Antoinette de Mirecourt, ou, Mariage secret et Chagrins cachés. Mrs. Leprohon

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Название Antoinette de Mirecourt, ou, Mariage secret et Chagrins cachés
Автор произведения Mrs. Leprohon
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066084318



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       Avec la bienveillante permission de l'auteur, par

      J. A. GENAND

      Ce n'est qu'après bien des hésitations et de pressantes sollicitations de la part de mes amis que je me suis décidé à publier sous la forme d'un volume une traduction originairement destinée à occuper le rez-de-chaussée d'un journal politique et à laquelle mes occupations ne m'ont permis de consacrer que quelques rares loisirs, insuffisants pour rendre l'original avec tous les soins et la perfection qu'il méritait.

      En cédant à l'invitation des personnes qui, dès le début de mon travail, ont bien voulu m'aider de leurs encouragements et de leurs conseils, je n'ai eu en vue d'autre objet que celui d'être utile à mes compatriotes et d'apporter mon faible contingent à la propagation de notre littérature nationale en traduisant en français une oeuvre essentiellement canadienne.

      Je m'explique.

      Ce qu'on est convenu d'appeler le roman moderne règne malheureusement chez nous comme ailleurs, et ce serait en vain qu'on essaierait de le détrôner: lutter contre cette folie du siècle serait une autre folie. Mais, de même qu'un peuple n'a que le gouvernement qu'il se crée, du moins par son attitude, de même une société ne reçoit que la nourriture intellectuelle qu'elle veut; s'il est impossible de substituer un genre à un autre, il n'est pas impossible de le modifier, de rendre cette nourriture plus saine.--J'ai voulu prouver à mes lecteurs que si la lecture des romans est une nécessité, il est du moins possible de lire honnêtement des romans honnêtes.

      En effet, contrairement à la plupart des romans importés en ce pays, qui, tous ou à peu près sans exception, s'étudient à embellir le Vice et à enlaidir la Vertu, Antoinette de Mirecourt est une grande leçon de morale. Ecrit dans le but de démontrer les funestes résultats d'un mariage clandestin, ce roman est rempli d'enseignements utiles qui ne peuvent manquer de produire d'heureux fruits dans la position sociale où nous nous trouvons en Canada.--Sous ce rapport, plus d'un motif m'a fait entreprendre l'oeuvre que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui au public.

      D'un autre côté, l'ouvrage de Madame Leprohon est, comme je viens de le dire, essentiellement Canadien. Il se rapporte à l'Histoire de notre pays; les personnages qui y figurent appartiennent, pour la plupart, à la vieille noblesse Française; la scène se passe à Montréal: tout, en un mot, y est Canadien. L'auteur lui-même qui occupe un rang élevé dans la littérature anglaise du Canada et une place distinguée parmi les écrivains Américains, appartient à une famille Canadienne.--Pour toutes ces considérations, ne voulant pas qu'un ouvrage de ce genre, auquel il ne manquait que d'être écrit en français, fût perdu pour notre littérature Canadienne, je me suis hasardé à entreprendre la traduction d'Antoinette de Mirecourt.

      Ai-je réussi? Nécessairement, avec le peu de temps que j'ai pu y consacrer, beaucoup de défauts ont dû se glisser dans mon travail, mais du moins je me flatte d'avoir fait une traduction exacte, et si la phrase est quelquefois incorrecte, le style négligé, le sens a été scrupuleusement rendu, et le fond reste ce qu'il est dans l'original.

      J'ose donc espérer que le public, entrant dans les explications que je viens de lui donner, aura pour moi cette indulgence dont les lecteurs de L'Ordre ont bien voulu user à mon égard et tiendra compte, au moins, de ma bonne volonté.

      J. A. Genand.

      Montréal, 4 Août 1865.

       Table des matières

       Table des matières

      Le tiède soleil de novembre,--le plus désagréable de nos mois canadiens,--jetait ses pâles rayons dans les rues et sur les maisons irrégulières de Montréal telle qu'elle existait en 176--, quelque temps après que le royal étendard de l'Angleterre eut remplacé sur nos remparts le drapeau aux fleurs-de-lys de la France.

