P'tit-bonhomme. Jules Verne

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Название P'tit-bonhomme
Автор произведения Jules Verne
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066074326



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Grip.

      —Carker t' battra, si tu n'as rien rapporté c' soir!

      —J'aime mieux être battu.»

      Grip éprouvait pour P'tit-Bonhomme une affection qui était partagée. Ne manquant pas d'intelligence, sachant lire et écrire, il essayait d'apprendre à l'enfant un peu de ce qu'il avait appris. Aussi, depuis qu'il se trouvait à Galway, P'tit-Bonhomme commençait-il à montrer quelque progrès en lecture tout au moins, et promettait de faire honneur à son maître.

      Il convient d'ajouter que Grip connaissait un tas d'histoires amusantes, et qu'il les racontait joyeusement.

      Avec ses éclats de rire dans ce sombre milieu, il semblait à P'tit-Bonhomme que ce brave garçon jetait un rayon de lumière au milieu de la ténébreuse école.

      Ce qui irritait particulièrement notre héros, c'était que les autres s'en prissent à Grip et en fissent l'objet de leur malveillance. Celui-ci, nous le répétons, supportait cela avec une très philosophique résignation.

      «Grip!... lui disait parfois P'tit-Bonhomme.

      —Qu' veux-tu?

      —Il est bien méchant, Carker!

      —Certes... bien méchant.

      —Pourquoi ne tapes-tu pas dessus?...

      —Taper?...

      —Et aussi sur les autres?»

      Grip haussait les épaules.

      «Est-ce que tu n'es pas fort, Grip?...

      —J' sais pas.

      —Tu as pourtant de grands bras, de grandes jambes...»

      Oui, il était grand, Grip, et maigre comme une tige de paratonnerre.

      «Eh bien, Grip, pourquoi que tu ne les calottes pas, ces mauvaises bêtes?

      —Bah! ça n' vaut pas la peine!

      —Ah! si j'avais tes jambes et tes bras...

      —Ce qui vaudrait mieux, p'tit, répondait Grip, ce s'rait de s'en servir pour travailler.

      —Tu crois?...

      —Sûr.

      —Eh bien!... nous travaillerons ensemble!... Dis?... nous essaierons... veux-tu?...»

      Grip voulait bien.

      Telles étaient les occupations de ces enfants. (Page 29.)

      Ils erraient ainsi le long des rues de cette Galway, qui a l'aspect d'une bourgade espagnole, seuls parmi une foule indifférente. P'tit-Bonhomme aurait bien voulu savoir ce qu'il y avait à l'intérieur des maisons. A travers leurs étroites fenêtres fermées de grillages, leurs jalousies baissées, impossible de rien distinguer. C'était pour lui des coffres-forts, qui devaient être remplis de sacs d'argent. Et les hôtels où les voyageurs arrivaient en voiture, quel plaisir à en visiter les belles chambres, celles du Royal-Hôtel surtout! Mais les domestiques les auraient chassés tous deux comme des chiens, ou, ce qui est pire, comme des mendiants, car les chiens peuvent à la rigueur recevoir quelque caresse...

      Le grand tenant le petit par la main. (Page 32.)

      Et lorsqu'ils s'arrêtaient devant les magasins, si insuffisamment approvisionnés pourtant, des bourgades de la haute Irlande, les choses leur paraissaient un entassement de richesses incalculables. Quel regard ils jetaient, ici, sur un étalage de vêtements, eux qui n'étaient vêtus que de loques; là, sur une boutique de chaussures, eux qui marchaient pieds nus! Et connaîtraient-ils jamais cette jouissance d'avoir un habit neuf à leur taille, et une paire de bons souliers dont on leur aurait pris mesure? Non, sans doute, pas plus que tant de malheureux condamnés au rebut des autres, restes de défroque et restes de cuisine!

      Il y avait aussi des étals de bouchers, avec de grands quartiers de bœuf pendus au croc, qui auraient suffi à nourrir pendant un mois toute la ragged-school. Lorsque Grip et P'tit-Bonhomme les contemplaient, ils ouvraient la bouche démesurément et sentaient leur estomac se contracter de spasmes douloureux.

      «Bah! disait Grip d'un ton jovial, fais aller tes mâchoires, p'tit!... Ça s'ra comme si tu mangeais pour de bon!»

      Et devant les gros pains dont la chaude odeur s'échappait du fournil, devant les «cakes» et autres pâtisseries qui excitaient la convoitise du passant, ils restaient là, les dents longues, la langue humide, les lèvres convulsées, la figure famélique, et P'tit-Bonhomme murmurait:

      «Que ça doit être bon!

      —J' t'en réponds! répliquait Grip.

      —En as-tu mangé?...

      —Un' fois.

      —Ah!» soupirait P'tit-Bonhomme.

      Il n'en avait jamais mangé, lui, ni chez Thornpipe, ni depuis que la ragged-school lui donnait asile.

      Un jour, une dame, prenant pitié de sa mine pâle, lui demanda si un gâteau lui ferait plaisir.

      «J'aimerais mieux un pain, madame, répondit-il.

      —Et pourquoi, mon enfant?...

      —Parce que ce serait plus gros.»

      Une fois, cependant, Grip, ayant gagné quelques pence pour prix d'une commission, acheta un gâteau qui devait bien avoir huit jours d'existence.

      «Est-ce bon? demanda-t-il à P'tit-Bonhomme.

      —Oh!... On dirait que c'est sucré!

      —J' te crois qu' c'est sucré, répliqua Grip, et avec du vrai sucre, encore!»

      Quelquefois Grip et P'tit-Bonhomme allaient se promener jusqu'au faubourg de Salthill. De là on peut embrasser l'ensemble de la baie, l'une des plus pittoresques de l'Irlande, les trois îles d'Aran, posées à l'entrée comme les trois cônes de la baie de Vigo,—autre ressemblance avec l'Espagne,—et, en arrière, les sauvages montagnes du Burren, de Clare et les abruptes falaises de Moher. Puis ils revenaient vers le port, sur les quais, le long des docks commencés à l'époque où l'on avait songé à faire de Galway le point de départ d'une ligne de transatlantiques, qui eût été la plus courte entre l'Europe et les États-Unis d'Amérique.

      Lorsque tous deux apercevaient les quelques navires mouillés sur la baie ou amarrés à l'entrée du port, ils se sentaient comme irrésistiblement attirés, soupçonnant sans doute que la mer doit être moins cruelle que la terre aux pauvres gens, qu'elle leur promet une existence plus assurée, que la vie est meilleure au plein air vif des océans, loin des bouges