Название | L'Humanité préhistorique |
---|---|
Автор произведения | J. de Morgan |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066075408 |
Les preuves de ces oscillations du sol sont indiscutables. Les vallées sous-marines, jadis creusées à l'air libre, et que nous rencontrons aujourd'hui sur toutes les côtes de l'Europe septentrionale, sont témoins d'un affaissement considérable de notre sol. La fosse dite du cap Breton prouve un abaissement du littoral gascon d'un millier de mètres environ (fig. 2)[47]. Il en est de même pour le plateau de la mer du Nord (fig. 3) et pour l'Islande (fig. 4). Sur les côtes de la Norvège, on a reconnu l'existence d'une plate-forme, aujourd'hui située vers menille mètres de profondeur, qui jadis était au littoral de la péninsule. Cette surélévation du massif scandinave, qui s'est produite à la fin de la période tertiaire, portait à 4000 mètres, pour le moins, sa hauteur maxima. Or la Scandinavie se trouve à la même latitude que le Groenland et, certainement, n'était pas, à l'époque quaternaire, réchauffée par des courants marins tels que le Gulf-Stream; elle se trouvait donc, au point de vue de la condensation de l'humidité atmosphérique, dans des conditions analogues à celles du Groenland dont l'un des pics les plus élevés, le mont Petermann, atteint une hauteur de 3 480 mètres. Mais alors que le Groenland est entouré par des mers qui absorbent ses glaces sous forme d'icebergs, le massif Scandinave, bordé au sud par les plaines de l'Europe occidentale et centrale, à l'est par celles de la Russie, trouvait le champ libre pour développer ses mers de glace, et les étendait au loin jusque dans les régions tempérées, sans rencontrer de barrière (fig. 5). C'est ainsi qu'en Nouvelle-Zélande[48] des montagnes de 3000 mètres de hauteur envoient leurs glaciers jusqu'au milieu des forêts de fougères arborescentes[49].
Nous ne pouvons donc mieux faire, afin d'avoir un aperçu réel de ce qu'était l'inlandsis scandinave aux temps quaternaires, que de jeter les yeux sur les phénomènes glaciaires actuels du Groenland.
Le plateau de cette péninsule, haut de 1 000 à 1 500 mètres en moyenne (c'était l'altitude des plaines Scandinaves aux temps glaciaires), renfermant des pics élevés, est un immense réservoir où se précipitent constamment les névés, même au cours de l'été. Ces neiges se transforment en glace par la pression causée par leur propre accumulation, et ces glaces descendent sur les flancs du plateau jusqu'à la mer; là elles se brisent en icebergs qui s'en vont à la dérive dans la direction de Terre-Neuve.
Bien que la pente d'écoulement de ces mers de glace ne soit que de 0°, 30' environ, la pression centrale est telle que la vitesse de ces glaciers atteint des proportions hors de pair avec celles que nous connaissons sous nos latitudes. Le glacier de Iakobhavn s'avance, en juillet, avec une vitesse de 19 mètres en vingt-quatre heures[50], celui du nord d'Upernivick parcourt 31 mètres par jour, celui de Torsukatak 10 mètres seulement.
Nous sommes donc autorisés, par ces constatations irréfutables, à penser que les glaciers scandinaves ont parfois, à la suite de périodes humides, et par conséquent de grandes productions de neige, lancé leurs glaciers vers l'Europe centrale avec une vitesse de six à huit mille mètres par an; moins de deux siècles étaient dès lors plus que suffisants pour que des glaces parties des sommets les plus élevés de la chaîne Scandinave pussent arriver sur les lieux où s'élève aujourd'hui la ville de Bruxelles, et ces glaciers, qui avançaient ou reculaient suivant que les conditions climatériques avaient été plus ou moins favorables à la condensation de l'humidité atmosphérique quelques années auparavant, suivant qu'il se produisait dans l'écorce terrestre des oscillations plus ou moins importantes, pénétraient jusque dans les régions les plus fertiles de nos pays.
Mais le mouvement d'affaissement du sol, qui fut cause de la fin des phénomènes glaciaires intenses, ne s'est pas encore arrêté de nos jours. Peut-être est-il plus lent qu'autrefois, cependant il s'est fait encore sentir en bien des occasions que la préhistoire et l'histoire même enregistrent. Dans la baie du Morbihan, à l'îlot d'Erlanic, voisin de Gavrinis, des dolmens et leurs cercles de pierres sont aujourd'hui sous les eaux et ne se montrent qu'à la marée basse (fig. 6). La formation du Zuider-Zée, celle du lac de Grandlieu, la disparition de la ville d'Ys sont des témoignages de l'affaissement graduel de nos côtes, de même que la séparation de la terre ferme des Îles Normandes, et combien d'exemples encore en pourrait-on citer.
À ces modifications du relief du sol sont venues se joindre les transformations climatériques qui, forcément, devaient en être la conséquence. Les vents et les courants maritimes ont eux-mêmes changé, et, là où s'étendait la glace, il se produisait, lors de sa fusion, un abaissement considérable dans la température. Ces modifications ne sont certainement pas survenues subitement; elles ont été graduelles, entrecoupées de périodes de stagnation, et, durant ces siècles, l'homme et les animaux ont fui devant les glaces ou se sont adaptés insensiblement aux nouvelles conditions de leur vie. C'est ainsi que les grands pachydermes dont on retrouve les corps dans les glaces de la Sibérie, et que ceux mêmes de nos pays, si nous en jugeons par leurs représentations contemporaines, s'étaient peu à peu revêtus d'épaisses toisons. La flore avait changé et le mammouth se nourrissait de bourgeons de mélèze. L'homme se protégea peut-être, lui aussi, contre les rigueurs du climat: car on voit, sur les gravures magdaléniennes le représentant, des hachures qui semblent figurer de longs poils. Chassé des pays envahis par les mers de glace, il se retira vers le sud, à la recherche d'un climat plus doux et de conditions d'existence plus favorables; puis il colonisa de nouveau ses anciens domaines, quand ils furent abandonnés par les glaciers, se retira encore, obéissant toujours aux glaces; enfin, lors du grand dégel, occupa l'aire que nous habitons aujourd'hui, et d'autres terres, dont assurément nous ne soupçonnons pas même l'antique existence.
Des seuils existaient bien certainement alors dans la mer Méditerranée, et peut-être que, par l'Atlantide, ou quelque autre terre disparue, le Nouveau Monde correspondait avec notre Europe. Il ne manque pas, sur notre globe, de régions que des affinités zoologiques avec d'autres terres nous invitent à rejoindre par la pensée entre elles ou à des continents engloutis en des temps peu éloignés. Bien que le voile de l'ignorance nous cache encore la plupart des transformations de la surface terrestre contemporaines de l'existence de l'homme, nous n'en percevons pas moins l'énorme influence qu'ont eu ces grands phénomènes naturels sur les destinées de l'humanité.
Les causes des migrations humaines sont multiples, complexes, plus nombreuses encore dans les temps modernes qu'à ces époques où l'être ne cherchait que des ressources pour satisfaire à ses besoins matériels. À ce mobile aujourd'hui se joint la soif de la richesse. C'est à l'attraction qu'exerce l'or sur les esprits qu'est due l'expansion de la race européenne sur toute la surface du globe, ainsi que la disparition de familles humaines de culture inférieure: mais alors que le précieux métal n'était qu'une pierre sans valeur, ce sont les climats doux, les sols fertiles, les terrains de chasse et de pêche qui guidaient les pas des envahisseurs, et les hommes du Nord, accoutumés aux luttes contre les éléments, avaient vite raison de populations rendues nonchalantes