Название | Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812 |
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Автор произведения | Pierre de Lacretelle |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066084752 |
Les gros revenus que nécessitait un pareil train étaient tirés, d'abord des terres de Bourgogne, mais principalement des biens considérables que Mlle Dronier avait apportés en dot, et situés en Franche-Comté. C'étaient d'abord le château et les bois de Saint-Claude et Pratz; les forêts du Franois, dont les sapins s'étendaient sur plusieurs centaines d'hectares, et qui vaudraient, dira plus tard Lamartine, «des millions», mais qui, d'après lui, furent vendues peu de temps avant la Révolution. Puis deux usines hydrauliques de fil de fer à Saint-Claude et à Morez en Jura, dont Louis-François s'occupait assidûment[33]; enfin, la terre des Amorandes, avec les ruines d'un vieux château féodal, et d'importants vignobles à Poligny.
Toute cette fortune devait selon l'usage passer un jour aux mains du fils aîné, François-Louis, né le 6 juillet 1750. À l'âge de quatorze ans, il avait été inscrit a l'école de la compagnie des chevau-légers du roi, après examen des fameuses preuves de noblesse établies par son père.
Mais il était d'une santé délicate, et dut en 1776 quitter la compagnie où il n'avait fait d'ailleurs que de rares apparitions, «n'ayant tardé à venir faire ses exercices dit une note de son dossier, que par sa maladie dont il a donné les preuves». Il souffrait de la poitrine, et bientôt son état s'aggrava à un tel point que les médecins lui déconseillèrent le mariage. Or le cadet, Jean-Baptiste, était entré dans les ordres; pour assurer la postérité, il fallut donc chercher plus loin encore, et tirer de l'ombre, où il était destiné à végéter, le troisième et dernier fils, le petit chevalier de Pratz, Pierre de Lamartine.
Il était né le 21 septembre 1751; selon l'usage du temps, il ne devait pas se marier, mais, comme l'a dit Lamartine, «vieillir dans le grade modeste de capitaine, gagner lentement la croix de Saint-Louis puis, dans un âge avancé, végéter dans une chambre haute de quelque vieux château de son frère aîné, surveiller le jardin, dresser les chevaux, jouer avec les enfants, aimé mais négligé de tout le monde, et achever ainsi sa vie, inaperçu, sans biens, sans femme, sans postérité, jusqu'à ce que les infirmités et la maladie le reléguassent dans la chambre nue où pendaient au mur son casque et sa vieille épée, et qu'on dît un jour dans le château: Le chevalier est mort.»
Cette triste et solitaire existence, Pierre de Lamartine semble l'avoir acceptée avec résignation. À dix-sept ans, après avoir déjà servi deux ans comme volontaire, il adressa au ministre de la Guerre une demande en vue d'obtenir un brevet de sous-lieutenant sans appointements dans le régiment de Dauphin-cavalerie, où commandait le comte de Vibraye, ancien compagnon d'armes de son père.
Il ose espérer, terminait-il, qu'on lui accordera cette grâce en considération de ses pères et parents qui ont sacrifié une partie de leur vie et de leur fortune au service du Roy, auquel étant cadet de famille, il se propose lui-même de sacrifier avec zèle sa vie.
Le 11 mai 1769, la demande était accordée; le 1er janvier 1772, il obtenait le grade de sous-lieutenant en pied, celui de lieutenant en second le 18 juin 1776, en premier le 14 février 1779, celui de capitaine en second le 12 juillet 1781, et de capitaine le 9 mars 1788. C'est à cette époque qu'on s'occupa sérieusement de le marier.
Il en était question déjà depuis longtemps, paraît-il, mais d'année en année on ajournait «cette énormité». Lamartine a raconté, avec une verve exquise, toutes les difficultés que rencontra cette décision. C'était un soulèvement général de tous les sentiments de famille. Les chevaliers ne sont pas faits pour se marier, disait la mère révoltée: «c'est monstrueux». Mais d'autre part, laisser s'éteindre le nom, c'eût été, a-t-il dit, un crime contre le sang. Il fallut se décider malgré tout.
