Antoinette de Mirecourt, ou, Mariage secret et Chagrins cachés. Mrs. Leprohon

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Название Antoinette de Mirecourt, ou, Mariage secret et Chagrins cachés
Автор произведения Mrs. Leprohon
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066084318



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solitude de la vie de campagne qu'il n'abandonna plus jamais.

      La petite Antoinette fut heureuse outre mesure en trouvant un guide aussi bienveillant et aussi sûr pour remplacer auprès d'elle la tendre mère que si jeune elle avait perdue, et malgré l'excessive indulgence de son père ainsi que l'étourderie naturelle de ses propres dispositions, elle devint une jeune personne aimable et charmante, sinon parfaite.

       Table des matières

      C'était la veille de la Ste. Catherine, ce jour marqué de temps immémorial chez les Canadiens, dans la maisonnette de l'habitant aussi bien que dans le Manoir du Seigneur, par une franche gaieté et des fêtes innocentes, et qui correspond avec l'Hallow-E'en des Anglais.

      Ce soir-là, la maison de Madame d'Aulnay, brillamment illuminée, retentissait des gais accords d'une contre-danse et d'un cotillon. Ses magnifiques appartements, remplis d'uniformes étincelants, de robes légères et élégantes, présentaient un coup-d'oeil brillant et animé.

      Gracieusement appuyée sur le manteau de la cheminée dont le feu pétillant jetait un nouvel éclat sur ses traits réellement beaux, Madame d'Aulnay causait avec un homme grand, de belle apparence, dont le teint clair et les yeux bleus-foncés indiquaient l'origine Anglo Saxonne. Pour produire de l'effet, la jeune femme avait mis en oeuvre toute l'artillerie de ses charmes, des regards expressifs, des sourires fascinateurs et une voix légèrement modulée; mais quoiqu'il se montrât poli et attentif, néanmoins elle se crut autorisée à penser qu'elle n'avait fait sur lui qu'une bien faible impression: pour elle, qui était d'ordinaire tant recherchée, cet échec avait quelque chose de réellement mortifiant.

      Pendant qu'elle se consumait ainsi en vains efforts, sa cousine, Mademoiselle de Mirecourt, avait plus de succès auprès de celui qui était en ce moment son danseur. Ce personnage était le Major Sternfield, surnommé l'irrésistible par quelques-unes des Dames de la compagnie, et qui certainement semblait presque mériter par son extérieur ce titre un peu exagéré. Une grande taille parfaitement proportionnée, des yeux, des cheveux et des traits d'une beauté sans défaut, jointe à un merveilleux talent de conversation et à une voix dont il savait moduler l'accent sur la musique la plus riche, étaient des dons rares qu'on ne trouve pas toujours réunis dans un heureux mortel. Ainsi pensaient plus d'un envieux et plus d'une admiratrice; ainsi pensait Audley Sternfield lui-même.

      Une partenaire convenable pour cet Apollon était sans contredit la gracieuse Antoinette de Mirecourt dont les charmes personnels étaient doublement rehaussés par cette charmante naïveté et cette timide vivacité de manières qui, pour plusieurs, la rendaient encore plus séduisante que sa beauté même. Le Major Sternfield était penché vers elle, apparemment indifférent à toute autre chose qu'à elle-même, et ne lui donnant certainement pas lieu de se plaindre d'un manque d'empressement. Tout-à-coup, avec une assez grande habileté pour une novice comme elle, changeant le ton de la conversation que Sternfield, même à cette première entrevue, cherchait à entraîner sur le terrain glissant du sentiment:

      --Dites-moi donc, s'il vous plaît, s'écria-t-elle le nom de vos compagnons d'armes: ils me sont tous inconnus.

      --Volontiers, répondit-il avec amabilité; et j'y ajouterai, si vous le voulez bien, une esquisse de leur caractère. Cette description, d'ailleurs, servira de préliminaire à leur présentation, car tous, à l'exception d'un seul, se sont promis de ne pas partir d'ici ce soir sans avoir obtenu ou tenté d'obtenir cette faveur. Pour commencer, ce monsieur sombre et tranquille que vous voyez à votre droite, est le Capitaine Assheton, un caractère très-aimable et très-inoffensif. Le jovial et rubicond personnage près de lui est le Docteur Manby, notre chirurgien, qui ampute un membre aussi joyeusement qu'il allume un cigare. Ce jeune et joli monsieur mis avec tant de recherche qui danse vis-à-vis de nous, est l'Hon. Percy de Laval; mais comme, persuadé que vous le permettriez, je lui ai promis de vous le présenter dès que ce quadrille sera terminé et qu'il doit vous demander la faveur de danser le prochain avec vous, vous aurez bientôt occasion de le connaître et de le juger par vous même.

