L'Humanité préhistorique. J. de Morgan

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Название L'Humanité préhistorique
Автор произведения J. de Morgan
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066075408



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Puy-Courny, près d'Aurillac (fig. 7, nos 4 et 4a), instruments qui appartiendraient au Miocène et seraient comme ceux de Thenay et d'Otta nettement tertiaires; tout dernièrement des fouilles pratiquées à Ipswich, en Angleterre, ont donné des résultats analogues, mais quelque peu plus probants au dire des savants qui ont assisté aux recherches.

      Le plus grand défenseur des éolithes tertiaires a été le géologue belge A. Rutot[62], qui non seulement les considérait comme représentant les premiers essais de l'homme dans la taille du silex, mais pensait qu'ils constituaient une industrie spéciale qui, débutant dans le Pliocène, se serait continuée jusqu'aux temps modernes parallèlement aux autres industries de la pierre (fig. 7, nos 5 et 6). Aucun fait cependant n'est venu confirmer cette hypothèse; bien au contraire, M. Boule, professeur au Muséum de Paris, a péremptoirement démontré[63] que les malaxeurs industriels de Guerville, près de Mantes, en mélangeant des argiles et des craies pour la fabrication du ciment, fabriquent des éolithes en tout semblables aux échantillons de M. Rutot, et que, par suite, les actions naturelles sont amplement suffisantes pour produire ce que l'on a considéré comme des retouches intentionnelles.

      Il n'en est pas moins vrai que nous ne pouvons nier les probabilités de l'existence d'une industrie très inférieure à celle du type paléolithique, ainsi que de la vie de l'homme vers les derniers temps du tertiaire. Malheureusement nous ne connaissons que bien peu de chose des dépôts terrestres laissés sur les continents durant les périodes miocène et pliocène; presque tous ont été lavés par les eaux lors des grandes inondations quaternaires et d'autres se sont abîmés dans les mers avec les continents qui les portaient: or c'est seulement parmi l'humus de ces époques que peuvent se rencontrer, dans des conditions probantes, les vestiges de l'homme et de ses industries.

       image Fig. 7.—Éolithes. 1, 2 et 2a, Thenay (Loir-et-Cher).—3 et 3a, Otta (Portugal)—4 et 4a, Puy-Courny.—5 et 6, Belgique. (agrandir)

      Le type chelléen.—Les plus anciens instruments, manifestement taillés par la main de l'homme, dont la connaissance nous soit parvenue, sont des silex en forme d'amande, grossièrement éclatés par percussion sur leurs deux faces, terminés en pointe à l'une de leurs extrémités, arrondis à l'autre et légèrement renflés en leur milieu. Ils différent de dimensions et souvent aussi de forme générale, sont plus ou moins allongés, plus ou moins arrondis: leur taille est très variable, cependant ils présentent le plus souvent une longueur oscillant entre dix et quinze centimètres. C'est à Abbeville et à Amiens, dans le département de la Somme, puis à Chelles, dans la Seine-et-Marne[64], au milieu d'alluvions quaternaires, que ces instruments ont été rencontrés pour la première fois (fig. 8, nos 1, 1a et b, n° 2); puis on a signalé leur présence dans les alluvions du nord de la France, de là Belgique, à Taubach[65], en Saxe-Weimar, dans les grottes de Grimaldi[66], près de Menton et en maintes autres localités de l'Occident européen; cependant en Saxe comme en Provence les coups de poing sont plutôt de type acheuléen.

      Dans presque tous ces gisements, l'instrument typique, dit chelléen, se trouve mélangé avec des éclats de forme indéterminée avec ou sans retouches, et avec d'autres retaillés sur une seule face seulement, dont les archéologues ont fait le type dit moustiérien. En général, tout cet outillage de pierre est d'un travail fort grossier, spécialement dans les régions où, comme dans le midi de la France et de la Saxe, les matériaux dont l'homme pouvait disposer, les quartzites, les grès, les quartz, etc., ne s'éclatent pas aussi aisément que le silex.