Tout au moins lui laissa-t-on faire un mariage d'inclination, puisqu'il épousa une jeune fille qu'il aimait depuis longtemps, mais peu dotée, ce qui n'était guère dans les traditions de la famille: Françoise-Alix Des Roys, chanoinesse-comtesse au chapitre de Salles en Beaujolais, fille d'un intendant des finances du Palais-Royal et d'une sous-gouvernante des enfants du duc de Chartres.
CHAPITRE II
LES DES ROYS[34]
Les Des Roys, famille de juristes et de magistrats, n'ont guère laissé de trace dans l'histoire de leur temps; comme les Lamartine en Bourgogne, ils vécurent tous en Auvergne la même existence probe et obscure du gentilhomme provincial fidèle au pouvoir et aux traditions, sans qu'aucun grave événement vînt modifier leurs jours paisibles et bien occupés. Avocats de père en fils dès le début du xvie siècle, ils resteront toujours pauvres: ni leur carrière peu fructueuse, ni le sol ingrat du Velay ne pouvaient les enrichir.
Il est difficile d'attribuer des origines précises à leur noblesse et à leur nom. Dans tous les actes les concernant ils sont bien qualifiés de nobles, mais aucun d'eux, soit par la seigneurie d'une terre noble, soit par l'achat d'une charge conférant la noblesse, n'a jamais répondu aux conditions requises du noble pour justifier ses prérogatives. Reste l'hypothèse du fait acquis, dont bénéficiaient les familles autochtones ou très anciennement connues dans une région: seule elle paraît applicable aux Des Roys dont le nom n'est pas celui d'un fief ajouté au nom patronymique et supprimé peu à peu par l'usage, puisqu'on rencontre au cours des xvie et xviie siècles des Des Roys d'Eschandelys, Des Roys de Lédignan, Des Roys de Chazotte, Des Roys de la Sauvetat. Pourtant leur noblesse est incontestable. Le fait d'avoir suivi l'exemple des vieilles familles de France en ne profitant pas de l'édit royal de 1696 pour faire enregistrer officiellement leurs armes prouve qu'en Auvergne ils n'avaient plus à fournir leurs preuves[35].
Quant au nom même, il est latin et ne provient pas, comme on serait porté à le croire, de Regibus, mais de Rex, décliné suivant sa fonction dans la phrase, transformé peu à peu en Reis, puis en Roys; l'évolution est d'ailleurs facile à suivre du xiie au xiiie siècle. De Regibus n'apparaît qu'au xve siècle, alors que le nom tout à fait francisé est traduit alors sous son équivalent le plus exact dans les actes latins.
Des nombreux Rex, Regis, Rege ou Reis—la plupart notaires ou clercs—qui figurent dans les cartulaires ou polyptyques de la région lyonnaise de 1100 à 1400[36], on peut conclure que là est le véritable berceau de cette famille, plus tard divisée en plusieurs branches, mais toute possessionnée en Languedoc, en Auvergne ou en Bugey; celle qui nous occupe se fixa en Velay où la première mention qu'on en rencontre remonte à 1279[37]. À partir de cette date les documents deviennent plus nombreux, sans qu'il soit possible, bien entendu, d'établir une filiation directe. Enfin, au début du xvie siècle, nous nous trouvons en présence d'une famille Des Roys établie de longue date, semble-t-il, à Montfaucon près du Puy et comptant de nombreuses alliances avec de vieilles maisons du pays. Jusqu'au milieu du xviiie siècle elle demeura dans ce bourg désolé, situé à 16 kilomètres d'Yssingeaux sur un plateau balayé de coups de vent terribles, enfoui six mois de l'année sous la neige, privé de ressources naturelles, et sans autres végétation que les bois de pins sombres qui dominent les gorges de la Dunière. Point de mouvement sinon celui des pèlerinages à la Vierge noire du Puy, très fréquentés alors, et au xvie siècle celui des bandes catholiques ou huguenotes qui ravageaient le pays avant d'entrer en Languedoc.
C'est là que vers 1480 vivait le premier Des Roys auquel on puisse rattacher directement Lamartine, «vénérable et discrète personne Denis Des Roys» dont nous savons même fort peu de chose. Par son testament rédigé le 25 février 1528 et où il est qualifié de bachelier ès lois, on voit qu'il avait trois frères: Mathurin, curé de Raucoules[38]; Louis, curé du Pailhet[39], et une