Antoinette de Mirecourt, ou, Mariage secret et Chagrins cachés. Mrs. Leprohon

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Название Antoinette de Mirecourt, ou, Mariage secret et Chagrins cachés
Автор произведения Mrs. Leprohon
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066084318



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ensuite, en ligne directe, entre les mains de son propriétaire actuel, Arthur de Mirecourt. Arrivé à l'âge viril celui-ci céda bientôt au désir naturel de voir le beau pays de France, le brillant Paris dont il avait entendu raconter tant de merveilles.

      Mais, ébloui d'abord par la splendeur de cette grande capitale et par ses innombrables attractions, le jeune homme ne tarda pas à se blaser de cette brillante dissipation et à soupirer vivement après les plaisirs simples, la vie tranquille de son pays natal. Aussi, malgré les sollicitations pressantes de ses jeunes amis de Paris, malgré les sarcasmes que lui lançaient les Dames lorsqu'il parlait du "pays de la neige et des Sauvages,"--il s'en revint dans sa patrie qu'il aimait d'un amour encore plus grand que lorsqu'il l'avait quittée. Disons-le à sa louange, son séjour à Paris n'avait en rien altéré les goûts paisibles et purs de son enfance, et jamais il n'avait pris part aux fêtes parisiennes avec autant de légèreté d'esprit et de gaieté de coeur qu'il en déploya dans les modestes réjouissances qui accueillirent son retour à Valmont.

      Des coeurs aimants l'attendaient là pour lui souhaiter la bienvenue: sa mère qui, veuve depuis longtemps, avait trouvé, dans son affection pour lui, une si grande consolation de la mort de son mari et de ses autres enfants qui reposaient paisiblement dans le caveau de l'église au-dessous du banc dans lequel chaque dimanche et chaque jour de fête elle allait immanquablement prier Dieu; des voisins, des censitaires et la jeune Corinne Delorme, orpheline et parente éloignée de Madame de Mirecourt, que celle-ci avait élevée avec un soin tout maternel, et qu'Arthur avait appris à considérer comme sa soeur.

      Quoique d'une figure gracieuse et possédant de petits traits parfaitement réguliers, Corinne n'avait jamais obtenu le titre de beauté. Cela était dû, partie à l'absence qu'on remarquait chez elle de cette gaieté et de cette animation qui manquent rarement aux jeunes Canadiennes, partie à son air languissant et mélancolique, résultat d'une constitution délicate excessivement fragile.

      Une femme plus exigeante que Madame de Mirecourt aurait sans doute accusé sa jeune protégée d'ingratitude, tant celle-ci se montrait peu communicative, tant elle mettait de réserve dans ses paroles et dans ses manières; mais jamais cette retenue ne lui avait fait oublier les intentions délicates, la respectueuse déférence qu'une jeune fille doit à sa mère.

      Jamais peut-être la froideur naturelle de Corinne ne se manifesta à Madame de Mirecourt d'une manière aussi évidente, aussi frappante qu'à l'occasion du retour d'Arthur au foyer maternel. Pendant que toutes les personnes de la maison, les amis, les voisins de la famille préparaient des fêtes et des réjouissances pour célébrer cet heureux retour, elle seule laissait voir un calme qui s'élevait presque à de l'indifférence; et lorsque, à son arrivée, le jeune Arthur, après avoir tendrement pressé sa mère dans ses bras, se tourna vers elle pour l'embrasser comme il eût fait avec sa soeur, elle ne manifesta pas plus de joie et d'émotion que si son départ n'eût eu lieu que la veille. Cette espèce d'insensibilité frappa le jeune homme, et lorsque, quelques heures plus tard, il en fit la remarque à sa mère,--dans un de ces entretiens confidentiels que celle-ci déclara être un ample dédommagement de la solitude dans laquelle son coeur avait vécu durant l'absence de son cher enfant,--Madame de Mirecourt trouva une foule de raisons pour exonérer l'accusée: cette pauvre Corinne, dit-elle, est tellement malade! elle a des maux de tête si fréquents!... mais ces excuses charitables n'empêchèrent pas le jeune homme de persister dans sa première idée et d'attribuer la froideur de Corinne à un détestable égoïsme.

