Название | Emile Zola, Sa Vie et Son Oeuvre |
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Автор произведения | Edmond Lepelletier |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066086954 |
La famille Zola, cependant, dégringolait. On était loin du faîte de bourgeoisie, où l'ingénieur avait tant souhaité placer les siens. Les logements remplaçaient les appartements, qui eux-mêmes avaient succédé à la vaste maison bourgeoise de l'impasse Sylvacanne, illustrée par le séjour de M. Thiers. De la bastide campagnarde du Pont-de-Béraud, de la demeure bourgeoise de la rue Bellegarde, de la maisonnette de la rue Roux-Alphéran, il avait fallu reculer jusqu'aux faubourgs, et prendre un appartement modeste, cours des Minimes. C'était trop cher encore. Un logement d'ouvrier, rue Mazarine, donnant sur les remparts en ruines, dans le plus pauvre quartier de la ville, reçut enfin la famille déchue.
Dans ce misérable logis, en novembre 1857, mourut la courageuse grand'mère, maman Aubert. Le grand-père et le petit Émile demeurèrent seuls, car Mme Zola, pressée par les créanciers, accablée par des procès interminables, assaillie par les réclamations d'avides avoués, ayant son mobilier en grande partie vendu, avait pris le parti de quitter Aix. Elle s'était rendue à Paris. Elle espérait trouver, parmi les anciens amis de son mari, conseils, aide, protection. Elle se promettait de voir M. Thiers. Elle éprouva probablement de dures déceptions, car, au lieu de revenir à Aix, comme elle l'avait espéré, avec de bonnes promesses et peut-être de l'argent, elle résolut de se fixer à Paris et de faire venir son fils et le grand-père. Le jeune Zola reçut une lettre pressante et désolée de sa mère. Elle lui recommandait de vendre les quelques pauvres meubles qui restaient, et de la rejoindre aussitôt à Paris. «Avec l'argent du mobilier, disait la malheureuse femme, tu auras assez pour prendre ton billet de troisième classe et celui de ton grand-père. Dépêche-toi. Je t'attends!» C'était la misère noire et le naufrage complet.
Après avoir dit un adieu, estimé provisoire, à ses chers inséparables, Baille et Cézanne, le jeune Émile et le vieil Aubert montèrent dans le wagon, et arrivèrent à Paris, en février 1858. Émile Zola avait alors 18 ans.
Grâce à la protection de M. Labot, avocat au Conseil d'État, ancien ami de François Zola, Émile obtint une bourse. Il fit donc sa seconde et sa rhétorique au lycée Saint-Louis. Nous avons dit qu'il ne fut là qu'un lycéen médiocre. Il obtint, cependant, un 2e prix de narration française. Il était distrait et indifférent, en classe. Rien de ce qu'on y enseignait ne l'intéressait. Mais la littérature, non classique, les auteurs dont on ne parlait jamais en chaire lycéenne, Victor Hugo et Musset principalement, le passionnaient, et accaparaient toute son attention, captaient toute son intelligence.
En quittant Aix, il avait été convenu, avec Baille et Cézanne, qu'on se reverrait à Paris. En attendant cette réunion désirée, où l'on revivrait un peu les chères heures provençales, déjà lointaines, mais non effacées, on devait s'écrire, souvent et longuement. Zola ne faillit point à cet engagement. On a, datées de cette époque, de nombreuses lettres de lui à Baille, à Cézanne, et quelques billets à un autre condisciple d'Aix, Marius Roux, qui viennent d'être publiées par l'éditeur Fasquelle.
Dans une de ces lettres, écrites du lycée Saint-Louis, Zola annonce sa ferme intention de décrocher le diplôme de bachelier ès-lettres. Une fois qu'il tiendra son diplôme, il fera son droit.
… C'est une carrière, dit-il, qui sympathise beaucoup avec mes
idées. Je suis donc décidé à me faire avocat. Tu peux être assuré
que l'oreille de l'écrivain se montrera sous la toge.
