Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812. Pierre de Lacretelle

Читать онлайн.
Название Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
Автор произведения Pierre de Lacretelle
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066084752



Скачать книгу

famille de Lamartine en est d'ailleurs le meilleur exemple: à la fin du xviiie siècle, ses membres établis dans la région depuis plus de trois cents ans s'étaient lentement élevés des plus infimes fonctions aux plus hautes charges, et les transformations subies par le nom patronymique sont le meilleur témoignage de cette évolution commune à la majorité des familles de la région.

      C'est ainsi qu'au milieu du xvie siècle le chef de la famille était humble tanneur à Cluny; son fils, plus tard, fut un bourgeois influent de la ville et, à ce titre, chargé de présenter aux États du Mâconnais les revendications du tiers; et tous signaient Alamartine. Au début du xviie siècle, son petit-fils remplissait les importantes fonctions de juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny; quelques années après, il acquit la noblesse—noblesse de robe—par l'achat d'une charge de secrétaire du roi puis, par une ascension toute naturelle, ses fils acquirent des terres nobles, prirent l'épée, et virent alors s'ouvrir devant eux les chambres de la noblesse aux États de Bourgogne; le nom devint de la Martine.

      Le poète, pourtant, se montra toujours fort peu soucieux de ses origines; ses armes, même enregistrées avec tant de soin par son bisaïeul à l'Armorial général, étaient timbrées par lui d'une façon fantaisiste; alors qu'à la fin du xviie siècle les Lamartine portaient: «de gueule à deux fasces d'or chargé d'un trèfle de même», il substitua, on ne sait pourquoi, des bandes aux fasces[5]; question purement esthétique, sans doute, mais qui prouve à quel point la science héraldique le préoccupait peu; de même, à ceux qui l'interrogeaient, il répondait invariablement qu'il descendait «d'une famille noble et catholique du Mâconnais».

      Mais si tous ces petits détails le laissaient indifférent, il n'en allait pas de même de son grand-père, Louis-François de la Martine qui, fort entiché de noblesse, fit admettre dans des actes officiels du milieu du xviiie siècle plusieurs généalogies assez inexactes de sa famille[6]. Mais il avait l'excuse de vivre à une époque où les titres décidaient plus que les mérites. Pour faire admettre ses filles dans des chapitres nobles et ses fils dans des régiments d'élite, il fut donc contraint de fournir les titres requis par les statuts. Sa noblesse était incontestable, mais trop récente; c'est alors que, pour satisfaire aux règlements, il se créa des ancêtres plus ou moins authentiques. Très inhabilement, d'ailleurs, il fit subir aux registres paroissiaux des grattages et des lavages chimiques, rendus parfaitement visibles par le contraste des encres et des écritures, et il faut croire que les deux gentilshommes chargés de la vérification des pièces furent tolérants. Partout où cela fut possible, les «chevalier», «messire», «noble seigneur» remplacèrent les «maistre»; l'A de Alamartine se transforma en «de» au moyen de quelques grattages et l'on profita même de ce qu'un ancêtre avait été marié deux fois pour donner un quartier de plus à la noblesse familiale.

      Néanmoins, malgré ces falsifications plus courantes à l'époque qu'on ne le croit ordinairement, il est possible de reconstituer la généalogie exacte de la famille de Lamartine, à l'aide d'autres documents tels que les registres du bailliage, ceux-là authentiques, et d'une autorité incontestable.

      Au début du xvie siècle, les Alamartine vinrent s'établir à Cluny, sur les dépendances de la célèbre abbaye qui faisait vivre toute une population, et où le premier d'entre eux dont on trouve mention vivait en 1550, exerçant la modeste profession de tanneur cordonnier. Avec son prénom—Benoît—c'est là tout ce qu'on sait de lui, mais ses enfants nous sont un peu mieux connus[7].

      Il eut une fille, Françoise, mariée le 4 janvier 1587 à Claude Tuppinier[8], et trois fils. L'aîné, Gabriel, fut notaire au bailliage de Mâcon, par provisions du 15 septembre 1573, et épousa une demoiselle Claude Morestel dont il eut une fille, Philiberte, mariée en 1594 à Jean Durantel, notaire et procureur à Cluny. Le cadet, Benoît, avocat à Mâcon, prit pour femme le 29 octobre 1595 Jeanne Fournier, fille de Guyot Fournier et de Jacqueline Descrivieux, dont il eut neuf enfants[9]. Quant au plus jeune, Pierre, ancêtre direct du poète, on sait de lui peu de chose. Quelques actes de baptême où sa femme et lui signèrent comme marraine et parrain, nous apprennent qu'il épousa Jehanne de la Roüe, d'une famille bourgeoise du Mâconnais, sans que l'on puisse connaître ni sa profession ni quelque autre date précise de son existence, si ce n'est qu'en 1604 il fut chargé de présenter aux États du Mâconnais les revendications du Tiers.

