Название | Mémoires de Mr. d'Artagnan |
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Автор произведения | Gatien Courtilz de Sandras |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066083182 |
Ces paroles en attirerent d'autres de la part du Cardinal, qui oublioit toujours de plus en plus qu'il avoit affaire à son Maître, & qu'il lui devoit toute sorte de respect. Ainsi l'on pouvoit dire au procedé de son Eminence, que dans ce tems même, qu'il lui prenoit des vertiges, ce qui lui arrivoit assez souvent, il n'avoit jamais été si extravagant qu'il étoit alors, quand le Comte de Nogent vint à entrer. Il reconnut d'abord au visage de Sa Majesté & à celui de son Eminence, qu'il y avoit quelque chose d'extraordinaire sur le tapis, étant donc fâché d'avoir pris un tems comme celui-là pour entrer, il vouloit resortir à l'heure même, quand le Cardinal qui commençoit à reconnoître sa faute, lui dit de ne s'en pas aller, qu'il avoit besoin de lui pour lui dire s'il avoit tort ou non, parce qu'un tiers étoit plus capable d'en juger que soi-même.
Ce Comte étoit un Comte de nouvelle impression, & qui de fort peu de chose qu'il étoit naturellement étoit devenu extrémement riche. Il avoit passé quelque tems à la Cour pour un bouffon, mais enfin les plus sages avoient bientôt reconnu qu'il avoit plus d'esprit que les autres, puis qu'il avoit amassé plus de trois millions de bien, quoi qu'on crut qu'il ne dît que des sottises. Il aimoit le jeu au delà de tout ce que l'on en sauroit dire, & même il y avoit perdu de l'argent. Il n'étoit pas de bonne humeur quand cela lui arrivoit, parce qu'il étoit extrémement interessé. Il juroit & renioit pour ainsi dire créme & bâteme, ce qui étonna tellement un jour un des Freres du Duc de Luines qui joüoit très gros jeu contre lui, que pour ne le pas entendre blasphemer davantage, il lui remit plus de cinquante mille écus qu'il lui gaignoit. Il lui dit en brouillant les jettons qu'ils avoient devant eux, & qui valoient chacun cinquante pistoles, qu'il faisoit plus d'état de son amitié que de son argent, qu'il ne pouvoit se mettre en colere si fort sans altérer sa santé, & que de peur de le rendre malade, il aimoit mieux ne joüer jamais avec lui, que de l'exposer à ce peril. Cependant ce grand blasphemateur devint homme de bien sur la fin de ses jours, dont les Capucins ne se trouverent pas mal quelquefois. Comme il étoit voisin d'un de leurs Convens, quand il voyoit un bon plat sur sa table, il le faisoit ôter par mortification sans y vouloir toucher, il le leur envoyoit en même tems, & leur faisoit dire de le manger à son intention. Sa femme & ses enfans qui en eussent bien mangé eux-mêmes, & qui n'étoient pas si devots que lui, en enrageoient bien souvent, mais il leur falloit prendre patience, parce qu'il se faisoit obéir en depit qu'ils en eussent.
Cet homme dont je viens en peu de mots d'ébaucher le portrait, vit bien à l'air dont lui parloit le Cardinal, qu'il avoit besoin de son secours pour le tirer de quelque affaire. Il ne pouvoit comprendre néanmoins ce que ce pouvoit être, puis qu'il ne le croyoit pas si fou ni si peu politique, que de manquer de respect envers Sa Majesté. Mais quand il lui eut raconté la chose de son consentement, il vit bien que les plus grands hommes étoient tout aussi capables que les autres de faire de grandes fautes. Il ne manqua pas de lui donner le tort, parce qu'il ne pouvoit lui dire qu'il eut raison, sans lui faire voir qu'il ne l'avoit pas lui même. Cependant bien loin de lui ressembler il étoit si politique & si flatteur, qu'il l'eut encore blamé, quand il eut veu que c'eut été le Roi qui le devoit être. Il voyoit que ce Prince qui se trouvoit choqué avec raison, de ce que lui avoit dit son Eminence, avoit le ressentiment peint sur le visage, qu'ainsi il n'y avoit point de moyen de l'appaiser qu'en donnant le tort à ce Ministre.
Le Roi fut ravi que Nogent se declarât pour lui. Il se crut en droit d'en faire une plus grande correction à son Eminence, & lui avant dit qu'elle s'aveugloit tellement sur ses propres interêts, qu'elle en étoit incapable d'entendre raison, il lui reprocha que s'il ne fut survenu un tiers pour le condamner, il lui eut tenu tête jusques au jour du Jugement. Le Cardinal qui reconnut à ces paroles que sa Majesté étoit véritablement en colere, fut assez habile pour reparer ce qu'il avoit fait par une humble confession de sa faute. Il lui en demanda même pardon en presence de Nogent, & il dit à celui-ci en particulier, c'est à dire la premiere fois qu'il se trouva tête à tête avec lui, qu'il lui avoit rendu un si grand service en le tirant de ce mauvais pas qu'il lui en auroit obligation toute sa vie.
