Название | L'Humanité préhistorique |
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Автор произведения | J. de Morgan |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066075408 |
Le type moustiérien.—L'industrie dite moustiérienne, dont nous venons d'ailleurs d'entretenir le lecteur (fig. 15, nos 1 à 3), tire son nom de la station du Moustier[81], dans la commune de Peyrac, au département de la Dordogne; là se trouve une vaste caverne qui pour la première fois en 1863 a été explorée par Lartet et Christy.
Nous avons vu plus haut que la taille des silex dits moustiériens remonte, dans nos pays, aux temps chelléens, c'est-à-dire qu'elle est contemporaine des plus anciennes traces certaines de l'homme parvenues à notre connaissance: toutefois ces instruments semblent n'avoir été que d'un usage secondaire, alors que le coup de poing chelléen ou acheuléen constituait l'outil principal. Au Moustier, et dans un grand nombre de cavernes de la Vézère, au contraire, l'usage du coup de poing devient rare, et la prédominance est aux instruments formés d'un large éclat retouché sur une face seulement.
Le grand développement du type moustiérien dans nos régions correspond à une phase climatérique froide et humide. Déjà nous avons vu que, lors de la prédominance du coup de poing acheuléen dans l'outillage, la température moyenne s'était de beaucoup abaissée. Ce refroidissement se continuant, la faune se modifia et, par les ossements dont la caverne de la Madelaine est encombrée, ainsi que toutes celles qui furent habitées à cette époque, nous constatons l'existence, dans la région, du mammouth, du Rhinoceros tichorhinus, de l'Ursus ferox, du Cervus megaceros, espèces caractéristiques de ces temps, auxquelles se joignaient le lion, l'hyène, le léopard, le renne, le glouton, le renard bleu, le bœuf musqué, le bouquetin, le chamois, la marmotte. La transition entre les deux faunes, d'ailleurs, s'était opérée graduellement, au fur et à mesure que les conditions climatériques se modifiaient et, avec elles, la flore.
Quant à l'homme, ainsi que le font aujourd'hui les Kamtchadales décrits par Pallas, il se réfugia dans les cavernes, aménagea les creux des rochers et certainement aussi, dans les vallées dépourvues d'abris naturels, près des cours d'eau, se construisit des demeures souterraines, tout comme les Tchoutches de la Sibérie orientale. Mais, pour occuper les cavernes, ils les devaient conquérir par les armes, car les animaux féroces en avaient fait leur demeure. Très souvent à la base des couches qui maintenant encombrent ces abris, on trouve les restes de leur occupation par les animaux, ours, lions et hyènes qui revenaient parfois s'y installer, soit après en avoir chassé les hôtes humains, soit alors que, pour une raison ou pour une autre, la caverne avait été abandonnée. Dans la grotte d'Echnoz-la-Moline, en Haute-Saône, on n'a pas trouvé moins de huit cents squelettes d'ours. D'après M. Dupont[82], bien des cavernes de la Belgique auraient été occupées tout d'abord par l'hyène, puis par l'ours, enfin par l'homme.
Les instruments prédominants dans l'outillage des troglodytes du Moustier sont la pointe (fig. 15, nos 1 et 2) et le racloir (fig. 15, nos 3 et 3a); la pointe est formée d'un grand éclat en ogive allongée, retouché des deux côtés sur l'une de ses faces seulement, celle qui portait les nervures répondant à l'enlèvement des éclats précédents sur le nucleus. Les racloirs sont taillés d'après le même principe, mais le plus généralement les retouches ne portent que sur un seul tranchant. Puis viennent des instruments de formes variées, lames à encoches, perçoirs, burins finement retouchés, mais toujours sur une seule face; enfin le coup de poing amygdaloïde, habilement ouvré, éclaté sur ses deux faces.
Fig. 16.—Pointe de type moustiérien, Silex blond. Oasis de Kharghiyeh (Égypte). | Fig. 17.—Pointe de type moustiérien. Silex patiné blanc. Somaliland (Rec. Seton Karr. Musée de St-Germain, no 35524). |
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On a longuement discuté sur l'usage de ces divers instruments; mais la plupart des explications sont plutôt du domaine de l'imagination que de celui de la science; car, ignorant complètement quels étaient les usages des hommes aux temps de cette industrie, nous ne pouvons affirmer aucun emploi d'une manière certaine. Les gens du Moustier, comme ceux de Menton et de Taubach, connaissaient le feu. Ils ne semblent pas avoir fait usage de l'os travaillé, ou du moins nous ne possédons pas d'instruments de cette matière; à peine connaît-on quelques phalanges de cheval[83] et des humérus de bison portant des stries qui, peut-être, ont été entaillées par la main de l'homme. Les gens du Moustier brisaient les os dans le sens de la longueur, afin d'en extraire la moelle; mais il ne semble pas qu'ils en aient utilisé les esquilles, tout au moins ils ne les ont pas façonnées.
L'industrie moustiérienne se rencontre dans toute la France, on en a constaté l'existence jusqu'en Croatie, dans d'autres régions telles que la Tunisie, l'Égypte (fig. 16), la Syrie, au Somal (fig. 17), dans les Indes (fig. 18), aux États-Unis (fig. 19); elle est intimement mélangée avec celle dite acheuléenne et, dans les diverses stations, les proportions des deux types sont sensiblement égales[84]. Ces similitudes dans la forme des instruments portent à penser que ces industries se sont, aux mêmes époques, étendues sur la majeure partie de l'Europe occidentale et centrale; mais il n'en faudrait pas déduire que les différents peuples qui habitaient nos pays étaient du même sang. Quelques pierres taillées ne suffisent pas pour nous éclairer sur les questions ethniques.
CHAPITRE II
LES INDUSTRIES ARCHÉOLITHIQUES EN EUROPE
L'effondrement du continent septentrional qui, durant les temps de la grande extension glaciaire, constituait le principal réservoir des neiges et le point de départ des mers de glace, en causant la fusion de ces grandes masses d'eau congelée, amena, en même temps que de formidables inondations, un grand abaissement de la température moyenne dans les régions voisines des anciens champs de glace; et cette période de froid, qui dans nos régions fut assurément de longue durée, causa de profondes modifications dans la flore, comme dans la faune, ainsi que dans les conditions d'existence de l'homme. Très certainement alors eurent lieu de grandes destructions par les eaux et d'importants déplacements de populations, car, d'une part, l'aire habitable s'accroissait par l'abandon que les glaces faisaient de vastes régions, et d'autre part elle diminuait en raison de ce que bien des terres disparaissaient peu à peu sous les eaux, momentanément ou pour toujours.
Dans bien des régions, telles l'Égypte, le Somal, la Mésopotamie, l'Hindoustan, les populations furent balayées en même temps que la faune qui vivait avec elle; aussi, dans ces pays, constatons-nous l'existence d'un long hiatus au cours duquel aucune trace de l'homme ne se présente. Cet hiatus correspond aux temps de l'industrie archéolithique. Ce dépeuplement évident dans les régions que je viens de citer est moins clair dans l'Occident européen, où il n'affecte que des pays de moindre étendue. Après ce cataclysme la vie s'est conservée dans des «districts de survivance», chez des hommes échappés à la mort par suite de la situation de leur habitat,