Il s'informait auprès de son ami, qui avait fait des études littéraires, de la façon dont il devait préparer son examen. Il comptait prendre un répétiteur pour corriger ses devoirs. Il n'abandonnerait pas l'obtention du baccalauréat ès-sciences, et il annonçait sa volonté, dès qu'il serait reçu, pour les Lettres, de livrer le second combat à la Sorbonne. Ces courageuses résolutions, qui ne devaient pas être suivies d'exécution, l'écolier les transmit au jeune écrivain, qui les réalisa, mais pas de la même façon. Dès cette époque, le lycéen Zola formulait, dans une phrase confidentiellement jetée à son camarade Baille, ce qui devait être la règle et la devise de toute sa laborieuse existence, sa force et sa joie à la fois: «Il n'est qu'un moyen d'arriver, et je l'ai toujours dit: c'est le travail!»
Le rhétoricien, un peu, beaucoup en retard, car il avait dix-neuf ans sonnés quand il se présenta aux juges, en Sorbonne, échoua, dans des conditions assez curieuses. Il avait été reçu à l'écrit, formant la première partie de l'examen, la plus redoutée, étant éliminatoire et d'une difficulté plus grande, car le candidat ne pouvait compenser ses fautes «de discours latin» ou de «version latine», barbarismes, solécismes et contre-sens, tandis qu'à l'oral, il est possible de se rattraper et d'effacer la mauvaise réponse, sur une question, par une satisfaisante énonciation sur une interrogation du même ordre. On peut également balancer les boules noires, données par un examinateur, mal satisfait, avec les blanches obtenues d'un autre, plus content ou moins sévère.
Admis à l'écrit, l'examen oral devait être facile au candidat, selon toutes prévisions. Zola répondit fort bien pour la partie scientifique; en mathématiques, physique, chimie, histoire naturelle, même en algèbre, il ne récolta que des «blanches». Le diplôme semblait acquis. Restaient les matières suivantes: histoire, langues vivantes, littérature. Pour un garçon aux vastes lectures, connaissant les poètes, les philosophes, toute la littérature classique française, les réponses sur ces sujets familiers devaient être aisées, justes, et même un peu supérieures à celles de la plupart des autres candidats.
Pour les langues vivantes, on devait choisir entre l'anglais et l'allemand. Zola ne put pas déchiffrer le texte de Schiller qui lui fut présenté, et il semblait même n'avoir jamais eu sous les yeux l'alphabet gothique. Il devait s'attendre à la boule noire, qui lui fut colloquée.
L'histoire n'était pas non plus son fort, au rhétoricien déjà vétéran, et il parut visiblement brouillé avec les dates. Questionné sur Charlemagne et sur la fin de son règne glorieux, il fit mourir le grand empereur à la barbe fleurie au commencement du XVIe siècle. C'était pure inadvertance, car, au moins par la Légende des Siècles de Victor Hugo, il était à même de situer chronologiquement le fondateur de la dynastie carlovingienne, bien avant l'avènement des Valois. Il ne connaissait ni les Capitulaires, ni les Annales d'Eginhard. Il ne trouva rien à dire d'intéressant, ou même de juste ou de banal sur le grand homme féodal, à qui Auguste Comte faisait une place dans son calendrier positiviste, comme à un des maîtres de la civilisation européenne. On eût interrogé le jeune homme sur Napoléon, ou sur Louis-Philippe, son contemporain, qu'il eût probablement fait preuve de la même insoucieuse ignorance.
Il aurait dû prendre sa revanche, atténuer ses boules noires pour l'histoire et les langues vivantes, sur le terrain littéraire. La Fontaine fut le sujet de l'interrogation. Ici, le candidat ne demeura pas bouche bée. Il répondit. Il avait sans doute lu Taine, et il savait peut-être l'appréciation de Rousseau sur la moralité des Fables de La Fontaine, et sur la sottise qu'il y avait à donner aux enfants, comme premier livre, comme alphabet intellectuel, ce profond et subtil auteur, qu'on s'obstinait à traiter en naïf et à qualifier de bonhomme (l'anarchiste, qui avait osé dire sous Louis XIV: notre ennemi c'est notre maître, un bonhomme!). Il est probable que les explications du futur auteur de la Terre sur le génie et la philosophie de l'homme qui faisait parler les bêtes, et qui se moquait, aux temps de la Bastille et de l'œil-de-Bœuf, des grenouilles qui demandaient un roi, ne furent pas très orthodoxes. L'examinateur donna la fâcheuse boule noire, qui, finalement, l'emporta. L'élève Zola fut donc ajourné.
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