Le Roi donna le Gouvernement d'Arras à un Officier nommé St. Preuil, qui avoit été Capitaine aux Gardes. Il étoit alors Gouverneur de Dourlens: & comme c'étoit de là que l'on avoit tiré la plûpart des convois qui avoient servi à faire subsister l'Armée, & par consequent à prendre la place, Sa Majesté crut que les services qu'il avoit rendus en cela meritoient bien cette recompense. Il étoit très brave homme, & très entendu dans son métier, infatigable d'ailleurs, de sorte que depuis quatre heures du matin qu'il avoit accoûtumé de se lever jusques à onze heures du soir qu'il se couchoit d'ordinaire, il ne s'appliquoit uniquement qu'à faire échoüer tous les desseins que les ennemis pouvoient avoir. Cependant quand sa garnison le croyoit enseveli le plus dans le sommeil, c'étoit alors qu'il alloit faire sa ronde, & qu'elle le voyoit sur les remparts. Il y alloit même souvent deux ou trois fois pendant une même nuit, tellement que quoi que les Soldats vinssent de le voir, ils n'étoient pas assurés de ne le pas revoir dans un moment. Cela les tenoit plus allerte, qu'ils ne l'étoient dans d'autres places, parce qu'il y avoit quantité de Gouverneurs qui croyoient, que quand on leur donnoit un Gouvernement, comme ce n'étoit qu'en veuë de les recompenser de leurs peines, & de leurs travaux passez, ils en devoient être exempts à l'avenir.
St. Preuil n'étoit point marié, & même ne l'avoit jamais été. Ce n'est pas qu'il n'eut trouvé occasion de l'être avantageusement, & même plusieurs fois, mais il avoit toûjours cru, que le mariage ne s'accordoit gueres bien avec un homme de son métier. Néanmoins comme il n'étoit encore qu'à la fleur de son âge, & qu'il avoit les passions vives, il avoit toûjours eu quelque Maîtresse au deffaut d'une femme. Au reste étant allé, quelque jours après avoir eu son Gouvernement, visiter tout ce qui étoit alentour jusques à deux lieües à la ronde, il trouva dans un Moulin la femme du Meunier si jolie qu'il voulut l'avoir à toute force. Cette femme qui avoit d'aussi bons yeux que si elle eut été née autre chose, qu'elle n'étoit, ne fut qu'un moment pour faire la difference qu'il y avoit à faire entre le Gouverneur & son Mari. Le tems ni la conjoncture ne leur permirent pas ni à l'un ni à l'autre de se dire rien de ce qu'ils pensoient; mais comme l'usage avoit appris à St. Preuil, que dans une occasion comme cela là, on réussissoit mieux par un tiers que par soi-même, il lui mit aux trousses son valet de chambre, qui depuis deux ou trois ans étoit devenu son maître d'hôtel. Celui-ci fut trouver son mari avec le boulanger de St. Preuil, sous pretexte de lui faire faire de la farine pour le pain de son maître. Mais tandis que le boulanger entretenoit le mari, le maître d'hôtel entretint la femme, & lui dit, que son maître étoit devenu si fort amoureux d'elle, depuis qu'il l'avoit veuë, qu'il n'auroit point de repos jusques à ce qu'il la possedât, qu'il ne pretendoit pas cependant que ce ne fut qu'une passade; qu'il en voulait faire sa maîtresse, & ne pas souffrir que son mari partageât ses caresses avec lui.
La Meuniere à qui le maître d'hôtel voulut faire present en même tems, d'un diamant qui valoit bien cinquante pistoles, sentit reveiller sa tendresse a une marque si assurée de son amour. Elle en savoit assez, toute grossiere qu'elle étoit, pour ne pas douter que lors que l'on se mettoit sur le pied de donner, ce ne fut une marque qu'on en tenoit tout de bon; ainsi elle eut fait son marché dés l'heure même, si ce n'est qu'elle crut que si elle se montroit si facile, ce seroit le moyen d'éteindre sa passion plutôt que de l'allumer. Elle en avoit peut-être fait l'experience dans les embrassemens de quelque autre, ou du moins dans ceux de son mari; quoi qu'il en soit ayant renvoyé le maître d'hôtel, sans vouloir recevoir son present, ils se separerent sans qu'il eut pu convenir de rien avec elle. Comme elle ne le renvoyoit néanmoins que d'une certaine maniere à lui faire connoître, qu'il n'y avoit que la honte qui la retenoit il en fit son rapport à son maître, qui ne fut pas fâché que sa maîtresse ne se fut pas renduë à la première proposition qu'il lui avoit fait faire. Il la fit épier quand elle viendroit à la Ville, afin de lui faire reparler, & cette femme y