Antoinette de Mirecourt, ou, Mariage secret et Chagrins cachés. Mrs. Leprohon

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Название Antoinette de Mirecourt, ou, Mariage secret et Chagrins cachés
Автор произведения Mrs. Leprohon
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066084318



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délicats, l'éclat que les rayons du soleil répandaient sur sa riche et soyeuse chevelure, tout cela la faisait paraître si jolie, que de Mirecourt regretta encore une fois de voir tant de froideur se cacher sous un si charmant extérieur.

      Mais ces pensées s'effacèrent bientôt dans l'excitation du départ, dans les attentions dont il devait faire preuve vis-à-vis sa jolie compagne. En effet, à peine les excursionnistes avaient-ils parcouru quelques arpents, que la charmante Louise se mit dans la tête qu'elle avait froid, et qu'elle commença à regretter l'absence d'un certain châle dont le chaud tissu lui offrait une protection contre les plus fortes bises de l'hiver. Il va sans dire qu'un aussi galant cavalier que de Mirecourt s'empressa d'offrir de retourner à la maison pour y prendre un objet aussi précieux, et aussitôt la voiture revint à son point de départ.

      --Je vais tenir les rênes, M. de Mirecourt, pendant que vous allez entrer à la maison. J'ai laissé mon châle dans la petite salle. Je vous prie de ne pas vous fâcher si je suis aussi oublieuse et si je vous occasionne autant de trouble.

      La seule réponse du jeune homme fut un sourire plein de tendresse et de doux reproches; puis, d'un pas léger et rapide, il monta dans la chambre qui lui avait été indiquée et y trouva effectivement le châle qu'il était venu chercher. Mais, à peine s'en était-il emparé, qu'un sanglot étouffé vint frapper ses oreilles. Surpris, il jeta autour de la chambre un regard scrutateur. Ce bruit, répété, semblait venir d'une chambre adjacente dont la porte donnait sur celle dans laquelle il se trouvait et qu'une couple de rayons avait fait orner du titre pompeux de Bibliothèque.

      Qu'est ce que cela pouvait être? quelle signification donner à ce bruit contenu?... Tout-à-coup, par la porte entr'ouverte, les yeux du jeune homme tombèrent sur un miroir suspendu au mur opposé de la Bibliothèque et dans lequel se reflétait la figure de Corinne Delorme. La jeune fille était assise sur un tabouret et semblait plongée dans l'amertume d'un chagrin profond; ses yeux étaient fixement attachés sur un objet que sa main tenait d'une étreinte serrée et sur lequel elle déposait de temps à autre des baisers passionnés. Cet objet! c'était le portrait d'Arthur que celui-ci avait apporté de France et donné à sa mère.

      Le jeune de Mirecourt comprit alors toute la vérité. Cette froideur, cette indifférence dont Corinne avait fait preuve, c'était donc une feinte, un voile de glace avec lequel la jeune fille avait recouvert un amour qui avait grandi avec elle, qui était devenu le sentiment dominant de sa vie, mais un sentiment que la noble fierté et la modestie de l'enfant lui avaient fait concentrer en elle-même. Oui, malgré cet amour ardent qu'elle éprouvait pour lui, elle avait eu assez de courage pour plaider la cause d'une autre, pour lui sourire au moment même où,--elle en était convaincue,--il allait offrir son coeur à une rivale!

      De Mirecourt se retira sans faire le moindre bruit, mais lorsqu'il rejoignit Mademoiselle de Niverville, sa figure était plus pâle et son air plus réservé que de coutume. Pendant toute la promenade, malgré ses plus grands efforts pour être gai, il parut très-préoccupé, ce qui lui valut les railleries de sa jolie compagne. Quel que fut le sujet de la conversation, il ne laissa échapper aucune déclaration d'amour, et, de retour au Manoir, il prit congé du groupe animé qui s'était formé autour du grand poêle et n'y revint qu'au bout d'une couple d'heures.

      La première personne qu'il rencontra en entrant au salon fut Corinne qui, un calme sourire sur son pâle visage, lui dit qu'elle espérait "qu'il s'était bien amusé durant la promenade?"

      --Médiocrement, répondit Arthur. Mais dois-je te dire, soeur, que j'ai suivi tes conseils ou non?

      Coeur courageux! aucune contraction de ses traits, aucun froncement de ses sourcils ne laissèrent deviner les terribles souffrances qu'elle éprouvait.

      --Oui, répondit-elle sur un ton bas mais distinct; dis-moi que tu as rempli les voeux de la meilleure des mères, les souhaits de tous tes amis.