      --Mais quel est ce majestueux personnage qui cause avec Madame d'Aulnay? demanda Antoinette en jetant un coup-d'oeil dans la direction où se trouvait Lucille avec son impassible partenaire.

      --C'est le Colonel Evelyn.

      Et en prononçant ce nom, une expression d'aversion mêlée d'impatience traversa la figure du militaire. Mais il la réprima presqu'aussitôt et ajouta sur un ton plus bas:

      --C'est la seule exception à laquelle j'ai fait allusion tout-à-l'heure et qui ne s'est pas engagé à faire votre connaissance ce soir. N'est-ce pas assez, ou voulez-vous en savoir davantage sur son compte?

      --Certainement: il m'intéresse maintenant plus que jamais.

      --C'est bien là une perfide réponse de femme! pensa en lui-même Sternfield qui reprit en inclinant légèrement la tête: Eh! bien, vos désirs seront satisfaits. Je vous dirai en peu de mots, mais strictement confidentiels, ce qu'est le Colonel Evelyn. Il compte parmi ceux qui ne croient ni en Dieu, ni en l'homme, pas même en la femme.

      --Vous m'effrayez! Mais, c'est donc un athée?

      --Non pas peut-être en théorie, mais en pratique il l'est certainement. Né et élevé dans les principes du catholicisme, jamais, de mémoire du plus ancien du régiment, il n'est entré dans une église ou une chapelle. De manières froides et réservées, il n'est avec personne sur un pied d'intime amitié. Mais ce qui, à mes yeux, constitue le plus grand et le plus impardonnable de ses crimes (ici le galant militaire sourit en signe de désaveu formel), c'est qu'il déteste souverainement les femmes. Un désappointement d'amour qu'il aurait éprouvé dans sa première jeunesse et dont aucun de nous ne connaît les détails a aigri son caractère à un tel degré, qu'il ne cache plus son aversion dédaigneuse pour les filles d'Eve qu'il déclare toutes également perfides et trompeuses. Pardon, Mademoiselle de Mirecourt, de proférer en votre présence des sentiments que je condamne énergiquement de toute mon âme; mais vous m'aviez ordonné de parler, et je n'avais d'autre alternative que celle d'obéir.... Mais, voici M. de Laval qui vient solliciter son introduction.

      La formule d'usage fut prononcée, la main d'Antoinette demandée pour la danse qui allait commencer, et Sternfield se retira, en murmurant à l'oreille de la jeune fille:

      --Je laisse la place avec un tel regret, Mademoiselle, que je me risquerai bientôt à la réclamer de nouveau.

      Si le Major Sternfield eût choisi son successeur dans l'intention de se faire ressortir davantage, son choix n'eût certainement pas été plus judicieux.

      L'Honorable Percy de Laval était un jeune homme de vingt-un ans, aux cheveux dorés, au teint rose, aux traits délicats. Récemment mis en possession d'une fortune considérable, appartenant à une ancienne et riche famille d'Angleterre, et doué, comme nous venons de le dire, de grandes attractions personnelles, il était aussi infatué de lui-même qu'un amoureux peut l'être de son amante. A tous ces dons naturels, il avait acquis par l'étude une prononciation lente et grasseyante, une manière paresseuse de se tenir debout ou de s'incliner,--il s'asseyait rarement,--et de fermer languissamment à demi ses grands yeux: toutes ces qualités variées le rendaient, du moins dans sa propre opinion, plus irrésistible que le superbe Sternfield lui même.

      Tel était le jeune Monsieur qui, après un silence prolongé, pendant lequel ses yeux avaient erré autour de la salle sans même paraître soupçonner l'existence de sa partenaire, se tourna enfin vers elle et lui demanda d'un ton moitié protecteur et moitié nonchalant: "si elle aimait la danse?"

      --Cela dépend entièrement du danseur avec lequel j'ai la bonne fortune de me trouver, répondit Antoinette avec autant d'esprit que de vérité.

      Le jeune fat ne vit dans ces mots qu'un compliment à son adresse, et après un autre silence de cinq minutes, il reprit:

      --On