Emile Zola, Sa Vie et Son Oeuvre. Edmond Lepelletier

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Название Emile Zola, Sa Vie et Son Oeuvre
Автор произведения Edmond Lepelletier
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066086954



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pour commencer le latin. Aussi, quand, à dix-huit ans, ma mère me conduisit au Lycée Saint-Louis, à Paris, j'en étais seulement à ma seconde. Bon élève, à Aix, où je remportai des succès, sinon éclatants, du moins estimables, je devins mauvais élève, à Paris…

      Ici, une observation d'ordre général, qui a son intérêt pour le maintien des bonnes études et le développement universitaire de notre pays. Paris est un mauvais centre d'études. Écoliers ou étudiants, les jeunes gens s'y trouvent dans un milieu mal disposé pour le travail. Il se rencontre trop de distractions et trop de motifs de dissipation, dans la grande ville. Au moyen âge, l'Université de Paris a pu être un puissant foyer de lumières théologiques et philosophiques, un admirable atelier où s'élaborait le grand œuvre du savoir. Mais la vie qu'on y menait, malgré ribaudes et tavernes, avait toute la rudesse monastique. On a conservé les règles et les us des escholiers de la rue du Fourre; la discipline des couvents sévères y régnait, avec la ponctualité et l'isolement de la caserne. Dans les milieux modernes, l'étudiant, le lycéen, sont trop exposés à la promiscuité mondaine, au voisinage bruyant. Paris, sans doute, à raison de la haute valeur des maîtres qui sont sélectionnés, et par suite de l'agglomération des élèves les mieux doués, remporte des succès dans les concours. Mais ce sont des supériorités exceptionnelles. Le niveau général des études y est au-dessous de la moyenne. L'apprentissage de l'étudiant ne saurait se faire dans une cité anormale et monstrueuse, où le tapage des gens en fête domine. Il y a trop de musiques dans l'air, trop de passants dans les rues, trop de flamboiements aux vitrines et trop de tentations à tous les carrefours, pour qu'on puisse étudier, avec application et profit, au milieu de ce tohu-bohu. Les grandes universités allemandes, pierres d'assises solides de la puissance germanique, sont toutes situées dans des villes secondaires et calmes, Heidelberg, Königsberg, Leipsick, Iéna. Il roule trop de véhicules, tramways, coupés, fiacres, autobus, par les voies parisiennes, pour qu'on y jouisse du recueillement indispensable à qui veut apprendre. Les facultés, les collèges, les instituts, ne devraient ouvrir leurs doctes salles que sur des rues où l'herbe pousse. Par crainte des troubles de la place publique et des tumultes populaires, on a relégué l'assemblée nationale française, lorsqu'il s'agit de donner une constitution ou d'élire le chef de l'État, dans la ville morte du grand Roi. Il n'y a nulle utilité à ce que les Facultés de droit, de médecine, et même les lycées d'internes de l'Académie de Paris, soient à proximité des boulevards. À Versailles conviendrait parfaitement ce rôle de cité universitaire. Ce serait l'Oxford et l'Heidelberg français.

      L'écolier Zola appuie, de son exemple, cette argumentation. Si le lauréat d'Aix, ville paisible, s'était mué en cancre parfait, à Paris, c'est que l'atmosphère capiteuse du milieu produisait son effet accoutumé. Ce n'était pas la fête ambiante qui le troublait, le détournait, mais l'ivresse intellectuelle même de Paris. Le rhétoricien provençal se dégoûtait des monotones et fades occupations universitaires; il s'abandonnait à ses rêves de gloire littéraire; il se livrait à des lectures en dehors des «matières» imposées pour le baccalauréat.

      Dans l'interview, que j'ai indiqué plus haut, et auquel j'aurai plusieurs fois recours, car ayant été publié, sous les yeux de Zola, il y a vingt-huit ans, il constitue un document quasi autobiographique de la plus grande sincérité, l'écolier buissonnier expliqua ainsi son peu d'assiduité et son absence de succès, aux cours du lycée Saint-Louis:

      … C'est que j'étais déjà lancé dans le mouvement littéraire et que je lui appartenais corps et âme. Je délaissais mes classiques pour lire avec avidité Montaigne, Rabelais, Diderot et Hugo… Ah! Hugo! j'étais fou de lui!

      Cela vous explique que, contrairement à ce qu'on a affirmé, je ne sois pas bachelier. Est-ce pour la même raison que Daudet n'est pas plus avancé que moi? Je l'ignore. Toujours est-il qu'il est assez étrange de voir deux romanciers notoires n'avoir même pas, dans les rangs de l'Université, l'épaulette de sous-lieutenant.

