Emile Zola, Sa Vie et Son Oeuvre. Edmond Lepelletier

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Название Emile Zola, Sa Vie et Son Oeuvre
Автор произведения Edmond Lepelletier
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066086954



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ils épellent encore quand les autres lisent couramment. Ce fut le cas du petit Émile.

      À sept ans, il ne savait pas ses lettres. Il fallut pourtant se décider à les lui apprendre. Il convenait, par dignité, à raison de la condition sociale dans laquelle il était né, de l'arracher à son éducation purement champêtre. Le fils d'un ingénieur, l'héritier, sinon des produits financiers du canal, du moins de la renommée de son auteur, pouvait, un jour, obtenir des appuis dans la haute société aixoise, rencontrer même des protecteurs à Paris. Ceux qui avaient connu et apprécié le constructeur du canal, M. Thiers, par exemple, lui faciliteraient peut-être l'accès d'une carrière. Encore fallait-il que le futur candidat se présentât avec le bagage de savoir obligatoire. Le fils de François Zola ne devait pas demeurer dans l'état fruste d'un berger de la Camargue. Il convenait donc de conduire Émile au collège. Les études classiques, débutant par «rosa, la rose», et aboutissant aux Conciones, aux dissertations françaises, avec le baccalauréat à passer, c'était la filière nécessaire et régulière de tous les fils de la bourgeoisie. Ici, on ne suivait plus du tout les préceptes d'éducation de Rousseau. L'Émile du philosophe apprenait l'état de menuisier, ce qui, d'ailleurs, à la veille de la Révolution, était plus prudent que de se façonner au métier, bientôt inutile et périlleux, de gentilhomme de la Chambre. Les deux femmes voulurent donc préparer le petit Émile à devenir, non pas un homme de lettres, grands dieux! mais un avocat, un médecin, ou tout au moins un bureaucrate. Qui pouvait savoir? Le diplôme mène à tout. Le parchemin de bachelier, c'est la pièce héraldique moderne, sans laquelle on ne saurait se présenter, avec chance de succès, dans la lice où se disputent les places et les honneurs. Comme autrefois la noblesse, le titre universitaire donne accès aux grades et aux emplois. Émile bachelier pourrait bien devenir, un jour, sous-préfet!

      Les songes ambitieux des deux femmes furent réalisés, dépassés, mais autrement. Émile Zola, cependant, ne put être reçu bachelier, et ne fut que quelques heures sous-préfet.

      On ne pouvait mettre, dans un collège de l'État, cet enfant de huit ans, pour qui l'alphabet était comme une stèle aux caractères cunéiformes. Il fut décidé qu'on l'enverrait, d'abord, dans une petite pension. On le mena donc chez un de ces pauvres instituteurs libres, dont les établissements étaient achalandés par les familles modestes, ayant la vanité de soustraire leurs rejetons à la promiscuité de l'école communale, alors fréquentée seulement, dans les villes, par les fils d'ouvriers.

      Dans cette institution à bon marché et à peu d'élèves, Zola apprit ses lettres et les premiers éléments. Sa famille s'était enfin débarrassée du coûteux loyer de l'impasse Sylvacanne. Elle était venue se loger, à moins de frais, au pont de Béraud, dans la banlieue d'Aix. Le jeune élève fit souvent l'école buissonnière: le nouveau logis et ses environs lui en fournissant la tentation. Il avait plus d'herbe à sa disposition, plus d'espace à parcourir, et, autour de lui, s'étendait un paysage dont la sévérité n'excluait pas la grâce. L'impression en demeura vive et persistante dans les prunelles de l'adolescent. Plus tard, les Contes à Ninon ont témoigné de cette première sensation rustique. Le goût de la campagne, dans la prime jeunesse, ressemble à un amour de la treizième année. Toute la vie en demeure embaumée, et l'homme fait s'en montre imprégné jusqu'aux moëlles. En suivant le cours sinueux de la Torse, Émile Zola acquit le sens de la nature. Cette rivière, symboliquement, circulera dans toute son œuvre.

      À treize ans, comme il n'avait plus rien à apprendre, dans les classes primaires du pensionnat Notre-Dame, et comme on ne pouvait plus le laisser vagabonder, tel qu'un chevreau, par les garrigues, on le présenta au collège de la ville, depuis lycée Mignet. Admis comme demi-pensionnaire, en 1852, il fut placé en huitième.

