Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812. Pierre de Lacretelle

Читать онлайн.
Название Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
Автор произведения Pierre de Lacretelle
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066084752



Скачать книгу

elle accable le jeune homme de bons avis, lui conseillant de ne pas se laisser aller au découragement après ses critiques, sévères sans doute, mais formulées sans restriction dans son intérêt même, et dictées par une sympathie que tant de raisons lui commandaient.

      Ces vétilles et ces chicanes, qui firent sourire, à l'époque, ceux qui en connaissaient les motifs[52], témoignaient d'une rancune toujours vivace.

      Pourtant, malgré tout l'empire de Mme de Genlis sur son amant, Mme Des Roys continua ses fonctions jusqu'en octobre 1778, grâce à l'appui de la duchesse de Chartres, à laquelle elle voua, en cette circonstance, un dévouement éternel; elle abandonna même le Palais-Royal sur un nouveau triomphe: le gouverneur qui la remplaça auprès des princes devenus grands fut proposé par elle; c'était le chevalier de Bonnard, son ami personnel, et qu'elle avait connu chez Buffon. Le frivole Bonnard, il est vrai, n'avait rien d'un éducateur, mais il valait au moins Mme de Genlis, qui le remplaça officiellement trois ans plus tard. Ainsi, Mme Des Roys sortait victorieuse de cette lutte avec la favorite; bien mieux, la duchesse voulant lui prouver sa reconnaissance l'admit dans sa maison particulière et lui confia l'éducation de sa fille la princesse Adélaïde.

      Tandis que sa femme se tirait avec dignité de ces intrigues assez difficiles, Jean-Louis Des Roys, de son côte, avait su gagner la confiance et l'estime du duc d'Orléans en menant à bien un certain nombre d'opérations juridiques et financières de la plus haute importance pour son maître. À ses fonctions d'intendant des finances, il joignit l'administration des terres de la Fère, Albert et Carignan; en 1774, il avait préparé le règlement des droits, de la duchesse de Bourbon, belle-fille du prince de Condé, dans la succession de la duchesse d'Orléans, sa mère; en 1781, il reprit les négociations de l'affaire des princes de Chimay, qui traînaient depuis un siècle et, après plusieurs voyages en Belgique, il obtint la conclusion d'un traité qui assurait la pairie d'Avesne à la maison d'Orléans.

      En 1785, M. et Mme Des Roys demandèrent leur retraite qui leur fut accordée; mais pour marquer la satisfaction qu'il avait des services de l'intendant de son père, le duc de Chartres lui conserva à titre de pension l'intégrité de son traitement, et le pria d'accepter d'être commissaire à la liquidation du duc d'Orléans qui venait de mourir, ce que Jean-Louis Des Roys ne put refuser.

      Il se retira alors dans sa propriété de Rieux[53], qu'il avait acquise en 1776, et où, ayant obtenu la création d'une pépinière royale, il se consacra entièrement à l'agriculture. Il y vit philosophiquement commencer la Révolution, sans être jamais inquiété malgré un passé qui pourtant aurait dû le rendre suspect; quelques lettres de lui écrites à son frère de 1793 à 1795 nous le montrent parfaitement tranquille sur son sort, une entre autres, écrite de Paris le 26 mars 1793, où on lit[54]:

      Je suis las, rebuté, et très impatient d'être rendu à ma nullité champêtre; ce n'est pas que je ne m'attende à trouver là de nouveaux ennuis; et quel est le lieu ou la position dans laquelle un français puisse aujourd'hui vivre dans le calme? le désir du sage doit se borner à exister hors des foyers de l'orage et à s'estimer heureux de ressentir que les battements des vagues amorties... Les bruits du moment sont que les révoltes et attroupements armés des environs de Nantes et autres parties de la Bretagne ont été dissipés avec grand carnage. Les armées du Rhin, de la Meuse, de l'Escaut se soutiennent aussi, dit-on, et disputent le terrain aux ennemis du dehors. Dieu veuille enfin nous donner la paix, la santé et l'ordre; quand ces biens seront rendus à la France, il faudra encore bien des années pour qu'elle recouvre l'embonpoint que cette fièvre dévore. Si je ne voyais que moi dans l'orage je serais peu peiné: je serais même assez philosophe pour observer sans inquiétude les agitations des hommes; mais mes enfants, mes parents, mon frère, mes amis! je ne puis pas être indifférent et froid sur tant d'objets chéris...