      Vers l'extrémité-Est de la rue Notre-Dame, qui était à cette époque le quartier aristocratique de la Cité, s'élevait une grande maison en pierre dont les innombrables petits carreaux réfléchissaient au loin la lumière du soleil. Sans nous astreindre à la cérémonieuse formalité de frapper au marteau, franchissons de suite la porte d'entrée surmontée d'un vitreau en forme d'éventail; puis, pénétrant à l'intérieur, faisons l'inspection du tout, et lions connaissance avec les personnes qui l'habitent.

      Malgré le peu d'élévation des plafonds si justement incompatible avec nos idées modernes d'élégance et de confort, malgré les sculptures grossières et les dorures décolorées qui encadrent les portes et les fenêtres, malgré les architraves imités qui sont disposés le long des murs des différents appartements, il y a dans cette demeure une empreinte de richesse et d'élégance sur laquelle il n'est pas permis de faire doute.

      L'éclat de magnifiques peintures, les cabinets parquetés à prix coûteux, les vases antiques et une foule d'autres objets d'art que l'on aperçoit par les portes entr'ouvertes nous confirmeraient dans cette impression quand bien même nous ne saurions pas que cette maison est habitée par Monsieur d'Aulnay, un des hommes les plus marquants parmi les quelques familles appartenant à la vieille noblesse française qui étaient restées dans les principales villes du Canada après que leur pays eut passé sous une domination étrangère.

      Au moment où nous le présentons au lecteur, le maître de céans,--personnage aux traits assez irréguliers, mais à l'extérieur d'un gentilhomme,--était assis dans sa grande Bibliothèque. Les trois murs de ce vaste appartement parfaitement éclairé, étaient couverts, du plafond au plancher, de rayons remplis de livres; quelques bustes et portraits d'écrivains, artistement exécutés, en étaient les seuls ornements. Les durables reliures des volumes, parées d'aucune dorure, indiquaient que leur propriétaire les appréciait plus pour leur contenu que pour leur apparence.

      Dans l'amour passionné et sans affectation qu'il avait pour la littérature on aurait pu trouver, en effet, l'explication de la placidité de caractère et de la douceur d'habitudes qui caractérisaient le gentilhomme français, dans des circonstances de nature à mettre souvent à l'épreuve la patience de moins philosophes que lui. Quand, après la capitulation de Montréal, ses parents et ses amis lui avaient conseillé de les suivre, de s'en retourner dans la vieille France, ou, tout au moins, de fuir la ville et d'aller chercher la solitude dans sa riche Seigneurie à la campagne, il avait jeté un coup-d'oeil plein de tristesse autour de sa Bibliothèque, soupiré péniblement, et secoué la tête d'un air empreint d'une formelle détermination. En vain, quelques uns d'entr'eux, plus violents que les autres, lui avaient-ils demandé avec indignation s'il pourrait patiemment supporter l'arrogance des fiers conquérants qui venaient de débarquer sur les rivages de leur pays? en vain lui avaient-ils demandé comment il ferait pour souffrir, partout où il tournerait ses yeux, partout où il porterait ses pas, l'uniforme écarlate des soldats qui, au nom du roi Georges, gouvernaient maintenant sa patrie?.... A toutes ces représentations, à toutes ces remontrances où l'indignation s'était fait jour, il avait répondu tristement, mais avec calme, qu'il n'en verrait pas beaucoup de ces héros, attendu qu'il avait pris l'inébranlable résolution de s'enfermer pour toujours dans sa chère Bibliothèque, et de ne mettre les pieds dehors que le plus rarement possible. Enfin lorsque, non satisfaits de ces réponses, ses amis insistaient davantage, il les renvoyait à Madame d'Aulnay, et, comme on savait que cette jolie Dame avait, en plus d'une occasion, manifesté la ferme détermination de ne jamais aller s'enterrer, vivante, au fond d'une campagne,--quoique cependant elle n'eût aucune objection d'y être enterrée après sa mort,--on avait fini par laisser M. d'Aulnay en paix.

      Comme nous l'avons dit, le maître de la maison était tranquillement assis dans sa Bibliothèque; aucun souci politique