P'tit-bonhomme. Jules Verne

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Название P'tit-bonhomme
Автор произведения Jules Verne
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066074326



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l'enfant!...» cria-t-on énergiquement.

      Thornpipe avait affaire à trop forte partie. Il voulut résister toutefois et pousser sa charrette par derrière... Ce fut en vain. Le boulanger la saisit d'un côté, le droguiste de l'autre, et elle fut secouée de la belle façon. Jamais la cour royale ne s'était trouvée à pareille fête, les princes heurtant les princesses, les ducs renversant les marquis, le premier ministre tombant et provoquant avec lui la chute du ministère,—bref, un cahot tel qu'il se produirait au château d'Osborne, si l'île de Wight était agitée par un tremblement de terre.

      On eut vite fait de contenir Thornpipe, bien qu'il se débattît furieusement. Tous s'en mêlèrent. La charrette fut fouillée, le droguiste se glissa entre les roues, et retira un enfant de la caisse...

      Oui! un petiot de trois ans environ, pâle, souffreteux, malingre, les jambes zébrées d'écorchures par la mèche du fouet, respirant à peine.

      Personne ne connaissait cet enfant à Westport.

      Telle fut l'entrée en scène de P'tit-Bonhomme, le héros de cette histoire. Comment il était tombé entre les mains de ce brutal, qui n'était point son père, il eût été malaisé de le savoir. La vérité est que le petit être avait été ramassé, neuf mois avant, par Thornpipe dans la rue d'un hameau du Donegal, et l'on voit à quoi le bourreau l'avait employé.

      Une brave femme venait de le prendre entre ses bras, elle essayait de le ranimer. On se pressait autour de lui. Il avait une figure intéressante, intelligente même, ce pauvre écureuil réduit à faire tourner sa cage sous la boîte aux marionnettes pour gagner sa vie. Gagner sa vie... à cet âge!

      Enfin il rouvrit les yeux, et se rejeta en arrière, dès qu'il aperçut Thornpipe, qui s'avançait avec l'intention de le reprendre, criant d'une voix irritée:

      «Rendez-le moi!...

      —Êtes-vous donc son père? demanda le curé.

      —Oui... répondit Thornpipe.

      —Non!... ce n'est point mon papa! s'écria l'enfant, qui se cramponnait aux bras de la femme.

      —Il n'est pas à vous! s'écria le droguiste.

      —C'est un enfant volé! ajouta le boulanger.

      —Et nous ne vous le rendrons pas!» dit le curé.

      Thornpipe voulut résister quand même. La face congestionnée, les yeux allumés de colère, il ne se possédait plus et semblait disposé à «prendre des ris à l'irlandaise», c'est-à-dire à jouer du couteau, lorsque deux vigoureux gaillards s'élancèrent sur lui et le désarmèrent.

      «Chassez-le... chassez-le! répétaient les femmes.

      —Va-t'en d'ici, gueux! dit le droguiste.

      —Et qu'on ne vous revoie pas dans le comté!» s'écria le curé avec un geste de menace.

      Thornpipe cingla le chien d'un grand coup de fouet, et la charrette s'en alla en remontant la principale rue de Westport.

      «Le misérable! dit le pharmacien. Je ne lui donne pas trois mois avant qu'il ait dansé le menuet de Kilmainham!»

      Danser ce menuet, c'est, suivant la locution du pays, danser sa dernière gigue au bout d'une potence.

      Puis, lorsque le curé eut demandé à l'enfant comment il s'appelait:

      «P'tit-Bonhomme,» répondit celui-ci d'une voix assez ferme.

      Et, de fait, il n'avait pas d'autre nom.

       RAGGED-SCHOOL.

       Table des matières

      «Et le numéro 13, qu'est-ce qu'il a?...

      —La fièvre.

      —Et le numéro 9?...

      —La coqueluche.

      —Et le numéro 17?...

      —La coqueluche aussi.

      —Et le numéro 23?...

      —Je crois que ce sera la scarlatine.»

      Et, à mesure que ces réponses lui étaient faites, M. O'Bodkins les inscrivait sur un registre admirablement tenu, au compte ouvert à chacun des numéros 23, 17, 9 et 13. Il y avait une colonne affectée au nom de la maladie, à l'heure de la visite du médecin, à la nature des remèdes ordonnés, aux conditions dans lesquelles ils devaient être administrés, lorsque les malades auraient été transportés à l'hospice. Les noms étaient en écriture gothique, les numéros en chiffres arabes, les médicaments en ronde, les prescriptions en anglaise courante,—le tout entremêlé d'accolades finement tracées à l'encre bleue, et de barres doubles à l'encre rouge. Un modèle de calligraphie doublé d'un chef-d'œuvre de comptabilité.

      «Il y a quelques-uns de ces enfants qui sont assez gravement atteints, ajouta le docteur. Recommandez qu'ils ne prennent pas froid pendant le transport...

      LES FEMMES S'APITOYAIENT SUR SON SORT. (Page 27.)

      —Oui... oui!.. on le recommandera! répondit négligemment M. O'Bodkins. Lorsqu'ils ne sont plus ici, cela ne me regarde en aucune façon, et pourvu que mes livres soient à jour...

      —Et puis, si la maladie les emporte, repartit le docteur en prenant sa canne et son chapeau, la perte ne sera pas grande, je suppose...

      —D'accord, répliqua O'Bodkins. Je les inscrirai à la colonne des décès, et leur compte sera balancé. Or, quand un compte est balancé, il me semble que personne n'a lieu de se plaindre.»

      Et le docteur s'en alla, après avoir serré la main de son interlocuteur.

      M. O'Bodkins était le directeur de la «ragged-school» de Galway, petite ville située sur la baie et dans le comté du même nom, au sud-ouest de la province du Connaught. Cette province est la seule où les catholiques puissent posséder des propriétés foncières, et c'est là, comme dans le Munster, que le gouvernement anglais prend à tâche de refouler l'Irlande non protestante.

      On connaît le type d'original auquel se rapporte ce M. O'Bodkins, et il ne mérite pas d'être classé parmi les plus bienveillants de la race humaine. Un homme gros et court, un de ces célibataires qui n'ont pas eu de jeunesse et qui n'auront point de vieillesse, ayant toujours été ce qu'ils sont, ornés de cheveux qui ne tombent ni ne blanchissent, venus au monde avec des lunettes d'or et qu'on fera bien de leur laisser dans la tombe, n'ayant eu ni un ennui d'existence ni un souci de famille, possédant juste ce qu'il faut de cœur pour vivre, et qu'un sentiment d'amour, d'amitié, de pitié, de sympathie, n'a jamais su émouvoir. Il est de ces êtres ni bons ni méchants, qui passent sur terre sans faire le bien, mais sans faire le mal, et qui ne sont jamais malheureux—pas même du malheur des autres.

      Tel était O'Bodkins, et, nous en conviendrons volontiers, il était précisément né pour être directeur d'une ragged-school.

      Ragged-school, c'est l'école des déguenillés, et l'on a vu de quelle admirable exactitude, de quelle entente du doit et avoir témoignent les livres de M. O'Bodkins. Il avait pour aides, d'abord une vieille fumeuse, la mère Kriss, sa pipe toujours à la bouche, puis un ancien pensionnaire de seize ans, nommé Grip. Celui-ci, un pauvre diable, les yeux bons, la physionomie empreinte d'une jovialité naturelle, le nez un peu relevé, ce qui est un signe caractéristique chez l'Irlandais, valait infiniment mieux que les trois quarts des misérables recueillis dans cette espèce de lazaret scolaire.

      Ces