Emile Zola, Sa Vie et Son Oeuvre. Edmond Lepelletier

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Название Emile Zola, Sa Vie et Son Oeuvre
Автор произведения Edmond Lepelletier
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066086954



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comme un brave montant à l'assaut, sans regarder derrière soi. Il ne redoutait rien de l'avenir. N'était-il pas sûr de réussir? Après lui, s'il succombait sans que le succès final fût assuré, les siens ne manqueraient de rien. Ils recueilleraient le bénéfice de ses conceptions, de son travail. Ils hériteraient de sa gloire et des bénéfices de son génie. Un canal, c'est une mine d'or. Aussi vivait-il largement. Les premières sommes que le canal lui avait procurées, comme jetons de présence aux assemblées, honoraires d'études, actions de fondateur, furent dépensées sans inquiétude; les travaux étaient commencés, se poursuivaient; de quoi s'inquiéter? Le canal paierait tout, et au-delà. Nulle nécessité, quant à présent, d'économiser et de liarder. Plus tard, sur l'excédent des recettes, on prélèverait le patrimoine à garantir, pour la veuve et l'enfant, en cas de malheur. Une affaire si belle, si sûre, ne pouvait faire faillite.

      Le téméraire ingénieur n'avait pas prévu la banqueroute de la vie. Sa mort brusque fît écrouler tout cet édifice fragile de bien-être et de fortune, dont les fondations n'étaient même pas assurées.

      Pendant la période de constitution de la Société du Canal, et durant les démarches pour l'obtention de l'ordonnance royale équivalant à notre décret d'utilité publique, François Zola avait dû faire de nombreux voyages à Paris, sans s'arrêter. Une fois, il dut prolonger son séjour. Tout récemment marié, il avait emmené sa jeune femme. Elle était enceinte. Au lieu de loger à l'hôtel, le jeune ménage, dans l'attente du bébé, acheta des meubles, et prit un appartement, dans une maison de construction récente, au quatrième étage, rue Saint-Joseph, n° 10 bis. La maison existe encore et la rue, étroite et sombre, a peu changé. Elle devait rappeler à François Zola les ruelles des villes italiennes. Elle a pour voie parallèle, donnant sur la rue Montmartre, la bruyante rue du Croissant, pareillement étranglée, noire et fangeuse. Là est le centre des imprimeries et des marchands de journaux. C'est le quartier général des crieurs du «complet des courses», la bourse des «canards», c'est-à-dire des placards, des petits journaux occasionnels, des feuilles aux scandales éphémères, des chansons populaires, des «testaments» et autres imprimés satiriques et tapageurs, dont Hayard, «l'empereur des camelots», fut longtemps le grand pourvoyeur. Les appels glapissants des vendeurs de papier furent les premiers sons qui frappèrent les oreilles du jeune Zola. Que de fois, par la suite, son nom devait retentir, dans cette rue, parmi l'étourdissante criée des journaux!

      Dans cette maison, le 2 avril 1840, naquit donc Émile Zola.

      Voici l'acte de naissance d'Émile Zola:

      PRÉFECTURE DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE Extrait du Registre des Actes de

       Naissance du 3e arrondissement (ancien) de Paris.

      L'an mil huit cent quarante, le quatre avril, à deux heures un quart de relevée, par devant nous, Barthélemy-Benoist Decan, chevalier de la Légion d'honneur, maire du troisième arrondissement de Paris, faisant fonctions d'officier de l'état-civil, a comparu le sieur François-Antoine-Joseph-Marie Zola, ingénieur civil, âgé de quarante-quatre ans, demeurant à Paris, rue Saint-Joseph, n° 10 bis, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né avant-hier, à onze heures du soir, en sa demeure, fils de lui comparant, et de Françoise-Émélie-Orélie Aubert, son épouse, mariés à Paris, en la mairie du premier arrondissement, le seize mars mil huit cent trente neuf, auquel enfant il a donné les prénoms Émile, Édouard, Charles, Antoine; ce fait en présence de sieurs Norbert Lecerf, marchand épicier, âgé de cinquante-deux ans, demeurant à Paris, rue Saint-Joseph n° 18, et Louis-Étienne-Auguste Aubert, rentier, âgé de cinquante-six ans, demeurant à Paris, rue de Cléry n° 106, aïeul maternel de l'enfant. Et ont le père et les témoins signé avec nous, après lecture.

