Название | Antoinette de Mirecourt, ou, Mariage secret et Chagrins cachés |
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Автор произведения | Mrs. Leprohon |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066084318 |
--Qu'est-ce que les hommes portent pour se protéger contre la rigueur sibérienne du climat?
--Des capots de peaux d'ours, répondit-elle laconiquement.
--Et les femmes,--je vous demande pardon, les dames, le beau sexe,--aurais-je dû dire?
--Des couvertes et des mocassins, répondit Antoinette, en relevant un peu sa jolie petite tête, car elle sentait que sa patience commençait à l'abandonner.
L'Honorable Percy ouvrit de grands yeux.
Etait-ce vrai? ou bien, cette "petite fille des colonies" comme il l'appelait intérieurement, voulait-elle se moquer de lui? Oh! cette dernière hypothèse était improbable, tout-à-fait hors de question. L'accoutrement dont il était question devait, en effet, être en usage dans certaines parties du pays où les femmes revêtaient encore le singulier costume que venait de dépeindre la jeune fille et qui devait être une réminiscence de ceux que portaient les sauvagesses leurs aïeules. 1
Note 1: (retour) Le lecteur voudra bien se rappeler que ceci se passait il y a près d'un siècle, alors que la chose, quoique improbable, était très-possible.--Note de l'auteur.
Revenant à la charge, il reprit avec une nonchalance de ton et d'attitude encore plus impertinente:
--On dit que pendant huit mois le sol est couvert de quatre pieds de neige et de glace, et que tout gèle. Comment donc les malheureux habitants de ce pays font-ils pour résister à la nature pendant tout ce temps-là?
L'irritation d'Antoinette avait fait place à la gaieté, et cette fois ce fut en souriant qu'elle répondit:
--Oh! ce n'est pas difficile: quand les provisions deviennent rares, ils se mangent les uns les autres.
Ciel et terre! c'était donc bien possible et bien vrai: elle voulait le mystifier! A cette découverte, sa respiration sembla suspendue, et pendant assez longtemps son étonnement le tint silencieux. Mais non, il devait punir comme elle le méritait, il devait anéantir l'audacieuse jeune fille; prenant donc un air aussi moqueur que ses traits efféminés pouvaient lui permettre d'emprunter, il reprit:
--Eh! bien, oui, le Canada est encore tellement en dehors de la civilisation, que je ne suis pas étonné que vous y tolériez toutes ces coutumes, quelles que barbares qu'elles soient.
--C'est vrai, répliqua Antoinette avec sérénité; nous pouvons y tolérer tout, excepté les fats et les fous.
Cette dernière sortie était trop forte pour le Lieutenant de Laval, et il n'était pas encore revenu du choc qu'elle lui avait causé, lorsque le Major Sternfield arriva avec empressement demander la main de Mademoiselle de Mirecourt pour une autre danse.
Antoinette passa négligemment son bras sous celui qui lui était présenté et alla se mettre en place, sans s'apercevoir que le Colonel Evelyn qui, après avoir réussi à s'échapper de Madame d'Aulnay était allé examiner des gravures près de la table placée derrière eux, avait entendu le singulier dialogue qu'elle venait de tenir avec le Lieutenant Percy et s'en était considérablement amusé.
--Eh! bien, Mademoiselle de Mirecourt, que pensez-vous de l'Honorable M. de Laval? demanda le nouveau danseur d'Antoinette. Si vous vous rappelez bien, nous avions convenu que vous formeriez de vous-même votre opinion sur lui.
--J'ai une faveur à vous demander, Major Sternfield: c'est de ne plus me présenter de petits sots. Ils font des partenaires fatigants.
Les yeux de Sternfield brillèrent d'un éclat où on aurait pu lire une joie presqu'aussitôt comprimée.
Ce soir-là, après la veillée, la salle des officiers retentit longtemps des plaisanteries et des rires qui firent tinter les oreilles de l'Honorable Percy de Laval de colère et du désir de se venger.
V.
