Emile Zola, Sa Vie et Son Oeuvre. Edmond Lepelletier

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Название Emile Zola, Sa Vie et Son Oeuvre
Автор произведения Edmond Lepelletier
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066086954



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jour. Il n'avait ni sucre ni albumine.

      La mère de Zola, Émilie Aubert, était Française. Elle était née à Dourdan, département de Seine-et-Oise, le pays de Francisque Sarcey: une contrée peu lyrique, où le bon sens est prisé, où l'esprit terre à terre se montre légèrement narquois; les préoccupations acquisitives sont dominantes, chez les habitants, et, pour les femmes, les soins ménagers accaparent toute l'existence. Les grands-parents maternels de Zola étaient des petits bourgeois, entrepreneurs et artisans, et non pas des paysans. Mme Zola mère était arthritique et était devenue cardiaque; elle a succombé à une irrégularité dans la contraction du cœur, avec syncope et œdème, à l'âge de 61 ans. Le docteur Toulouse constate que c'est cet état neuro-arthritique qui peut expliquer la disposition nerveuse originelle de Zola. Mais on ne saurait trouver là une indication de complète et funeste transmission morbide.

      Par sa mère et ses grands-parents maternels, Zola tenait puissamment à la terre française: Dourdan, situé entre Étampes et Rambouillet, fait partie de l'Ile de France, de la grande banlieue parisienne. Par son père, il se rattache presque à l'Orient; son grand-père paternel était né à Venise, mais il était fils d'un Dalmate.

      Le père d'Émile Zola, François Zola, était né à Venise, en 1796. Ce Vénitien, qui, par ses origines, était Hellène et Illyrien, apparaît comme un aventureux, un migrateur, un homme d'action. Son tempérament était celui de l'explorateur et du chercheur d'or. Aucune tendance artistique, aucun goût littéraire. Il fut incorporé, très jeune, dans les armées cosmopolites qui marchaient sous l'aigle impériale: Napoléon étant protecteur et maître de l'Italie. François Zola devint officier d'artillerie dans l'armée du prince Eugène. À la chute de l'Empire, il démissionna et se mit en mesure d'exercer la profession d'ingénieur. Mathématicien distingué, l'ancien officier d'artillerie devait posséder une compétence spéciale assez complète, puisqu'on a de lui plusieurs ouvrages de trigonométrie et un Traité sur le Nivellement, qui fut particulièrement apprécié. Ce travail le fit recevoir membre de l'Académie de Padoue. Mais les titres académiques sont insuffisants comme émoluments. Le désir de voir du pays, et surtout de trouver fortune en des contrées plus industrielles, plus disposées aux entreprises que l'indolente et artistique Vénétie, firent voyager le jeune ingénieur en Allemagne, en Hollande, en Angleterre et en France. D'après son fils, François Zola «se trouva mêlé à des événements politiques et fut victime d'un décret de proscription». Il est possible, car les temps étaient fort troublés et les conspirations, comme les insurrections, se produisaient partout en Italie, que François Zola ait dû fuir, pour éviter les sbires. Changer d'air ne lui déplaisait pas. Il n'a pas transmis ses goûts vagabonds au sédentaire écrivain. Émile Zola a très peu voyagé, et ce ne fut que par la force des événements qu'il connut l'Angleterre. Il ne se déplaça guère que pour voir Rome, ainsi que les localités décrites en ses romans, et pour des villégiatures, en France. Comme la pierre, en roulant, ne saurait amasser mousse, l'ingénieur errant demeura nu et pauvre. Il ne récolta en route, ni commandes ni promesses de travaux. Vainement il traversa le quart de l'Europe, malchanceux chemineau des X et des Y, car la science a son prolétariat, demandant de l'ouvrage, et n'en trouvant pas. Léger d'argent et lourd de soucis, de frontière en frontière, il se retrouva au bord de la Méditerranée; il la franchit et débarqua en Algérie. Rien à faire, pour un manieur de compas, en ce pays à peine conquis, où le sabre travaillait seul. Le territoire environnant Alger n'était qu'un camp. On réclamait des zouaves, des chasseurs, des gaillards déterminés, bons à incorporer dans les colonnes expéditionnaires. Il n'y avait que de rares colons, et vraisemblablement, l'on n'aurait pas besoin d'ingénieurs avant longtemps. Il fallait laisser parler la poudre avant de présenter des rapports à des conseils d'administration. Las de cheminer, ne sachant même comment retourner en Europe, l'ancien artilleur des armées d'Italie prit le parti des désespérés: il s'enrôla dans la légion étrangère. Un rude corps et de fameux lascars! On n'y avait pas froid aux yeux, mais on ne s'y montrait pas non plus timide en face de certains actes, qui ailleurs arrêtent généralement les hommes. Les casse-cous de la Légion étrangère possédaient des vertus spéciales. Ils avaient aussi une morale à eux. À faire la guerre d'Afrique d'alors, avec les razzias permanentes, les exécutions sommaires, les chapardages presque ouvertement autorisés, pour suppléer aux négligences de l'intendance et aux insuffisances des rations, les scrupules diminuent, la conscience perd certaines notions, et les plus honnêtes admettent facilement des écarts et des accrocs à ce qu'on appelle «la probité courante». Les exemples des chefs n'étaient pas très moralisateurs, et puis, nous le voyons encore, de nos jours, par ce qui se passe aux colonies, au Soudan, dans les cercles administratifs, combien de fonctionnaires sont promptement entraînés à commettre des abus, sans penser que ce sont des délits. Bien des choses blâmables et inadmissibles, en Europe, se comprennent et se pratiquent, sous le gourbi et dans le voisinage du désert. François Zola, devenu lieutenant, fut compromis dans une fâcheuse affaire, qui, à l'endroit, à l'époque et dans les circonstances où elle se produisit, n'avait nullement l'importance que la passion politique voulut lui attribuer par la suite.