      Signé: F. ZOLA, NORBERT LECERF, AUBERT ET DECAN

      Les affaires de François Zola ne lui permirent pas de retourner à Aix, avant 1842. A cette époque, la famille Zola se fixa dans la vieille capitale provençale, impasse Sylvacanne. L'ingénieur dut bientôt faire un nouveau séjour à Paris, nécessité par la surveillance de sa machine à déblayer, qui fonctionnait à Montrouge, pour les travaux des fortifications. Ce nouveau séjour se prolongea pendant un an et demi. Le petit Zola, né à Paris, transporté à Aix, puis ramené à Paris, ne revint définitivement en Provence qu'à l'âge de cinq ans et demi. Il était trop jeune encore, lors de ce second habitat parisien, pour rien comprendre à la grande ville, ni pour en rien retenir. Paris n'a donc pu influer sur son intelligence en formation, sur son caractère, encore moins sur son talent futur, sur son génie.

      Parisien de naissance, Émile Zola allait devenir Méridional, par le milieu où il se trouvait transporté, par les impressions premières, par les perceptions oculaires et auditives, par l'air même respiré à Aix et dans ses environs.

      Il grandit dans la liberté d'un vaste jardin, dépendant de la maison de l'impasse Sylvacanne. La maison était bourgeoise; elle avait été habitée par la famille de M. Thiers. Quand la mort priva la famille Zola de son soutien, cette demeure se trouva trop somptueuse et d'entretien coûteux. Mais il n'est pas aisé, au lendemain d'une catastrophe qui bouleverse les existences et démolit les fortunes, de se débarrasser instantanément d'agréments et d'engagements datant de l'époque heureuse. La veuve, liée par un bail, dut conserver l'élégante maison. Alors les meubles riches, les bibelots précieux, un à un, prirent le chemin de la boutique du brocanteur. Les domestiques avaient été congédiés. On ne garda pas même une petite servante, dans cette vaste demeure, Émilie Zola était très prise par ses procès. Pas une minute ne semblait lui appartenir. Elle courait, accompagnée de sa mère, l'intelligente et pratique beauceronne, de l'avoué chez l'avocat. Elle laissait la maison aller au hasard, et son enfant croître à l'aventure. Les charges de ce petit ménage, composé de trois personnes et d'un garçonnet, retombaient sur les bras, heureusement robustes encore, de la grand'maman Aubert. La bonne ménagère qu'elle était suffisait à tout. Elle balayait, frottait, lavait et cuisinait, après les courses en ville. Sans cesse à la besogne, toujours alerte et de bonne humeur; elle faisait la foule, et suppléait, dans cette grande caserne, au personnel absent.

      Ainsi les deux femmes et le grand-père Aubert, vieillard somnolent, n'avaient guère le temps de s'occuper du gamin. Le petit Émile poussait comme une plante agreste et vivace. Il allait, venait, courait, trébuchait, tombait, se ramassait, jouait avec des cailloux, se roulait sur l'herbe, écorchait sa veste, salissait, dans les ornières, bas et chaussettes, attrapait des papillons, pourchassait des cigales, chantonnait avec les alouettes, sifflait avec les merles; sous les platanes et les micocouliers, il se développait avec la vigueur d'un jeune animal en liberté. On ne lui adressait aucun des reproches traditionnels dans les familles. Il ignorait les recommandations dont on accable les petits garçons. Jamais on ne lui défendit de grimper dans les branches ou de se glisser sous les haies; il ne reçut point des taloches pour avoir déchiré sa culotte ou taché sa blouse. Cette première éducation, cet élevage sans contrainte, cette absence de la culture élémentaire ordinaire, eurent certainement, sur la formation du cerveau du jeune sauvageon, qui devait être, un jour, l'un des produits supérieurs de l'espèce humaine, une influence plus déterminante que l'atavisme.

      Les deux femmes, tout en veillant avec amour sur la santé et sur le bien-être de l'enfant, semblaient se préoccuper médiocrement de son éducation première. Les notions élémentaires de maintien, de politesse, de maniérisme et de minauderie, qu'on s'efforce d'inculquer aux jeunes enfants, à tous les degrés de la société, lui furent épargnées, il échappa à la contrainte de «se bien tenir». Il n'eut pas à se préoccuper d'être très sage, quand il y avait du monde, et de demeurer immobile, en visite, ce qui est le fondement de l'enseignement élémentaire des sujets de la classe moyenne. Sans avoir préalablement lu Jean-Jacques, et sans prendre l'Émile du philosophe comme le modèle de l'enfant à éduquer, grand'maman Aubert, vaquant du sous-sol au grenier, et petite maman Zola, courant les études et les greffes, élevèrent, l'Émile de l'impasse Sylvacanne en véritable enfant de la nature.

      Le jeune Zola ne fut pas du tout un petit prodige. On aurait pu le classer plutôt parmi les élèves en retard. On range pêle-mêle communément dans cette catégorie, d'une