Название | Mémoires de Mr. d'Artagnan |
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Автор произведения | Gatien Courtilz de Sandras |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066083182 |
Ce compliment me parut tout aussi peu honnête que son procedé. Si j'en trouvai le commencement assez passable, la suite ne me le parut guéres. Cela fut cause que je lui fis encore d'autres menaces, tandis qu'au lieu des paroles que j'employois pour toutes armes, l'on me foura encore en prison. Si j'eusse toûjours eu mon épée on ne m'y eut pas mené comme on faisoit, mais ces hommes s'en étoient saisis en me prenant par derriere, & l'avoient même cassée en ma presence, pour me faire encore un plus grand affront. Je ne sçais ce qu'ils firent de mon bidet ni de mon linge que je n'ai jamais reveus depuis. On informa cependant contre moi sous le nom de ce Gentilhomme, & quoi que j'eusse été batu, & que ce fut à moi à demander de gros dommages & interêts, je fus encore condamné à lui faire reparation. On me supposa de lui avoir dit des injures, & ma sentence m'ayant été prononcée, je dis au Greffier que j'en appellois. Cette canaille se moqua de mon appel, & m'ayant encore condamné aux frais, mon cheval & mon linge furent vendus apparement sur & tant moins de ce qu'elle pretendoit que je lui devois. Elle me garda deux mois & demi en prison, pour voir si personne ne me reclameroit. J'eusse eu beaucoup à souffrir pendant tout ce tems-là, si au bout de quatre ou cinq jours le curé du lieu ne me fut venu voir. Il tâcha de me consoler, & me dit que j'étois bien malheureux qu'un Gentilhomme du voisinage de Rosnai, n'eut été sur les lieux lorsque mon accident étoit arrivé, qu'il eut fait faire les informations tout autrement qu'elles n'avoient été faites; mais qu'étant trop tard presentement pour y remedier, tout ce qu'il pouvoit faire pour moi étoit de m'offrir tout le secours dont il étoit capable; qu'il m'envoyoit toûjours quelques chemises & quelque argent, & que s'il ne venoit pas me voir lui même, c'est qu'ayant eu des differens avec mon ennemi, dans lesquels il l'avoit même un peu maltraité, il lui avoit été fait deffense de la part de Messieurs les Mâréchaux de France, sous peine de prison, d'épouser jamais aucuns interêts contraires aux siens.
Ce secours ne me pouvoit venir plus à propos. L'on m'avoit pris ce qui me restoit d'argent de mes dix écus, lorsqu'on m'avoit mis en prison. Je n'avois d'ailleurs qu'une seule chemise laquelle ne devoit guéres tarder à pourir sur mon dos, parce que je n'en avois point à changer; mais comme j'avois bonne provision de ce que l'on accuse ordinairement les Bearnois de ne pas manquer, c'est à dire beaucoup de gloire, je crus que c'étoit me faire affront que de m'offrir ainsi la charité. Je répondis donc au curé que j'étois bien obligé au Gentilhomme qui l'envoyoit, mais qu'il ne me connoissoit pas encore; que j'étois Gentilhomme aussi bien que lui, de sorte que je ne ferois jamais rien d'indigne de ma naissance; quelle m'apprenoit que je ne devois rien prendre que du Roi, que je pretendois me conformer à cette régle, & mourir plûtôt le plus miserable du monde que d'y manquer.
Le Gentilhomme, à qui l'on avoit conté tout ce que j'avois fait, s'étoit bien douté de ma réponse, trouvant trop de fierté dans mon procedé pour m'en dementir en cette occasion: ainsi il lui avoit fait la bouche en cas que ce qu'il croyoit arrivât. C'étoit de me dire qu'il ne contoit pas de me donner ni l'argent qu'il m'offroit, ni les chemises, mais bien de me les prêter jusques à ce que je pusse lui rendre l'un & l'autre; qu'un Gentilhomme tomboit quelque fois dans la nécessité aussi bien qu'un homme du commun, & qu'il ne lui étoit pas plus interdit qu'à lui d'avoir recours à ses amis pour s'en tirer. Je trouvai que mon honneur seroit à couvert par là. Je fis un billet au curé du montant de cet argent, & de ces chemises qui alloit à quarante-cinq francs. Cet argent qu'on me vit dépenser fit durer ma prison les deux mois & demi que je viens de dire, & même l'eut peut-être fait durer encore d'avantage par l'esperance qu'eut eu la justice, que celui qui me le donnoit m'eut encore donné de quoi me tirer de ses pattes, si ce n'est que le curé prit soin de publier que c'étoient des charités qui lui passoient par les mains, dont il m'avoit assisté: ainsi ces miserables croyans qu'ils ne gaigneroient rien de me garder plus long-tems, ils me mirent dehors au bout de ce tems là.