      On aurait pu croire que Madame de Mirecourt, qui venait de retrouver son fils, ne se presserait pas de partager avec une rivale la large part qu'elle occupait dans son coeur; cependant, tel était bien son désir. En effet, à peine était-il installé dans la maison, qu'un vif désir de le voir marié s'empara d'elle. Obéissant à l'impulsion de cette préoccupation maternelle, elle en dit un mot à quelques-unes de ses amies, et Arthur se vit bientôt assiégé d'invitations pour des soirées et des parties de plaisir où il était certain de rencontrer de jolis minois qui auraient figuré avec un singulier avantage dans les salons du vieux Manoir. Agé de vingt-huit ans, doué d'une brillante imagination, le coeur libre de tout lien, le jeune de Mirecourt ne crut pas devoir s'abstenir de ces réunions sociales, et il y manquait rarement. Bientôt il fut obligé de s'avouer à lui-même qu'il répondait quelque peu à la sympathie que semblait avoir pour lui une riche héritière, jeune, jolie et parfaitement douée sous le rapport de l'esprit. Mais les choses n'avançant pas avec la rapidité qu'elle aurait désirée. Madame de Mirecourt se détermina à inviter celle qu'elle avait déjà choisie pour être sa fille, à venir, ainsi que plusieurs autres jeunes gens, passer une quinzaine de jours chez elle.

      Cette promenade était maintenant à son terme, et rien de bien remarquable ne s'était passé dans l'intervalle. Sans doute Arthur avait causé, dansé et plaisanté avec Mademoiselle de Niverville qui était en effet aussi bonne que charmante; mais c'était tout. Aucun mot doucereux, aucune déclaration d'amour n'étaient tombés de ses lèvres. La jeune fille était sur le point de partir, et tous deux étaient aussi libres l'un vis-à-vis de l'autre que s'ils ne se fussent jamais rencontrés. Le jeune homme éprouvait pour elle une sincère admiration; à la vérité il eût été difficile qu'il en fût autrement, et plus d'une fois la douce gaieté, les bienveillantes dispositions de la jeune fille se laissaient voir en un contraste si frappant avec l'apathique indifférence de Corinne qui semblait devenir de jours en jours plus froide et plus réservée, qu'Arthur ne pouvait s'empêcher de souhaiter pour sa mère dont elle devait être la compagne, qu'elle ressemblât à la charmante héritière de Niverville.

      Pendant que ces choses se passaient, Madame de Mirecourt, inquiète au sujet de ses plans de mariage, pensa à s'assurer de la coopération de Corinne et la pria d'insister auprès d'Arthur pour qu'il en vînt enfin à une entente avec Mlle. de Niverville avant que celle-ci partît de Valmont. La bonne mère se serait volontiers chargée de cette tâche, si les deux ou trois tentatives inutiles qu'elle avait déjà faites dans ce sens ne lui eussent fait craindre que celle-ci aurait le même sort.

      Corinne accepta, quoique avec répugnance, la délicate mission qu'on lui confiait, et un matin elle entra dans la salle à dîner où Arthur, toujours très-matinal, était à lire.

      Le jeune de Mirecourt l'écouta très-patiemment, car ses manières dénotaient plus de bienveillance qu'à l'ordinaire. Elle renchérit sur les mérites de Louise, fit valoir les espérances que Mademoiselle de Niverville et ses amis avaient probablement fondées sur les attentions qu'il lui avait portées, et montra le bonheur qu'aurait sa tendre mère de voir le réaliser enfin les plus chers désirs de son coeur.

      L'éloquence paisible mais persuasive avec laquelle elle parla surprit et convainquit presque Arthur qui ne se rendit pas cependant. Il répondit en riant qu'il avait du temps devant lui, que les invités de la maison devaient aller faire une promenade en voiture durant la même relevée, et que, comme il avait l'intention de conduire lui-même Mademoiselle de Niverville, il aurait alors une occasion très-favorable pour remplir l'attente générale. Voyant que Corinne devenait plus pressante, il s'empara de sa main, et poursuivit sur un ton plus sérieux:

      --Cette plaisanterie ne m'empêchera pas, ma bonne petite soeur, de réfléchir sérieusement et peut-être d'agir d'après les conseils que tu viens de me donner. La promenade de cet après-midi me fournira sans doute une occasion des plus propices: si je puis seulement me résoudre à m'en prévaloir! Tu viendras avec nous, n'est-ce pas?

      --Je crains bien de ne pouvoir le faire. J'ai à écrire une lettre, et il vaut mieux que je m'acquitte de cette tâche pendant la journée, afin de pouvoir vous rejoindre au salon pour cette veillée qui est la dernière que nos amis passent avec nous. Pour ce matin, j'ai une somme de travail plus forte que je n'en pourrai accomplir.

      Le temps était magnifique, le soleil brillait de tout son éclat, les chemins étaient superbes: quelle bonne fortune pour une promenade en voiture! Madame de Mirecourt elle-même avait été invitée à faire partie de l'excursion, et, enfoncée sous une robe de peau d'ours dans sa large et commode carriole, elle paraissait aussi gaie, aussi heureuse que Louise elle-même.

      Fidèle à sa détermination,