étoit déja dix heures passées, & qu'il approchoit même plus de onze, que de dix, ils avoient d'autant plus de peur que nous ne nous impatientassions, qu'ils avoient déja été en cinq ou six endroits sans trouver personne au logis, ainsi ils étoient tout prêts de prendre Rotondis au mot, quand par bonheur pour eux & pour lui, il entra un Capitaine du Regiment de Navare, qui étoit des amis de Biscarat. Biscarat sans un plus long compliment le tira à quartier, & lui dit qu'ils avoient besoin de lui, pour un different qu'ils avoient à vuider tout présentement; qu'il ne pouvoit venir plus à propos pour les tirer d'embarras, & qu'il étoit si grand que s'il ne fut venu il alloit faire prendre une épée à Retondis, quoi que sa profession ne fût pas de s'en servir. Ce Capitaine qui se nommoit Bernajoux, & qui étoit un Gentilhomme de condition de la Comté de Foix, se tint honoré de ce que Biscarat jettoit les yeux sur lui, pour rendre ce service à son ami: il lui fit offre de son bras, & de son épée, & étant montez tous quatre dans le Carosse de Jussac, ils mirent pied à terre à l'entrée du pré aux Clercs, comme si ç'eut été pour se promener. Ils laisserent là leur Cocher & leurs Laquais, & nous ne les aperçûmes pas plûtôt de loin que nous nous en rejouîmes, parce que comme il se faisoit déja tard, nous ne les attendions presque plus. Nous nous avançâmes du côté de l'isle Maquerelle, au lieu d'aller au devant d'eux, afin de nous éloigner d'avantage du monde, qui se promenoit de leur côté, nous gaignâmes ainsi un petit fonds d'où ne voyant plus personne, nous les y attendîmes de pied ferme.
Ils ne tarderent guéres à nous joindre, & Bernajoux qui avoit une grosse Moustache, comme c'étoit la mode en ce tems là d'en porter, voyant que Jussac, Biscarat & Cahusac choisissoient les trois Freres pour avoir affaire à eux, tandis qu'ils ne lui laissoient que moi pour l'amuser, lui demanda, s'ils se moquoient de lui de vouloir qu'il n'eut affaire qu'à un enfant. Je me trouvai piqué de ces paroles, & lui ayant répondu que les enfans de mon âge & de mon courage en sçavoient bien autant que ceux qui les méprisoient, parce qu'ils avoient deux fois moins d'âge qu'eux, je mis l'épée à la main pour lui montrer que je sçavois joindre l'effet aux paroles. Il fut obligé de tirer la sienne pour se défendre, voyant que de la maniére que je m'y prenois, je n'avois pas envie de le marchander. Il m'allongea même quelque coups assez vigoureusement, pretendant qu'il ne feroit guéres à se défaire de moi. Mais les ayant parez avec beaucoup de bonheur, je lui en portai un par dessous le bras, dont je le perçai de part en part. Il fut tomber à quatre pas de là, je crus qu'il étoit mort, & étant allé à lui pour lui donner remede, s'il en étoit encore tems, je vis qu'il me présentoit la pointe de l'épée, croyant apparemment que je serois assez fou pour m'y aller enfiler moi même. Je jugeai bien par là, qu'on pouvoit encore le secourir: Ainsi comme j'avois été élevé Chrêtiennement, & que je sçavois que la perte de son ame étoit la chose la plus terrible qui lui pût jamais arriver, je lui criai de loin qu'il eut à penser à Dieu, & que je ne venois pas pour lui arracher les restes de sa vie, mais bien plûtôt pour la lui conserver: que j'étois même bien faché de l'état où je l'avois mis, mais qu'il considerât que j'y avois été obligé par la barbare fureur, qui faisoit consister l'honneur d'un Gentilhomme à oter la vie à un homme que l'on n'avoit souvent jamais veu, & même quelquefois au meilleur de ses amis. Il me répondit que puisque je parlois si juste, il ne faisoit point de difficulté de me rendre son épée, qu'il me prioit de lui vouloir bander sa playe, en coupant le devant de sa chemise; que j'empêcherois par là qu'il ne perdit le reste de son sang que je lui donnerois la main après cela, pour se lever, afin qu'il put regaigner le Carosse dans lequel il étoit venu, à moins que je n'eusse encore la charité de l'aller chercher moi-même, de peur qu'il ne tombât en deffaillance par le chemin.