      Pour être près de lui, pour lui éviter, le soir, un long parcours, sa mère avait quitté la banlieue, et pris un appartement dans la ville même, rue Bellegarde. Émile passa cinq ans, environ, au collège d'Aix. Sans se révéler un de ces lauréats qui font réclame pour leurs professeurs et pour leur lycée, il fut loin d'être un cancre. Il eut des récompenses nombreuses, et, en troisième, il obtint le prix d'honneur. Voici, d'ailleurs, un extrait de ses palmarès:

      En 1853, classe de septième.—1er prix de version latine, d'histoire et de géographie, de récitation; 2e prix d'instruction religieuse, de thème latin; 1er accessit d'excellence; 2e accessit de grammaire française et calcul.

      En 1854, classe de sixième.—Tableau d'honneur, 1re mention; 1er prix d'histoire et de géographie; 1er accessit d'instruction religieuse; 2e accessit d'excellence; 3e accessit de récitation.

      En 1855, classe de cinquième.—1er prix de thème latin, de version latine; 2e prix de version grecque; 1er accessit d'excellence; 2e accessit d'histoire et géographie; 3e accessit de français et de récitation.

      En 1856, classe de quatrième.—1er prix d'excellence, de thème latin, de version latine, de vers latins; 2e prix de version grecque, de grammaire générale, d'histoire et géographie.

      En 1857, classe de troisième.—Prix de tableau d'honneur; 1er prix d'excellence, de narration française, d'arithmétique, de géométrie et application, de physique, chimie et histoire naturelle, de récitation; 2e prix d'instruction religieuse, de version latine; 1er accessit d'histoire et géographie.

      On remarquera la progression continue de ses succès. Laborieux, attentif et opiniâtre, l'élève Zola affirmait déjà son goût du travail, sa croyance au travail. Avec du vouloir, avec de l'énergie sécrétée régulièrement, patiemment,—ce fut la règle et la force de son existence—il était certain d'arriver au but proposé.

      Parvenu à la classe de troisième, il avait bifurqué. La bifurcation, établie par le ministre Fortoul, obligeait l'élève, avant de passer, des classes de grammaire, dans les divisions supérieures, à déclarer qu'il choisissait les Sciences, ou bien les Lettres. Émile opta pour les Sciences. Ce fut ainsi, notamment en sciences physiques et naturelles, pour lesquelles le futur auteur du Roman Expérimental, l'apologiste de Claude Bernard, le théoricien de la littérature scientifique, avait un goût très vif, qu'il se montra l'un des meilleurs élèves de sa classe. Il témoigna d'une sorte d'aversion pour la littérature classique. Il eût dit volontiers, avec les Berchoux, les La Mothe, les Lemierre: «Qui nous délivrera des Grecs et des Romains?» Il est probable, il est certain même, qu'il a, par la suite, pris connaissance des maîtres de la littérature antique, mais il ne dut les lire que dans des traductions. Il a affirmé, à plusieurs reprises, peut-être avec un peu de fanfaronnade, car il avait eu un 2e prix de version, en troisième, ne pas savoir le latin. C'est un mérite plutôt négatif. Zola paraissait satisfait de cette ignorance. Il la proclamait, comme une vanterie. C'est une tactique d'orgueil assez fréquente, que la fierté d'un dédain pour ce qui vous a fait défaut dans la vie ou pour ce qui vous échappe. Que de gens font fi de ces raisins, pour eux trop verts: titres de noblesse, terres, châteaux, bijoux, décorations, bonnes fortunes, invitations mondaines, voyages, villégiatures. Dans l'ordre intellectuel, ce faux mépris des richesses scientifiques ou artistiques, qu'on n'a pu acquérir, est aussi répandu. Zola semblait tout heureux de «n'avoir entendu parler de Virgile que «par ouï-dire». Ce n'est pas seulement la langue virgilienne qu'il reconnaissait ne pas savoir; «Je suis ignorant de tout, de la grammaire comme de l'histoire», écrivait-il, en 1860, à son ami Cézanne. Il a certainement, par la suite, bouché quelque peu ce trou dans son instruction générale. En ce qui concerne la grammaire, il exagérait une ignorance assurément relative, mais qui donc peut se targuer de bien posséder la grammaire? Les candidates au brevet d'institutrice, et encore! Pour l'histoire, Zola devait peu s'intéresser à cette résurrection de la vie passée. On ne trouve, dans son œuvre, aucune allusion, comparaison ou citation historiques. Ceci est rare et significatif. Combien il diffère, sur ce point, de Victor Hugo, avec lequel il a tant d'affinités descriptives, coloristes, grandiloquentes et outrancières. «J'aime mieux tout tirer de moi que de le tirer des autres,» a-t-il dit, non sans quelque infatuation, car, en littérature aussi, on est toujours, comme dit Brid'oison, fils de quelqu'un.

      Dans un «interview» que j'ai dirigé, surveillé, et révisé, en 1880,—le terme n'était pas bien connu, mais ce genre d'article anecdotique,