Je ne fus pas plutôt sorti que je fus chez le curé pour le remercier de ses bons offices, & de toutes les peines qu'il avoit bien voulu prendre pour moi. Car outre ce que je viens de dire, il avoit encore sollicité ma liberté, & n'y avoit pas nui assurément. Je lui demandai s'il m'étoit permis d'aller voir mon créancier, pour lui témoigner ma reconnoissance, que j'étois bien aise aussi de l'assurer que je ne serois pas plûtôt en état de m'acquitter de ce que je lui devois, que je le ferois fidélement. Il me répondit, qu'il avoit ordre de lui de me prier de n'en rien faire, de peur que ma visite ne se prit en mauvaise part par son ennemi, & le mien; que cependant comme il avoit envie de me voir il se rendroit le lendemain à Orleans incognito; que je m'en fusse loger à l'écu de France, que je l'y trouverois, ou du moins qu'il s'y rendroit tout aussi-tôt que moi; qu'il me preteroit son cheval pour y aller à mon aise, & que comme il sçavoit bien qu'il ne me pouvoit plus guéres rester d'argent de celui qu'il m'avoit donné, ce Gentilhomme m'en preteroit encore pour achever mon voyage. J'en avois assez de besoin, comme il disoit, ainsi n'étant pas fâché de trouver ce secours, je partis le lendemain pour Orleans, bien resolu de revenir tout le plûtôt que je pourois en ce païs là, pour m'acquitter de l'argent que j'y avois emprunté, & pour me venger de l'affront qui j'y avois receu. Je n'en serois pas même parti sans satisfaire à mon juste ressentiment, si ce n'est que le Curé m'apprit que le Gentilhomme à qui j'avois eu affaire, sçachant que l'on me devoit faire sortir de prison, étoit monté à cheval pour s'en aller dans une terre qu'il avoit à cinquante ou soixante lieües de là. Je trouvai ce procedé digne de lui, & ne disant pas au curé ce que j'en pensois, parce que je sçavois bien, que ceux qui menaçoient d'avantage n'étoient pas toujours les plus dangereux, je partis le lendemain avant le jour pour m'en aller à Orleans.
Je fus loger à l'écu de France comme le curé me l'avoit dit, & le Gentilhomme qui m'avoit obligé de si bonne grace, & qui s'appelloit Montigré, s'y étant rendu dès le même jour, il se fit connoître à moi, comme le curé m'avoit dit qu'il devoit faire, d'abord qu'il seroit arrivé. Je le remerciai en des termes les plus reconnoissans qu'il me fut possible, & m'ayant répondu que c'étoit si peu de chose, que cela ne valloit pas seulement la peine d'en parler, je le mis sur le chapitre de Rosnai. Il me dit, voyant que j'avois grande demangeaison de le joindre, que j'y serois bien empêché, que je m'y devois prendre finement, se j'y voulois réussir, parce qu'il étoit homme à me faire ce qu'il lui avoit fait, c'est à dire à en user si mal que je n'en serois jamais content: que s'il venoit par hasard à s'appercevoir que je lui en voulusse, il me feroit venir tout aussi-tôt devant les Marêchaux de France; que cela romproit toutes les mesures que je pouvois prendre, desorte qu'il étoit besoin que j'usasse d'une grande dissimulation, si je voulois l'attraper.
Ce Gentilhomme voulut à toute force que je prisse le carosse pour m'en aller. Il me prêta encore dix pistoles d'Espagne, quoi que je fisse difficulté de les prendre, tellement que je me trouvai engagé avec lui, de près de deux cent francs devant que d'arriver à Paris. C'étoit presque, pour en dire le vrai, tout ce que je pouvois esperer de ma legitime, parce que, comme j'ai déja dit, mes richesses n'étoient pas bien grandes; mais me reservant l'esperance en partage, j'achevai mon chemin, après être convenu avec Montigré, qu'il me donneroit de ses nouvelles, & que je lui donnerois des miennes.
Je ne fus pas plûtôt arrivé à Paris, que je fus trouver Mr. de Treville qui logeoit tout auprès du Luxembourg. J'avois apporté, en m'en venant de chez mon Pére, une lettre de recommandation pour lui. Mais par malheur on me l'avoit prise à St. Dié, & le vol qu'on m'en avoit fait avoit encore augmenté ma colere contre Rosnai. Pour lui il n'en étoit devenu que plus timide, parce que cette lettre lui apprenoit que j'étois Gentilhomme, & que je devois trouver de la protection auprès de Mr. de Treville. Enfin toute ma ressource étoit de lui dire l'accident qui m'étoit arrivé, quoi que j'eusse bien de la peine à le faire, parce qu'il me sembloit qu'il n'auroit pas trop bonne opinion de moi, quand il sçauroit que je serois revenu de là, sans tirer raison de l'affront que j'y avois receu.
Je fus loger dans son quartier, afin d'être plus près de lui. Je pris une petite chambre