Название | Mémoires de Mr. d'Artagnan |
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Автор произведения | Gatien Courtilz de Sandras |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066083182 |
Tous les Cadets de Bearn, Province dont je suis sorti, étoient assez sur ce pied-là, tant parce que ces peuples sont naturellement très belliqueux, que parce que la sterilité de leur Païs n'exhorte pas à en faire toutes leurs delices. Une troisiéme raison m'y portoit encore, qui n'étoit pas moindre que ces deux là, aussi avoit-elle, avant moi, engagé plusieurs de mes voisins & de mes amis à en quitter plûtôt le coin de leur feu. Un pauvre Gentilhomme de nôtre voisinage, s'en étoit allé à Paris, il y avoit quelques années avec une petite male sur le dos, & il avoit fait une si grande fortune à la Cour, que s'il eut été aussi souple qu'il avoit de courage, il n'y eut eu rien à quoi il n'eut pû aspirer. Le Roi lui avoit donné la Compagnie des Mousquetaires qui étoit unique en ce tems-là. Sa Majesté disoit même, pour mieux témoigner l'estime qu'elle en faisoit, que si elle eut eu quelque combat particulier à faire, elle n'eut point voulu d'autre second que lui. Ce Gentilhomme s'appelloit Troisville, vulgairement appellé Treville, & a eu deux enfans qui étoient assez bien faits, mais qui ont été bien éloignés de marcher sur ses traces. Ils vivent encore tous deux aujourd'hui, l'ainé est d'Eglise, son Pére ayant jugé à propos, de lui faire embrasser cet état, parce qu'ayant été taillé dans sa jeunesse, il crut qu'il en seroit moins capable que son Frere de soutenir les fatigues de la Guerre. D'ailleurs comme la plûpart des Péres croyent selon ce que faisoit Cain, que ce qu'ils ont à offrir à Dieu doit être le rebut de toutes choses, il aimoit mieux que son Cadet, qui paroissoit avoir plus d'esprit que l'ainé, fut pour soutenir la fortune de sa Maison, qu'il avoit élevée aux dépens de ses travaux, que de la transmettre à celui qui en devoit être chargé naturellement. Ainsi il lui donna le droit d'ainesse, comme je le dirai tantôt, pendant qu'il se contenta de procurer une grosse Abbaye à son Frere; mais comme il arrive souvent que ceux qui ont le plus d'esprit font les plus grandes fautes, ce Cadet, qui étoit ainsi devenu l'ainé, se rendit si insupportable à tous les jeunes gens de son âge, & de sa volée, en leur voulant montrer qu'il étoit plus habile qu'eux qu'ils ne purent le lui pardonner. Ils l'accuserent à son tour, que s'ils n'étoient pas aussi capables que lui de beaucoup de choses, ils étoient du moins plus braves qu'il n'etoit. Je ne sçais pourquoi ils disoient cela, & je ne crois pas même qu'ils eussent raison; mais comme on croit bien plûtôt le mal que le bien, ce bruit étant parvenu jusques aux oreilles du Roi, qui l'avoit fait Cornette des Mousquetaires, Sa Majesté qui ne vouloit dans sa Maison que des gens dont le courage ne fut point soupçonné, lui fit insinuer sous main de quitter sa charge, pour un Regiment de Cavallerie, qui lui fut proposé. Il le fit, soit qu'il soupçonnât que le Roi le vouloit, ou qu'avec tout son esprit, il donnât dans le panneau. Cependant ce qui fit qu'on le soupçonna plus que jamais quelque tems après de foiblesse, c'est que la Campagne de l'Isle étant survenue, il quitta son Regiment pour se jetter parmi les Prêtres de l'Oratoire, encore passe s'il en eut pris l'habit, & qu'il s'y fut tout à fait consacré à Dieu, mais comme il n'y fit que prendre un appartement, & qu'il l'a même quitté depuis, cela donna lieu plus que jamais, à ceux qui lui vouloient du mal, de continuer leurs medisances. Mes Parens étoient si pauvres qu'ils ne me purent donner qu'un bidet de vint-deux francs, avec dix écus dans ma poche, pour faire mon voyage. Mais s'ils ne me donnerent guéres d'argent, ils me donnerent en recompense quantité de bons avis. Ils me remontrerent que je prisse bien garde à ne jamais faire de lâcheté, parce que si cela m'arivoit une fois, je n'en reviendrois de ma vie. Ils me représenterent que l'honneur d'un homme de Guerre, profession que j'allois embrasser, étoit aussi delicat que celui d'une femme; dont la vertu ne pouvoit jamais être soupçonnée que cela ne lui fit un tort infini dans le monde, quand elle trouveroit après cela le moyen de s'y justifier: que je sçavois bien le peu de cas que j'avois toûjours entendu faire de celles qui passoient pour être de mediocre vertu; qu'il en étoit de même des hommes qui témoignoient quelque lâcheté, que j'eusse toûjours cela devant les yeux, parce que je ne pouvois me le graver trop avant dans la cervelle.