      Il plongea sur elle un oeil pénétrant, et poursuivit:

      --Me féliciterais-tu, Corinne, si j'avais agi ainsi, et si ma démarche avait été couronné de succès?

      A cette question inattendue, le visage de la jeune fille se couvrit d'un vif incarnat qui disparut presqu'aussitôt; puis, se levant, elle répondit sur un ton tranquille et presque froid:

      --Pourquoi non? Le choix que tu as fait est un choix contre lequel on ne peut raisonnablement élever aucune objection.

      Sans le lui dire ouvertement, Corinne insinua à Arthur que durant la veillée ils ne devaient plus être vus ensemble; et ils se séparèrent. Mais il savait maintenant à quoi s'en tenir sur cette indifférence et cet égoïsme apparents sur lesquels il s'était jusque-là si étrangement mépris et qu'il avait si fortement condamnés.

      Le lendemain, Louise de Niverville laissait Valmont, et son tardif prétendant n'avait pas encore ouvert la bouche. Le sens d'honneur délicat qui le distinguait, la chevaleresque générosité de son coeur avaient montré au jeune de Mirecourt qu'il n'était plus libre, qu'il appartenait de droit à celle qui lui avait prodigué, sans qu'il l'eût cherché, sans qu'il l'eût demandé, le riche trésor d'un secret amour.

      Aussi, après une semaine de paisibles réflexions qui lui firent voir qu'une sympathie véritable pour Mademoiselle de Niverville n'avait jamais pris racine dans son coeur,--après une semaine pendant laquelle Corinne sembla avoir pris à tâche de l'éviter, luttant, comme une femme peut seule le faire, contre cette affection qui devenait chaque jour plus intense et plus profonde;--un soir que la jeune fille était dans l'encadrement d'une fenêtre, regardant silencieusement au-dehors les flocons de neige qui tombaient, il s'approcha d'elle, et, sans plus de préambules lui demanda de vouloir bien être sa femme?

      A cette demande, elle devint terriblement pâle, et, après quelques instants d'un silence plein d'émotion, elle murmura:

      --Puis-je être, moi pauvre fille, puis-je être l'épouse que votre mère choisirait et qui vous vaudrait l'approbation de vos amis?

      --Ce n'est pas ce que je te demande, chère Corinne. Je ne me marie pas pour complaire à mes amis ni à ma mère, et d'ailleurs, celle-ci m'aime trop pour trouver à redire sur le choix que je ferai. Ainsi, dis-le moi franchement: m'aimes-tu assez pour devenir ma femme?

      Doucement et presque en hésitant, comme si elle eût craint de livrer le secret qu'elle gardait depuis si longtemps, Corinne laissa échapper la petite monosyllabe oui! et quelques semaines après, leur mariage était célébré très-simplement, sans pompe, dans la petite église du village. Madame de Mirecourt, la première impression de surprise passée, avait sans peine sacrifié ses voeux à ceux du cher fils qu'elle idolâtrait.

      Après son mariage, la froideur et l'indifférence du Corinne s'évanouirent comme fond la neige sous le soleil d'avril, et jamais femme ne fut plus aimante ni plus dévouée. Jamais de Mirecourt ne lui dit qu'il avait surpris son secret, jamais, non plus, il ne lui donna à supposer qu'elle devait son bonheur autant à la compassion qu'à l'amour. Sa générosité fut bientôt récompensée, car l'affection ardente que sa jeune femme lui avait depuis si longtemps secrètement réservée, ne tarda pas à s'infiltrer dans son propre coeur et à le remplir tout entier.

      Hélas! une union aussi heureuse et aussi confiante devait bientôt être douloureusement éprouvée. Deux années de bonheur domestique sans mélange de peine ou de refroidissement d'amitié, deux années seulement de douces félicités pendant lesquelles Antoinette vint au monde, leur étaient accordées: après ce temps, la jeune femme, toujours délicate, commença à dépérir.

      Aucune affection, aucun soin ne purent la sauver, et en peu de mois elle fut arrachée des bras de son époux pour être transportée dans sa dernière demeure terrestre. A peine le premier anniversaire de sa mort était-il arrivé, que Madame de Mirecourt alla la rejoindre, laissant le Manoir aussi sombre, aussi silencieux que la tombe.

      Le temps fixé pour le deuil étant passé, des amis commencèrent à insinuer au jeune veuf que sa demeure avait besoin d'une maîtresse, qu'il était trop jeune pour se renfermer dans un chagrin éternel; mais il resta