      Les parents du lycéen faisaient de lourds sacrifices pour qu'il pût obtenir, grâce au diplôme obligatoire et élémentaire, l'accès de certains emplois. Il avait tort de ne pas se violenter, afin de triompher des redoutables examens, qui semblent surtout faciles à ceux qui ne les ont pas subis. Sans doute, cet échec scolaire n'a pas nui à la fortune littéraire de l'Assommoir. Nul ne se préoccupe, aujourd'hui, de savoir si l'auteur a été fort en thème ou fruit sec, et tous les baccalauréats de l'Université ne sauraient rien ajouter à sa gloire. Mais il ne doit pas servir d'exemple, ni d'encouragement, aux écoliers présents et futurs, qui ne l'imiteraient qu'en cela. Ce n'est pas parce qu'il n'a pu passer son bachot que Zola s'est montré capable d'écrire Germinal.

      Les deux femmes, qui le gâtaient, lui avaient trop laissé la bride lâche sur le cou, durant ses années d'enfance, jours de grand air, d'escapades, de bondissement par les garrigues, par les ravins, et de longues rêvasseries à l'ombre, au bord de la rivière de l'Arc. Mais nous leur en devons reconnaissance. Cette éducation en liberté fut salutaire et inspiratrice. Elle priva la France d'un bachelier de plus; elle lui valut peut-être l'un des plus robustes ouvriers de la plume. C'est tout gain pour le pays, pour la postérité mondiale aussi. Bénissons les deux mamans, d'avoir élevé leur Émile à la sauvageonne. L'enfant a pu vagabonder, comme un petit pâtre, tout en ayant la possibilité d'étudier comme un jeune bourgeois. Cette croissance indépendante, hors des langes où l'on emmaillotte les fils de la classe aisée, permit au corps, et aussi à l'intellect du gamin, de se développer avec vigueur. Dans ces randonnées, qui faisaient le fond des plaisirs du jeune gars, il était accompagné de deux camarades, qui devinrent ses inséparables: Baille, qui fut, par la suite, professeur à l'École polytechnique, et Cézanne, le vigoureux peintre impressionniste. Tous trois alors ruminaient des vers, qu'ils se récitaient avec conviction, et qu'ils louaient avec sincérité.

      Zola avait conservé un souvenir très vif de ses juvéniles excursions de Provence. Il les évoquait avec plaisir, sans regrets inutiles ni banales lamentations. Jamais il ne pleurnicha des variations vulgaires sur le thème universel de la jeunesse envolée. Il contait volontiers à ses intimes, durant quelque sombre après-midi, au fond des Batignolles, avec, quelle ardeur, avec quelle exubérante impatience, avec ses condisciples provençaux, il se mettait en route, par les matinées d'été, pour chasser les ortolans dans les ravins ensoleillés, du côté du barrage paternel. La chasse n'était, le plus souvent, qu'un prétexte. N'allait-on pas en battue, dans la contrée où se déploient les tireurs de casquettes? Il s'agissait de faire de la route. Toute une journée à passer avec Baille et Cézanne, gagner de l'appétit et faire honneur aux provisions préparées, la veille, par les parents, bavarder art et littérature en toute tranquillité, c'était le vrai plaisir cynégétique. Ces causeries interminables sont délicieuses, et les heures de la jeunesse, ainsi passées à s'entretenir des livres, des pièces, des tableaux, œuvres récemment signalées, ou déjà glorieusement consacrées s'écoulent rapides, grisantes et inoubliables. Elles parfument toute une existence d'artiste. Il n'est pas toujours aisé, surtout dans une ville provinciale, de s'isoler, à trois ou quatre compagnons ayant les mêmes goûts, les mêmes aspirations vers la littérature, le théâtre, la peinture.

      Les poètes actuels, biens rentés, élégants, rasés, tondus, ayant pour Pégase l'auto, et bientôt le dirigeable, sont admis dans les sociétés distinguées. Les belles madames les câlinent, les invitent à dîner et parfois les prennent pour amants. Ils sont semblablement, quand ils débutent, «gobés» des jeunes femmes à bandeaux plats couvrant les oreilles, et accueillis à bocks ouverts ès-cabarets montmartrois ou rive-gauchers. Mais, au temps où Zola bredouillait ses primes strophes, le faiseur de vers et le barbouilleur de toiles étaient classés parmi les mal vus. Aussi, agissaient-ils sagement, ces jeunes Provençaux, aspirants artistes, en se retirant vers les déserts, sous couleur de tirer un bec-fin, Alcestes de la poésie, cherchant un endroit écarté, où de débiter leurs sornettes ils eussent la liberté. En ces solitudes brûlées, ils ne choquaient personne, commérant sur un tas de gens, ignorés à Plassans, dont les histoires ne pouvaient intéresser la bonne société: car ils n'avaient jamais été établis dans la ville, ni occupé une fonction honorable, ce Musset, ce Balzac, ce Delacroix, personnages si peu importants qu'on eût vainement cherché leur adresse dans le Bottin,