      Sauf dans quelques grottes, les instruments de type chelléen ont toujours été trouvés remaniés dans des alluvions dont l'âge relatif est indiqué par la présence d'ossements fossiles. À Chelles, ils se rencontrent avec des restes d'Elephas antiquus, Rhinoceros Mercki, Trongotherium, Ursus spelœus, Hippopotamas amphibius, Hyæna spelæa et d'équidés voisins du cheval tertiaire, l'Equus Stenonis, alors que, dans les alluvions des environs d'Abbeville[67], à ces espèces viennent s'ajouter Elephas meridionalis, E. primigenius, Hippopotamus major, Sus scropha, Cervus Belgrandi, Bison priscus et quelques autres grands vertébrés.

       image Fig. 8.—Instruments chelléens (Chelles). (agrandir)

      Nous pouvons donc nous faire une idée assez exacte des conditions naturelles dans lesquelles vivaient ces hommes primitifs. La flore de cette époque nous est révélée par les tufs de la Celle-sous-Moret (Seine-et-Marne) qui souvent contiennent des empreintes végétales; on y rencontre l'arbre de Judée, le figuier, le laurier des Canaries, le buis, le fusain à larges feuilles, espèces qui correspondent à un climat doux et humide, plus tempéré que celui dont, aujourd'hui, jouit le bassin de la Seine.

      Ces observations s'appliquent toutes à une même région, district de peu d'étendue, puisqu'il ne comprend que trois ou quatre départements limitrophes: mais si nous nous éloignons de sept au huit cents kilomètres vers l'est, en conservant à peu de chose près la même latitude, nous rencontrons, en Saxe, une faune et une flore quelque peu différentes. Là, au milieu des forêts de conifères, de bouleaux et de lauriers, vivaient: Elephas antiquus, Rhinoceros Mercki, Bos priscus, Hyæna spelæa, de nos régions, mais aussi Ursus arctos, Sus antiquus, Equus caballus, Cervus euryceros, Cervus capreolus, Castor fiber, et des capridés d'espèce indéterminée. Le climat de la Saxe était donc alors moins chaud que celui de la France, si nous admettons le synchronisme des dépôts du bassin de la Seine avec ceux de l'Europe centrale.

      À Menton, les conditions climatériques étaient également quelque peu différentes; car on rencontre, dans le remplissage des grottes, des restes d'Ursus arctos, animal qui ne semble pas avoir existé dans nos pays septentrionaux à cette époque. Nous trouvons aussi en Provence orientale Elephas antiquus et Rhinoceros Mercki.

      Quelle que soit la nature des gisements, nous ne connaissons rien de l'industrie chelléenne, en dehors de l'outillage de pierre; aucun instrument d'os ou d'ivoire n'est parvenu jusqu'à nous, l'incertitude plane même sur l'existence réelle du chelléen comme industrie spéciale. Nous avons vu que le type de Chelles est presque partout associé à des formes dites moustiériennes, instruments longtemps considérés comme étant typiques d'une industrie quaternaire plus récente et plus avancée. D'autre part, l'instrument chelléen renferme tous les principes de la hache acheuléenne ou «coup de poing» de G. de Mortillet; il est donc naturel de penser que si les Chelléens se sont contentés d'un instrument grossier, c'est que le besoin d'outils de taille plus soignée ne se faisait pas sentir pour eux, mais qu'ils étaient parfaitement aptes à façonner des instruments plus perfectionnés.

      Type acheuléen.—L'industrie acheuléenne[68] n'est autre qu'un cas particulier de l'industrie chelléenne, probablement voulu par des circonstances dont les détails nous échappent; mais si elle fut causée par des changements locaux ou par des modifications climatériques d'ordre plus étendu ayant amené de nouveaux besoins, nous l'ignorons encore. Si nous en jugeons par les données paléontologiques, à la faune interglaciaire, chaude ou tempérée correspondant au type chelléen, aurait succédé, dans nos pays, un refroidissement très sensible, et c'est peut-être à ce changement de la température que serait dû l'usage prépondérant d'instruments de même forme que ceux de Chelles, mais d'un travail plus soigné. Il semble d'ailleurs que ces deux instruments n'étaient pas taillés pour le même usage: alors que le coup de poing chelléen était destiné à frapper, la hache acheuléenne était conçue de telle sorte qu'elle fût en même temps apte à trancher et à frapper. Les instruments de type moustiérien qui, en abondance, accompagnent le type chelléen dans les alluvions comme dans les cavernes, prouvent que si les Chelléens ne taillaient pas leurs coups de poing avec plus de finesse, c'est qu'ils n'en éprouvaient pas le besoin.

      L'instrument acheuléen (fig. 9, nos 1, 2 et 3) est, en général, plus léger que celui de Chelles et ses formes sont plus variées; il en est de lancéolés, d'allongés d'une manière démesurée, au point de les faire prendre pour des poignards;