Название | L'Humanité préhistorique |
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Автор произведения | J. de Morgan |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066075408 |
À El Mekta, près du Gafsa, à Jénéyen, dans l'extrême Sud Tunisien, et sur bien d'autres points du «bled» j'ai rencontré des stations préhistoriques dans des lieux aujourd'hui désertiques et l'on voit dans le même abri des couches formées d'ossements, renfermant une industrie de gros instruments de silex, recouvertes par d'autres couches où ne se rencontrent plus que des coquilles d'hélix, en quantité prodigieuse, et une industrie de tout petits instruments de silex ressemblant beaucoup à ce qu'en France on nomme l'Aurignacien. Aux chasseurs de gibier moyen avaient succédé les mangeurs d'escargots; puis ces hommes sont partis.
Ces modifications climatériques, bien que présentant parfois une assez grande étendue géographique, n'étaient à coup sûr pas suivies partout des mêmes effets; dès lors sur les points où elles se sont produites, elles ont entraîné dans l'industrie de l'homme des modifications, qu'il serait très osé de chercher à généraliser, de même qu'il serait dangereux de synchroniser deux industries à peu près semblables, sans avoir d'autres raisons que celle de l'analogie des formes, car ces formes peuvent être voulues par des circonstances se reproduisant dans des pays divers à des époques très différentes. Nous ne devons pas perdre de vue, d'ailleurs, que nous possédons, sauf en Égypte et au Pérou, qu'une très faible partie du mobilier de ces temps, les objets en matières incorruptibles, toujours la pierre, parfois l'os et l'ivoire, mais jamais la corne, le bois, et les autres substances périssables, et que par conséquent, nous devons être très circonspects quant à l'assimilation de deux industries sur la simple vue des instruments de pierre.
Si nous en croyons certains auteurs, les diverses industries de la pierre auraient eu chacune leur foyer et, peu à peu, gagnant de proche en proche, auraient couvert d'immenses régions, toute l'Europe suivant quelques-uns. On attribuait jadis cette propagation des types à des migrations et à des invasions; aujourd'hui l'on est plutôt porté à voir dans cette diffusion des influences commerciales. Il est à croire que ces trois causes sont souvent valables, mais qu'en plus les centres d'invention ont été multiples; d'ailleurs c'est sans raison plausible et sans la moindre vraisemblance qu'on a choisi dans nos pays, parce qu'ils étaient les mieux étudiés, les centres successifs de civilisation.
Qu'une découverte se soit propagée dans les pays aptes à son application, cela n'a rien qui puisse surprendre; il ne faut cependant pas accorder à cette puissance d'expansion plus de force qu'elle ne pouvait avoir, alors que les communications entre pays éloignés les uns des autres étaient si difficiles, souvent même impossibles, et que les besoins n'étaient pas en même temps semblables dans les diverses régions.
Il convient donc de ne pas accorder aux nombreuses classifications proposées une importance mondiale, mais d'en considérer les termes comme exprimant un état industriel local, d'aire variable, il est vrai, mais toujours limitée. Rien ne prouve, dans bien des cas, que les diverses industries de même type ont été partout contemporaines et, afin d'éviter toute confusion, pour ne pas faire supposer une généralisation que rien n'autorise, il est utile de joindre à la désignation du type, acheuléen, moustiérien, magdalénien, etc., un nom géographique permettant de le localiser, ce nom pouvant d'ailleurs exprimer de vastes étendues, au cas où le synchronisme serait établi par d'indiscutables preuves tirées de la stratigraphie, mais non pas de la paléontologie seulement; car, au cours des oscillations glaciaires, entre autres, les animaux ont certainement changé d'habitat, sans que forcément l'homme les ait suivis dans leurs migrations.
L'inégalité de l'état de conservation des industries primitives dans les différentes stations cause de grandes difficultés, quand il importe d'établir des comparaisons. Les alluvions ne nous livrent que les instruments de pierre, de même que les stations en plein air; mais nous ne savons pas de quoi se composait le mobilier accompagnant les types chelléen, acheuléen et moustiérien du nord de la France. On se base, pour établir leur succession, sur la position relative des couches alluviales. Or nous ne pouvons pas affirmer que ces courants successifs ont suivi le même chemin et par conséquent lavé des stations elles-mêmes successives; peut-être bien que, parcourant des districts différents avant d'en arriver à superposer leurs apports, ils ont simplement entraîné des silex taillés contemporains, mais de stations diverses, appartenant à plusieurs types industriels; les superpositions dans les alluvions de Gafsa, en Tunisie, sont probantes à cet égard[60].
Si nous avons, dans les pages qui précèdent, appelé plus spécialement l'attention sur les incertitudes très nombreuses qu'on rencontre dans la documentation sur laquelle est basée l'étude des industries préhistoriques, c'est que, ces sortes de recherches étant très répandues, il paraît sans cesse des travaux dans lesquels les auteurs se laissent entraîner à émettre une foule d'hypothèses qui souvent n'ont rien de scientifique. De réels progrès se font, il est vrai, chaque jour; mais il ne faudrait pas croire que nos connaissances sur la question puissent autoriser déjà l'établissement d'une chronologie relative analogue à celle que nous possédons en géologie. Les diverses formations de l'écorce terrestre étant successives, les difficultés géologiques résident uniquement dans la recherche des synchronismes.
Il n'en peut pas être de même en préhistoire, car l'évolution de l'humanité vers le progrès diffère suivant les lieux aussi bien que suivant les temps et suivant les facultés de l'homme. Ce n'est qu'en multipliant à l'infini les observations qu'on établira des provinces préhistoriques, répondant à chacun des stages industriels; mais, pour ce faire, il est nécessaire que tous les pays du monde soient étudiés avec autant de soin que l'ont été les régions occidentales et centrales de l'Europe, tâche immense qui exigera beaucoup de temps d'efforts. Ramasser des pierres taillées est un agréable passe-temps auquel se livrent des milliers de collectionneurs, mais relever les observations capables de nous instruire quant à la date relative des industries est l'œuvre du petit nombre, exige des connaissances multiples que ne possèdent pas la plupart des amateurs de cailloux taillés.
PREMIÈRE PARTIE
L'ÉVOLUTION DES INDUSTRIES
CHAPITRE PREMIER
L'INDUSTRIE PALÉOLITHIQUE
Les éolithes.—Alors que, par son développement cérébral, l'homme était encore voisin de l'animal, il songeait déjà certainement aux moyens de munir son bras d'une arme capable d'accroître ses forces d'attaque et de défense et, peu à peu, la pensée lui vint d'adapter à ses besoins les armes que lui fournissait le milieu dans lequel il vivait; il usa d'une branche d'arbre, la cassant à la longueur convenable pour sa taille, et, en dégrossissant la pierre, en la rendant tranchante, il créa ces outils grossiers pour lesquels on a proposé le nom d'éolithes; mais ces instruments primitifs présentent de telles ressemblances avec les «jeux de la nature» que, bien qu'on ne puisse mettre en doute leur existence, nous ne les pouvons distinguer avec sûreté des pierres éclatées par les forces naturelles. Certains archéologues ont cru pouvoir affirmer que ces outils primitifs étaient en usage durant l'époque tertiaire. L'abbé Bourgeois, en 1867, pensa voir une taille intentionnelle sur des silex (fig. 7, nos 1, 2 et 2a) appartenant au niveau aquitanien de Thenay (Loir-et-Cher);