Il jetta son épée en même tems à quatre pas de là, pour me montrer qu'il n'avoit pas envie de s'en servir contre moi, quand je m'approcherois de lui. Je fis ce qu'il me dit, je coupai sa chemise avec des ciseaux que je tirai de ma poche, & lui ayant mis une compresse par devant, je lui donnai la main pour se lever à son seant, afin d'en pouvoir faire autant par derrière. Comme j'avois une bande toute prête que j'avois faite de deux pièces le mieux qu'il m'avoit été possible, j'eus bientôt fait cet ouvrage. Cependant, ce tems que j'y avois employé plûtôt que perdu, puisque c'étoit une bonne oeuvre que ce que je venois de faire, pensa couter la vie à Athos, & peut-être en même tems à ses deux Freres. Jussac contre qui il se battoit lui donna un coup d'épée dans le bras, & s'étant jetté sur lui pour lui faire demander la vie, il ne cherchoit qu'à lui mettre la pointe de son épée dans le ventre, parce qu'il ne vouloit pas la lui demander, quand je m'aperçus du peril où il étoit, je courus en même tems à lui, & ayant crié à Jussac de tourner visage, parce que je ne pouvois me resoudre à le prendre par derrière, il trouva qu'il avoit un nouveau combat à rendre, au lieu qu'il croyoit avoir achevé le sien. Ce combat même ne pouvoit lui être que très-desavantageux, parce qu'Athos après être ainsi delivré de danger, n'étoit pas pour demeurer les bras croisés, pendant que nous ferraillerions ensemble; & en effet voyant qu'il étoit dangereux qu'il ne le prit par derrière, pendant que je le prendrois par devant, il voulut s'aprocher de Biscarat son Frere, afin d'être du moins deux contre trois, au lieu qu'il étoit présentement seul contre deux. Je reconnus son dessein & l'empêchai de l'executer. Il se vit alors obligé lui même de demander la vie, lui qui la vouloit faire demander aux autres, & ayant rendu son épée à Athos, à qui je laissai l'honneur de sa deffaite, quoi que je pusse me l'attribuer, du moins avec autant de raison que lui, nous nous en fumes lui & moi à Porthos & à Aramis pour leur faire remporter la victoire sur leurs ennemis. Cela ne nous fut pas bien difficile, comme ils avoient déja assez de courage & d'addresse pour les embarrasser sans avoir besoin de nôtre secours, ce fut encore autre chose, quand ils virent que nous étions à portée de le leur donner. Il fut impossible aux autres effectivement de leur ressister, eux qui n'étoient plus que deux contre quatre, ainsi ayant été obligés de leur rendre leurs épées, & le combat fini de cette maniere, nous nous en fûmes alors tous à Bernajoux, qui s'étoit recouché sur la terre, à cause d'une foiblesse qui lui avoit prise. Comme j'étois plus allerte que les autres, & que j'avois de meilleures jambes que pas un de ceux qui étoient là, je m'en fus chercher le Carosse de Jussac, où nous le mimes. On le conduisit ainsi chez lui, où il demeura six semaines sur la litière, devant que de pouvoir guerir. Mais enfin sa blessure, quoi que très-grande, ne se trouvant pas mortelle, il en fut quitte pour le mal, sans qu'il lui en arrivât d'autre accident. Nous fûmes depuis bons amis, lui & moi, & quand je fus Sous-lieutenant des Mousquetaires, comme je le dirai tantôt, il me donna un de ses Freres pour mettre dans la compagnie. Il ne tint pas même à moi qu'il ne fit quelque chose, ce qui avec mon secours lui fut arrivé sans doute, si ce n'est qu'il prefera ses plaisirs à un établissement qui lui étoit assuré, pour peu qu'il eut voulu y contribuer par lui même.
Le Roi sçut nôtre combat, & nous eûmes peur qu'il ne nous en arrivât quelque chose, à cause qu'il étoit fort jaloux de ses Edits; mais Mr. de Treville lui ayant fait entendre que nous étant trouvés fortuitement aux prés aux Clercs, sans penser à rien moins qu'à nous battre, Athos, Porthos & Aramis n'avoient pû entendre vanter à Jussac & à ses amis, la Compagnie des Gardes du Cardinal, au préjudice de celle de ses Mousquetaires, sans en être indignés, comme ils devoient être naturellement; que cela avoit causé des paroles entre les uns & les autres, & que des paroles en étant venus aux mains tout aussi-tôt, on ne pouvoit régarder cette action que comme une rencontre, & non pas comme un Duel; qu'au surplus le Cardinal en alloit être bien mortifié, lui qui estimoit Biscarat & Cahusac comme des prodiges de valeur, & qui les regardoit, pour ainsi dire, comme son bras droit. En effet il les avoit élevés au delà de ce qu'ils pouvoient esperer vraisemblablement par leur naissance, & peut-être par leur merite: la meilleure qualité qu'ils eussent étoit de lui être affectionnez,