Il est quelquefois dangereux de faire à un jeune homme un portrait fort vif de certaines choses, parce qu'il n'a pas l'esprit de les bien digerer. C'est dequoi je m'apperçus bien, d'abord que la raison me fut venuë; mais en attendant je fis quantité de fautes pour vouloir m'attacher au pied de la lettre à ce qu'on m'avoit dit. D'abord que je vis que l'on me regardoit entre deux yeux, je pris sujet de là de quereller les gens, sans qu'ils eussent dessein néanmoins de me faire aucune injure. Cela m'arriva la premiere fois entre Blois & Orleans, ce qui me couta un peu cher, & qui devoit bien me rendre sage. Comme le bidet que j'avois étoit fatigué du voyage, & qu'à peine avoit-il la force de pouvoir lever la queuë, un Gentilhomme de ce Païs-là me regarda moi & mon equipage d'un oeil de mépris. Je le reconnus bien à un souris qu'il ne se pût empêcher de faire à trois ou quatre personnes avec qui il étoit, car c'étoit dans une petite Ville nommée St. Alié, que cela arriva, il y étoit allé, à ce que j'appris depuis, pour y vendre des bois, & il étoit avec le Marchand à qui il s'étoit addressé pour cela, & avec le Notaire qui en avoit passé le marché. Ce souris me fut si desagréable que je ne pus m'empêcher de lui en témoigner mon ressentiment, par une parole très offençante. Il fut beaucoup plus sage que moi, il fit semblant de ne la pas entendre, soit qu'il me regardât, comme un enfant qui ne le pouvoit offenser, ou qu'il ne voulut pas se servir de l'avantage qu'il croyoit avoir sur moi. Car c'étoit un grand homme, & qui étoit à la fleur de son âge, de sorte qu'on eut dit à nous voir tous deux qu'il falloir que je fusse fou, pour oser m'attaquer à une personne comme lui. J'étois pourtant d'assez bonne taille pour le mien; mais comme on ne paroit jamais qu'un enfant, quand on n'est pas plus âgé que je l'étois, tous ceux qui étoient avec lui, le loüerent en eux mêmes de sa moderation, pendant qu'ils me blâmerent de mon emportement. Il n'y eut que moi qui le pris sur un autre pied qu'ils ne le prenoient. Je trouvai que le mépris qu'il faisoit de moi, étoit encore plus offensant que la premiere injure que je croyois en avoir receuë. Ainsi perdant tout à fait le jugement je m'en allai sur lui comme un furieux, sans considerer qu'il étoit sur son pallié, & que j'allois avoir sur les bras tous ceux qui lui faisoient compagnie.
Comme il m'avoit tourné le dos après ce qui venoit de se passer, je lui criai d'abord de mettre l'épée à la main, parce que je n'étois pas homme à le prendre par derriere. Il me méprisa encore assez pour me regarder comme un enfant, de sorte que me disant de passer mon chemin au lieu de faire ce que je lui disois, je me sentis tellement ému de colere, quoi que naturellement j'aye toûjours été assez moderé, que je lui donnai deux ou trois coups de plat d'épée sur la tête. J'eus plûtôt fait cela que je ne songai à ce que je faisois, dont je ne me trouvai pas trop bien: le Gentilhomme qui se nommoit Rosnai mit l'épée à la main en même tems, & me menaça qu'il ne seroit guéres à me faire repentir de ma folie. Je ne pris pas garde à ce qu'il me disoit, & peut-être eut-il été assez empêché à le faire, quand je me sentis accablé de coups de fourche, & de coups de baton. Deux de ceux qui étoient avec lui, & dont l'un avoit en main un baton qui sert ordinairement à mesurer les bois, furent les premiers qui me chargerent, pendant que les deux autres se furent fournir dans la maison prochaine des autres armes, dont ils pretendoient m'attaquer. Comme ils me prirent par derriere, je fus bientôt hors de combat. Je tombai même à terre le visage tout plein de sang, d'une blessure qu'ils m'avoient faite à la tête. Je criai à Rosnai, voyant l'insulte qu'on me faisoit, que cela étoit bien indigne d'un honnête homme, comme je l'avois cru d'abord, que s'il avoit un peu d'honneur, il étoit impossible qu'il ne se fit quelque reproche secret de souffrir qu'on me maltraitât de la sorte; que je l'avois pris pour un Gentilhomme, mais que je voyois bien à