Antoinette de Mirecourt, ou, Mariage secret et Chagrins cachés. Mrs. Leprohon

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Название Antoinette de Mirecourt, ou, Mariage secret et Chagrins cachés
Автор произведения Mrs. Leprohon
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066084318



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femme vêtue avec un goût exquis, et appartenant au type de ces héroïnes de Balzac qui ont dépassé la trentaine mais qui ont encore la prétention d'être jeunes.

      --Monsieur d'Aulnay! s'écria-t-elle en posant familièrement sur l'épaule de celui-ci sa jolie petite main chargée à profusion de bagues et de diamants.

      --Eh! bien, qu'y a-t-il, Lucille? demanda-t-il en fermant son livre d'un air où on pouvait lire quelque regret mais non pas de l'impatience.

      --Je suis venue t'annoncer qu'Antoinette est arrivée.

      --Antoinette! répéta-t-il machinalement.

      --Oui, cher distrait.--Et la belle main de la jeune femme lui appliqua sur la joue un léger soufflet.--Oui, ma cousine Antoinette, cette chère enfant que j'avais si souvent inutilement demandée à son père depuis six mois, a enfin obtenu la permission de venir jouir un peu, sous mes auspices, de la vie du monde.

      --Veux-tu parler de cette petite fille rose et naïve que j'ai vue, il y a deux ans, à la campagne, chez M. de Mirecourt?

      --Précisément, mais au lieu d'une petite fille, c'est aujourd'hui une jeune demoiselle, et, ce qui ne lui nuit pas le moins du monde, une riche héritière. Mon oncle de Mirecourt a consenti à la laisser venir passer l'hiver avec nous, et j'ai résolu qu'elle verrait un peu de société pendant ce temps-là.

      --Ah! je ne sais que trop bien ce que cela veut dire. A partir de ce moment, nos règlements d'intérieur vont être foulés aux pieds, la maison bouleversée et constamment assiégée par ces jeunes fats aux sabres traînants, par ces militaires Anglais dont tu as pris un soin tout particulier de me parler depuis quelque temps. Hélas! j'avais pourtant espéré que le départ du chevalier de Lévis et de ses braves compagnons mettrait à la retraite ce zèle, cette fièvre militaire; je dois l'avouer, à ma honte, si quelque chose eût pu me consoler pendant ce sombre épisode de l'histoire de mon pays, c'eût été la réalisation de cette espérance.

      --Que veux tu, cher ami? répondit Madame d'Aulnay sur un ton devenu plaintif; n'avons-nous pas assez fait pénitence pendant de longs et lugubres mois? Après tout, le monde doit vivre, et pour vivre il a besoin de société. J'aimerais autant vêtir le costume de Carmélite et te voir prendre la robe et le capuchon de Trappiste, que de continuer à vivre dans cette réclusion du cloître où nous végétons depuis si longtemps.

      --Tu es absurde, Lucille!.... Quant à la robe et au capuchon de Trappiste, je crois qu'ils conviendraient mieux à mon âge et à mes goûts, ou du moins qu'ils me seraient plus confortables que les costumes de fêtes et les habits de bal que tes projets vont me contraindre d'endosser. Mais enfin, pour parler sérieusement, je ne puis m'imaginer que toi qui avais l'habitude de parler d'une manière si touchante avec les militaires français des malheurs du Canada,--toi qui, par tes patriotiques dénonciations de nos ennemis et de nos oppresseurs, entraînais ceux qui t'écoutaient,--toi que le colonel de Bourlamarque a comparée à une héroïne de la Fronde,--je ne puis, dis-je, m'expliquer que tu ailles recevoir et fêter ces mêmes oppresseurs.

      --Mon cher d'Aulnay, je te le demande encore une fois: ai-je d'autre alternative? Je ne puis convenablement, tu en conviendras, inviter à mes réunions des commis et des apprentis, et c'est tout ce qui nous reste: notre monde est dispersé d'un côté et de l'autre. Ces officiers Anglais peuvent être d'infâmes tyrans de barbares oppresseurs, tout ce que tu voudras; mais enfin ce sont des hommes d'éducation, de bonnes manières, et--pour dernier argument--ils sont ma seule ressource.

      --Dans ce cas, dis-moi, je t'en prie, quand va commencer ce règne d'anarchie? demanda M. d'Aulnay qui, sans être convaincu, avait pris le parti de se soumettre.