      Tu me conseilles de vendre mes fonds; je sais très bien que je me donnerais par là de l'aisance, mais je vois aussi qu'elle ne pourrait être que momentanée. Je t'ai déjà observé sur cela que je ne trouverais en ce moment ni placement, ni emploi qui me donne sûreté et aisance; agioter n'est pas mon fait; placer en rentes ou obligations, rien de plus fragile; acquérir d'autres immeubles, rien à gagner dans ces revirements; les biens patrimoniaux se vendent à deux pour cent, j'achèterais comme j'aurais vendu. Je conclus pour attendre que le mal soit instant ou que l'on sache mieux sur quoi compter. Tu vois comme moi que les Révolutions opèrent rarement un mieux-être. Actuellement nous sommes à peu près maîtres de nos âmes et de nos sentiments; cela seul est à notre direction.

      Dans une autre lettre encore, du 16 avril, il apparaît toujours plus tourmenté des autres que de lui même et moins hostile qu'on n'aurait pu le prévoir aux événements du moment:

      Le mystère sur ce qui se passe à Lyon, m'inquiète beaucoup; je tremble pour les parents et les amis, hélas! pour tout le monde, car je tiens à l'humanité et à mon pays. Paris est pour le moment assez tranquille, mais l'on semble craindre la disette du pain. Il y a foule chez les boulangers, on s'y étouffe pour parvenir à s'y approvisionner. Le vrai malheur ou du moins le pire de tous est la division qui règne dans la Convention; elle est, par ses scandaleuses dissensions, distraite du bien ou dans l'impossibilité de l'opérer; sa considération s'affaiblit et le désordre s'accroît; cependant, cette Convention, toute orageuse qu'elle est, forme le seul lien, le seul pivot sur lequel tout roule. Le vaisseau s'abîme si le pilote lui manque en ce moment de crise.

      Il cessa pourtant bientôt de lui faire crédit et c'est très désabusé qu'il écrivait le 22 août 1795:

      Sûreté personnelle et du pain: ces biens n'ont heureusement pas cessé d'exister ici, mais la mauvaise santé de quelques-uns de ceux qui m'entourent et les inquiétudes et les misères publiques et trop universelles ont toujours écarté de moi la gaieté.

      Il serait bien temps que nous aperçussions quelqu'étincelle du bonheur que la Révolution nous a tant présagé; Dieu veuille que la nouvelle Constitution qu'on nous prépare en jette enfin des fondements plus solides que ne l'ont été ceux des précédentes.

      Le calme rétabli, Jean-Louis Des Roys et sa femme se retrouvèrent à nouveau dans leur propriété de Rieux où ils s'apprêtaient à finir paisiblement leurs jours lorsque la duchesse d'Orléans vint mettre une fois de plus leur dévouement à l'épreuve. La princesse, transférée à la pension du docteur Belhomme après le 9 thermidor, essayait de s'y faire oublier, lorsque le 6 septembre 1797 le gouvernement décida la mise en vigueur d'un décret du 21 prairial an III, ordonnant l'expulsion immédiate de tous les membres de la famille de Bourbon et la confiscation de leurs biens. Elle se mit en route pour l'Espagne et écrivit de Barcelone une lettre à Mme Des Roys en la priant d'aller jusqu'en Hongrie chercher sa fille, la princesse Adélaïde, pour la ramener près d'elle. La jeune fille, émigrée dès 1791 avec Mme de Genlis, avait été abandonnée par elle à l'étranger pendant que Félicité voyant la cause royale perdue, gagnait Hambourg où elle se rendait vite insupportable à tous les Français par son hypocrisie et ses calomnies.

      Heureuse de pouvoir prouver une dernière fois son dévouement à ses anciens maîtres, la vieille Mme Des Roys se mit en route à la fin de décembre 1799 et, après un long et pénible voyage qui dura près de deux ans et demi, elle accomplit heureusement sa mission. Forcées d'éviter la France interdite à la princesse Adélaïde, les deux femmes avaient dû descendre de Hongrie en Italie, où elles s'embarquèrent à Livourne; le 12 avril 1802, on lit dans le Journal intime:

      J'ai reçu une lettre de ma mère qui m'annonce enfin son arrivée à Barcelone; elle a éprouvé beaucoup d'événements, entre autres une tempête dans la traversée de Livourne en Espagne, qui a duré trois jours et deux nuits; l'entrevue de Mme d'Orléans et de sa fille a été des plus touchantes, il y avait onze ans qu'elles étaient séparées.

      La princesse Adélaïde n'oublia pas cet admirable dévouement; lorsqu'en 1814 elle reprit le chemin de Paris, elle tint à s'arrêter à Lyon pour voir les deux filles de son ancienne gouvernante, Mme de Lamartine et Mme de Vaux, et leur offrit de merveilleuses dentelles qui avaient appartenu à sa mère.