      Vers 1575 quelques membres au moins de la famille Alamartine appartenaient à la religion réformée. Un pamphlet du temps, la Légende de dom Claude de Guise[10], œuvre de Gilbert Regnault notable huguenot de Cluny, nous apprend en effet qu'ils eurent à subir des persécutions pour leur foi:

      Quy voudrait, dit Regnault, spécifier les persécutions, les voleries, les larcins et brigandages que saint Nicaise et saint Barthélémy[11] ont exercées à l'encontre des pauvres fidelles de la Religion en la ville de Cluny, faudrait les prendre un par un, puis déchiffrer les tours, les menées, les piperies, cruautés et barbaries pour tirer les rançons de ces pauvres, ainsy que descrire les sommes de deniers qu'il a tirées des seigneurs Philibert Magnyn, Marin Arcelin, capitaine Rousset, Bolat, Division, Tuppinier, Holande, Alamartine, Corneloup, Fornier, et plusieurs autres signalés de la ville de Cluny; et nous n'aurions jamais fait, non seulement spécifier les deniers qu'il a estorqués de ces personnages, mais aussi les moyens qu'il a tenus pour leur faire renoncer Dieu, c'est-à-dire révolter la religion réformée.

      Il ne faut pas s'exagérer la valeur de cette conversion des Lamartine aux idées nouvelles qui dut être extrêmement passagère. Le mouvement réformiste en Bourgogne eut des causes très diverses, suivant les endroits où il éclata: à Mâcon et à Cluny, les émeutes et les conversions en masse de 1562 et 1567 eurent en grande partie pour cause les exactions de Claude de Guise, abbé de Cluny, qui faisait lourdement peser son autorité despotique sur les habitants.—Ceux-ci, plus par exaspération que par foi sincère, s'allièrent aux huguenots et de ce nombre furent les Lamartine. L'abbé de Cluny obtint d'ailleurs finalement gain de cause, puisqu'au début du xviie siècle on trouve un fils de Pierre pourvu d'une charge à l'abbaye même, ce qui suppose, bien entendu, un retour à la religion de ses pères.

      Estienne Alamartine, en effet, bourgeois de Cluny, est qualifié dans les actes le concernant de juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny; fonctions importantes qui lui conféraient des pouvoirs administratifs fort étendus, puisqu'il était chargé de rendre la justice pour le compte du roi sur les terres ecclésiastiques. Peu à peu, il augmenta sa situation[12]; le 25 octobre 1604, il fut nommé avocat; en 1609 le roi ayant créé trois offices de conseiller au bailliage de Mâcon, il acquit une de ces charges et enfin, en 1651, celle de secrétaire du roi fort recherchée alors puisqu'elle conférait la noblesse à son titulaire pourvu qu'il l'eût exercée vingt ans ou qu'il fût mort en étant revêtu.—Estienne Alamartine ayant été reçu en Parlement de Paris le 3 juillet 1651 et étant mort en fonction l'an 1656, la noblesse fut donc acquise à ses descendants.

      Estienne fut marié deux fois: en premières noces il épousa, le 12 octobre 1605 à Mâcon, Aymée de Pise, fille de noble Antoine de Pisz, président en l'élection du Mâconnais, et de dame Antoinette de Rymon[13], dont il n'eut pas d'enfants; et, en deuxièmes noces, le 18 novembre 1619, à Chalon, Anne Galloche, fille de Guillaume Galloche, procureur du roi en la châtellenie de Sairt-Laurent-lez-Chalon, et de Nicole Gon.

      C'est à propos de ces deux mariages que commencèrent les falsifications de Louis-François dont nous avons parlé plus haut. En effet, dans toutes les généalogies qu'il fit établir à l'époque, il eut soin, afin de donner un quartier de plus à sa noblesse, de profiter de ces deux mariages pour faire du seul Estienne deux personnages distincts: le premier fut marié avec Aymée de Pise, et le second avec Anne Galloche.

      Mais, devant l'invraisemblance des dates—le premier mariage étant de 1605 et le second de 1619, le fils présumé d'Estienne aurait donc eu treize ans à l'époque de son mariage!—il fallut d'abord reculer la date de 1605 à 1601, et avancer celle de 1619 à 1629, ce qui fut fait à l'aide de quelques grattages, et donnait alors environ vingt-sept ans au faux Estienne le jour de son mariage.

      Bien plus,