      Aux polémiques violentes que suscita l'affaire Dreyfus, le nom du père de l'auteur de J'accuse fut mêlé. La fureur des partis exhuma son cadavre. On fouilla cette tombe, depuis un demi-siècle fermée. On en arracha une dépouille, jusque-là vénérée des proches, respectée des indifférents, pour la piétiner, devant une galerie féroce ou gouailleuse, sous les yeux exaspérés du fils. De toutes les situations angoisseuses, qui ont pu être décrites par Émile Zola dans ses ouvrages, celle-ci, n'est-elle pas la plus atroce et la plus cruelle? Avoir non seulement aimé, mais estimé son père, l'avoir placé très haut sur un piédestal, et s'être ressenti très fier d'être issu de lui, de porter, de glorifier son nom, et, à défaut d'autre héritage, recueillir la succession de renom et d'honorabilité, par lui laissée, puis voir tout à coup la statue idéale abattue sur le socle saccagé, le nom flétri, la renommée barbouillée d'infamie, n'est-ce pas là un supplice digne des tribus du Far-West, où, sous les yeux, de la mère, on martyrise le corps exsangue de l'enfant, attaché au poteau de douleurs? Zola endura cette torture avec sa robuste et patiente énergie. Il lutta contre les violateurs de sépulture, il défendit, comme l'héroïne biblique, le cadavre de l'être chéri contre les attaques furieuses des journalistes de proie. Il écarta les becs de plumes qui déchiraient cette chair morte.

      On a peine à comprendre, à distance, la flamme des polémiques s'étant éteinte, l'acharnement que mirent certains vautours de la presse à se ruer sur ce mort et, à le dépecer en poussant des cris sauvages.

      Voici les faits qui fournirent la pâture à ces rapaces nécrophages. Je les résume, d'après les documents du temps, et les pièces originales qui furent alors reproduites:

      Au mois d'avril 1898, un journal de Bruxelles, le Patriote, publiait, dans une correspondance de Paris, les lignes comminatoires suivantes:

      … On se demande ce qu'attend le général de Boisdeffre peur écraser d'un seul coup ses adversaires, qui sont en même temps les ennemis de l'armée et de la France. Il lui suffirait, pour cela, de sortir, dès aujourd'hui, une des nombreuses preuves que l'Etat-major possède de la culpabilité de Dreyfus, ou même de publier quelques-uns des nombreux dossiers qui existent, soit au service des renseignements, soit aux archives de la guerre, sur plusieurs des plus notoires apologistes du traître, ou sur leur parenté

      Les journaux et les hommes politiques, convaincus de la culpabilité du capitaine Dreyfus, ou fortement prévenus contre lui, étaient parfaitement fondés à réclamer que l'État-major mît sous les yeux de la Chambre et du public les preuves de la trahison, qui pouvaient exister dans les dossiers. Il était admis, dans le tumulte des furibondes polémiques, que, comme dans d'autres affaires scandaleuses, on eût recours de part et d'autre au perfide et méprisable procédé des «petits papiers». Dans l'ivresse de la mêlée, on a, chez tous les partis, et de tous les temps, usé de ces armes empoisonnées. Pour toucher un adversaire et le mettre hors de combat, on cherche à le déshonorer. Mais ce combat sans merci a lieu, d'ordinaire, entre vivants. On laisse les morts dans leur suaire, et l'on répugne à les démaillotter. L'acharnement inouï de la lutte, entre accusateurs et défenseurs de Dreyfus, fit un