Название | La vie nomade et les routes d'Angleterre au 14e siècle |
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Автор произведения | J. J. Jusserand |
Жанр | Документальная литература |
Серия | |
Издательство | Документальная литература |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066088293 |
Les maisons bâties sur le pont étaient à plusieurs étages; elles avaient leurs caves dans l'épaisseur des piles. Quand ils avaient besoin d'eau, les habitants jetaient par la fenêtre leurs seaux attachés à des cordes et les remplissaient dans la Tamise. Quelquefois par ce moyen ils portaient secours aux malheureux dont la barque avait chaviré. Les arches étaient étroites et il n'était pas rare que, l'obscurité venue, quelque bateau heurtât les piles et fût mis en pièces. Le duc de Norfolk et plusieurs autres furent sauvés de cette façon en 1428, mais beaucoup de leurs compagnons se noyèrent. D'autres fois c'étaient les habitants eux-mêmes qui avaient besoin de secours, car il arrivait parfois que leurs maisons, mal réparées, penchaient en avant et tombaient tout d'une pièce dans la rivière. Une catastrophe de ce genre se produisit en 1481.
L'une des vingt arches du pont, la treizième à partir de la cité, formait pont-levis pour laisser passer les bateaux [12] et pour fermer aussi l'accès de la ville; ce fut cet obstacle qui, en 1553, empêcha les insurgés conduits par sir Thomas Wyat de pénétrer dans Londres. A côté de l'arche mobile s'élevait une tour sur le haut de laquelle le bourreau planta longtemps les têtes des criminels décapités. Celle du grand chancelier, sir Thomas More, saigna un temps au bout d'une pique sur cette tour, avant d'être rachetée par Marguerite Roper, la fille du supplicié. En 1576, cet édifice aux sombres souvenirs fut reconstruit magnifiquement et l'on y fit des appartements très beaux. La nouvelle tour était tout entière en bois sculpté et doré, dans ce style «de papier découpé» en honneur sous Élisabeth et que blâmait le sage Harrison. Elle s'appela la «Maison-non-pareille», None-such-house. Les têtes des suppliciés ne pouvaient plus souiller une construction aussi gaie d'aspect; on les reporta sur la tour suivante, du côté de Southwark. Quatre ans après ce changement, Lyly l'euphuïste, cet élégant si attentif à flatter la vanité de ses compatriotes, terminait un de ses livres par un éloge pompeux de l'Angleterre, de ses produits, de ses universités, de sa capitale; il ajoutait: «Parmi les merveilles les plus belles et les plus extraordinaires, aucune, il me semble, n'est comparable au pont sur la Tamise. On dirait une rue continue garnie des deux côtés de hautes et imposantes maisons. Cette rue est supportée par vingt arches faites d'excellentes pierres de taille; chaque arche a soixante pieds de haut et vingt au moins d'ouverture (Ap. 2).»
C'était là un pont exceptionnel; les autres avaient une apparence moins grandiose. On était même très heureux d'en rencontrer de semblables à celui de Stratford, malgré son peu de largeur et ses profondes ornières, comme celui de la Teign entre Newton Abbot et Plymouth (reconstruit en 1815 sur des fondations romaines) [13], ou même comme le pont de bois sur la Dyke, aux arches si basses et si étroites que tout trafic par eau était interrompu pour peu que le niveau de la rivière montât. L'existence de ce dernier pont, qui, en somme, était plutôt une entrave qu'une aide pour le commerce, finit, il est vrai, par exciter l'indignation des comtés avoisinants. Aussi, pendant le quinzième siècle, fut-il accordé aux habitants, sur leur pressante requête, de reconstruire ce pont en pierre, avec une arche mobile pour les bateaux (Ap. 3).
On a déjà vu quelques exemples des moyens employés à cette époque pour assurer le maintien de ces précieux monuments, lorsque ce maintien ne constituait pas une des charges inhérentes à la propriété des terres voisines (trinoda necessitas): on sait qu'on y arrivait quelquefois à la faveur d'indulgences promises aux bienfaiteurs; d'autres fois, grâce à l'intervention des guilds, ou aussi par les dotations dont un grand seigneur enrichissait le pont qu'il avait fondé. Mais il y avait encore plusieurs moyens employés avec succès et même avec profit; c'était la perception régulière de ce droit de péage que Godfrey Pratt avait imposé arbitrairement à ses concitoyens, ou bien la collecte des offrandes pieuses faites à la chapelle du pont et à son gardien. Le droit de péage s'appelait pontagium ou brudtholl (bridgetoll); le concessionnaire de cette taxe s'engageait en compensation à faire toutes les réparations utiles. Quelquefois le roi accordait ce droit comme une faveur, pour une période déterminée; on en verra un exemple dans la pétition suivante, qui est du temps d'Édouard Ier ou d'Édouard II:
«A nostre seygnur le roy, prie le soen bacheler Williame de Latymer, seygnur de Jarmi [14], qe il ly voylle grauntier pountage pur cync aunz al pount de Jarmi, qe est debrusee, ou home soleyt passer as carettes e ove chivals en le reale chymyn entre l'ewe de Tese vers la terre de Escoce. Çoe, si ly plest, voille fere pur l'alme madame sa cumpaygne, qe est à Dieu comaundez, e pur comun profit des gentz passauntz.»
La réponse du roi est favorable: «Rex concessit pontagium per terminum [15].»
Une autre pétition très curieuse (1334) montrera l'application de l'autre moyen, c'est-à-dire la collecte d'offrandes volontaires obtenues de la charité des passants [16]; on y remarquera le rôle des clercs dans la garde de ces monuments, l'âpreté avec laquelle on se disputait le droit profitable de recueillir ces aumônes, et les détournements dont quelquefois elles étaient l'objet:
«A notre seigneur le roi et à son conseil remontre leur pauvre chapelain Robert le Fenere, curé de l'église de Saint-Clément de Huntingdon, de l'évêché de Lincoln, qu'il y a une petite chapelle nouvellement édifiée en sa paroisse, sur le pont de Huntingdon, de laquelle chapelle notre seigneur le roi a accordé et baillé la garde, tant qu'il lui plaira, à un sire Adam, gardien de la maison de Saint-Jean de Huntingdon, qui prend et emporte toutes manières d'offrandes et aumônes, et rien ne met en amendement du pont et de la chapelle susdite, comme il y est tenu. D'autre part, il semble préjudiciable à Dieu et à Sainte Église que les offrandes soient appropriées à nul sinon au curé dans la paroisse duquel la chapelle est fondée. Pour quoi ledit Robert prie, pour Dieu et Sainte Église et pour les âmes du père de notre seigneur le roi et de ses ancêtres, qu'il puisse avoir, annexée à son église, la garde de ladite chapelle, ensemble avec la charge du pont, et il mettra de son œuvre toute sa peine à les bien maintenir, de meilleure volonté que nul étranger, pour le profit et l'honneur de Sainte Église, pour plaire à Dieu et à toutes gens passant par là.»
Ce mélange d'intérêts humains et divins est soumis à l'examen ordinaire, et la demande est écartée par une fin de non-recevoir: «Non est peticio parliamenti», cette pétition ne regarde pas le parlement (Ap. 4).
D'autres fois, enfin, le pont était en même temps, lui-même, propriétaire d'immeubles et bénéficiaire des offrandes faites à sa chapelle; il avait des ressources civiles et des ressources