Le lecteur sera, nous l'espérons, assez indulgent pour nous pardonner si, au risque de lui paraître ennuyeux en répétant des faits qu'il connaît aussi bien que nous, nous jetons un rapide coup-d'oeil en arrière, sur cette période de l'histoire du Canada comprenant les premières années qui suivirent la reddition de Montréal aux forces combinées de Murray, Amherst et Haviland, période sur laquelle ni les vainqueurs ni les vaincus ne peuvent s'arrêter avec un très-grand plaisir.
En dépit des termes de la capitulation qui leur garantissaient les mêmes droits que ceux accordés aux sujets Britanniques, les Canadiens qui avaient compté avec confiance sur la paisible protection d'un Gouvernement légal, furent condamnés à voir leurs tribunaux abolis, leurs juges méconnus et tout leur système social renversé pour faire place à la plus affreuse des tyrannies, la loi martiale.
Le nouveau Gouvernement, il est vrai, pouvait avoir cru ces mesures nécessaires, car il savait parfaitement que les Canadiens, trois ans après que le royal étendard de Georges eut flotté au-dessus d'eux, conservaient encore l'espoir que la France ne les avait pas tout-à-fait abandonnés et qu'elle ferait un suprême effort pour reprendre possession du pays, après que la cessation des hostilités aurait été proclamée. Cette dernière espérance, cependant, comme toutes celles que les colons de la Nouvelle-France avaient reposées dans la mère-patrie, se changea en un cruel désappointement, et par le traité de 1763 les destinées du Canada furent irrévocablement unies à celles de la Grande-Bretagne. Cette circonstance détermina une seconde émigration, encore plus considérable que la première, des hautes classes de la société qui s'en retournèrent en France où elles furent reçues avec des marques de faveur signalées et où plusieurs trouvèrent des situations honorables dans les bureaux du Gouvernement, dans la marine et et dans l'armée.
Jamais peut-être Gouvernement ne fut plus isolé d'un peuple que ne l'était la nouvelle Administration. Les Canadiens, aussi ignorants de la langue de leurs conquérants que ceux-ci l'étaient de leur cher idiome français, s'éloignèrent avec indignation des juges éperonnés et armés qui avaient été nommés pour administrer la justice au milieu d'eux, et remirent l'arrangement de leurs difficultés entre les mains du clergé de leurs paroisses et entre celles de leurs notables.
L'installation des troupes anglaises en Canada avait été suivie par l'arrivée d'une multitude d'étrangers, parmi lesquels, malheureusement se trouvèrent plusieurs aventuriers indigents qui cherchèrent aussitôt à se créer des positions sur les fortunes renversées du peuple vaincu. Le général Murray, homme dur mais strictement honorable, qui avait remplacé Lord Amherst comme Gouverneur-Général, fait, à ce sujet, les remarques suivantes: "Le Gouvernement civil établi, il a fallu choisir des magistrats et prendre des jurés parmi cent cinquante commerçants, artisans et fermiers, méprisables principalement par leur ignorance. Il n'est pas raisonnable de supposer qu'ils résistent à l'enivrement du pouvoir qui est mis entre leurs mains contre leur attente, et qu'ils ne s'empressent pas de faire voir combien ils sont habiles à l'exercer. Ils haïssent la noblesse canadienne à cause de sa naissance et parce qu'elle a des titres à leur respect; ils détestent les autres habitants, parce qu'ils les voient soustraits à l'oppression dont ils les ont menacés."
Le Juge-en-Chef Gregory qu'on avait tiré des profondeurs d'un cachot pour l'asseoir sur le banc judiciaire, ignorait entièrement, non-seulement la langue française, mais encore les plus simples notions de la loi civile; le Procureur-Général, de son côté, n'était pas mieux qualifié pour la haute fonction qui lui avait été confiée. Le pouvoir de nommer aux emplois de Secrétaire-Provincial, de Greffier du Conseil, de Régistrateur, était laissé à des favoris qui les vendaient aux plus offrants enchérisseurs.
Le Gouverneur-Général, il est vrai, fut bientôt forcé de suspendre le Juge-en-Chef et de le renvoyer en