      --Oh! quant à cela, mon cher André, je suis certaine d'avoir ta pleine et entière approbation. Cette bonne vieille fête de la Sainte Catherine, que nos ancêtres célébraient si joyeusement, est l'époque que j'ai choisie pour ouvrir de nouveau nos portes à la vie, à la gaieté....

      --Et, je le crains bien, pour les fermer à la paix et à la tranquillité. Mais, au moins, connais tu quelques-uns de ces messieurs désormais appelés à fréquenter nos salons et à prendre part à nos dîners?

      --Sans doute. Le Major Sternfield s'est fait présenter ici hier par le jeune Foucher, lequel aurait eu autrefois beaucoup de difficulté à être admis dans mon salon; mais, hélas! le cercle de nos relations est devenu numériquement si restreint, que nous ne pouvons plus nous montrer aussi exclusifs.

      --Est-ce que ce flamant que j'ai entrevu dans le corridor était le Major Sternfield? demanda M. d'Aulnay, à bout de ressources.

      --Flamant! répéta sa femme avec un peu de pétulance: c'est une épithète qu'il ne mérite pas du tout. Le Major Sternfield est certainement un des hommes les plus jolis et les plus élégants que j'aie jamais rencontrés, et, ce qui vaut mieux encore, c'est un parfait gentilhomme de manières et d'habitudes. Il a exprimé avec la plus grande déférence le vif désir qu'il avait, ainsi que ses compagnons, d'être admis dans nos salons Canadiens....

      --Oui, pour en enlever quelques-unes de nos héritières, et tromper les autres jeunes filles après leur avoir tourné la tête!

      --Oh! tu te trompes, répliqua Madame d'Aulnay avec énergie. Dans tous les cas, nous aurons soin que ce soient eux qui perdent, et non pas nous. Pour notre part, Antoinette et moi, nous briserons une douzaine au moins du ces coeurs insensibles, et nous vengerons ainsi les maux de notre pays.

      --Que Dieu me préserve de la logique des femmes! murmura M. d'Aulnay, en ouvrant précipitamment son livre et en reprenant son fauteuil. Eh! bien, oui, reprit-il à haute voix, invite-les tous, tous, depuis le général jusqu'à l'enseigne, si tu le désires, mais au moins laisse-moi en paix.

       Table des matières

      Heureuse et fière de son succès, Madame d'Aulnay traversa d'un pas léger le long et étroit corridor qui partait de la Bibliothèque, et entra à droite dans une jolie chambre fournie de tout ce qui pouvait donner du confort, mais dans laquelle régnait en ce moment-là une grande confusion. Des châles et des écharpes gisaient éparpillés sur les chaises, pendant qu'une valise ouverte et quantité de cartons étaient amoncelés sur le plancher.

      Debout devant un grand miroir et mettant la dernière main à l'arrangement des flots de sa chevelure, se tenait une jeune fille à la taille légère et exquise, au visage plein de charme et d'expression.

      --Déjà habillée, charmante cousine! s'écria en souriant Madame d'Aulnay. Avec très-peu tu as fait beaucoup, reprit-elle en jetant un coup-d'oeil significatif et peut-être dédaigneux sur la robe gris-sombre, aussi unie dans sa façon que dans ses matériaux, que portait la jeune fille. Mais, approche donc que je t'examine de plus près; d'ici je ne fais que t'entrevoir.

      Joignant l'action aux paroles, elle attira son amie près de la fenêtre; puis, écartant le lourd rideau de damas qui empêchait le jour de pénétrer entièrement dans la chambre:

      --Sais-tu bien, Antoinette, que tu es devenue véritablement belle! exclama-t-elle. Quel teint!...

      --Assez! assez! Lucille, interrompit celle qui était l'objet de ces éloges, en portant ses jolies petites mains sur sa figure, comme pour cacher la rougeur qui en couvrait la surface. C'est exactement ce que m'a prédit Madame Gérard lorsque je suis partie de la maison.

      --Je t'en prie, raconte-moi ce qu'a dit cette ennuyeuse, pointilleuse et scrupuleuse vieille gouvernante? Viens me dire cela.

      Et, faisant asseoir sa jeune compagne dans un fauteuil bien bourré, elle en approcha un autre et se jeta dans ses molles profondeurs.

      --D'abord, dit Antoinette entrant en matière, elle a fait tout en son pouvoir et a plus glosé pendant une semaine que je ne l'avais entendue pendant un long mois, pour induire mon père à m'empêcher de venir ici. Elle a parlé de mon