Название | P'tit-bonhomme |
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Автор произведения | Jules Verne |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066074326 |
Le dessus de la caisse est fermé d'un couvercle qui l'emboîte sur un quart de sa hauteur. Ce couvercle une fois relevé et rabattu latéralement, voici ce que les spectateurs aperçoivent, non sans quelque admiration, à la surface de la tablette.
Toutefois, afin d'éviter des redites, nous conseillons d'écouter Thornpipe, débitant son boniment habituel. A n'en pas douter, le forain en eût remontré, avec son intarissable faconde, au célèbre Brioché, le créateur du premier théâtre des marionnettes sur les champs de foire de la France.
«Ladies et gentlemen...»
C'est le début invariablement destiné à provoquer les sympathies des spectateurs, même quand il s'adresse aux plus piteux déguenillés d'un village.
«Ladies et gentlemen, ceci vous représente la grande salle des fêtes dans le château royal d'Osborne, île de Wight.»
En effet, la tablette figure un salon en miniature, contenu entre quatre planchettes posées de champ, et sur lesquelles sont peintes des portes et des fenêtres drapées; çà et là des meubles en carton du plus haut goût, épinglés sur un tapis colorié, des tables, des fauteuils, des chaises, placés de manière à ne point gêner la circulation des personnages, princes, princesses, ducs, marquis, comtes, baronnets, qui se pavanent avec leurs nobles épouses au milieu de cette réception officielle.
«Au fond, continue Thornpipe, vous remarquerez le trône de la reine Victoria, surmonté de son baldaquin de velours cramoisi à crépines d'or, modèle exact de celui sur lequel Sa Gracieuse Majesté prend place pendant les cérémonies de la cour.»
Le trône en question mesure de trois à quatre pouces en hauteur, et bien que le velours soit en papier pelucheux, et les crépines faites d'une simple virgule couleur jaune, cela ne laisse pas de donner illusion aux braves gens qui n'ont jamais vu ce meuble essentiellement monarchique.
«Sur le trône, reprit Thornpipe, contemplez la Reine,—ressemblance garantie,—revêtue de ses habits de gala, le manteau royal attaché aux épaules, la couronne en tête et le sceptre à la main.»
Nous qui n'avons jamais eu l'honneur d'entrevoir la souveraine du Royaume-Uni, Impératrice des Indes, dans ses salons d'apparat, nous ne saurions dire si la figurine représente Sa Majesté avec une fidélité scrupuleuse. Toutefois, en admettant qu'elle ceigne la couronne pendant ces grandes solennités, il est douteux que sa main brandisse un sceptre qui ressemble au trident de Neptune. Le plus simple, d'ailleurs, est d'en croire Thornpipe sur parole, et c'est ce que fit sagement l'assistance.
«A la droite de la Reine, déclara Thornpipe, j'appelle l'attention des spectateurs sur Leurs Altesses Royales, le prince et la princesse de Galles, tels que vous avez pu les voir, lors de leur dernier voyage en Irlande.»
Il n'y a pas à s'y tromper, voilà le prince de Galles en costume de feld-maréchal de l'armée britannique, et la fille du roi de Danemark, drapée d'une splendide robe de dentelle découpée dans un morceau de ce papier d'argent qui recouvre les boîtes de pralines.
De l'autre côté, c'est le duc d'Edimbourg, c'est le duc de Connaught, c'est le duc de Fife, c'est le prince de Battemberg, ce sont les princesses leurs femmes, enfin la famille royale au complet, arrangée de manière à décrire un demi-cercle devant le trône. Il est certain que ces poupées,—ressemblance garantie toujours,—avec leurs habits de cérémonie, leurs figures enluminées, leurs attitudes prises sur le vif, donnent une idée très exacte de la cour d'Angleterre.
Puis, voici les grands officiers de la couronne, entre autres, le grand amiral sir Georges Hamilton. Thornpipe prend soin de les désigner du bout de sa baguette à l'admiration du public, en ajoutant que chacun d'eux occupe la place due à son rang, suivant l'étiquette cérémoniale.
Là, respectueusement immobile devant le trône, se tient un monsieur de haute taille, d'une distinction très anglo-saxonne, et qui ne peut être qu'un des ministres de la Reine.
C'en est un, en effet, c'est le chef du cabinet de Saint-James, très reconnaissable à son dos qui est légèrement courbé sous le poids des affaires.
Puis, Thornpipe d'ajouter:
«Et près du premier ministre, à droite, le vénérable monsieur Gladstone.»
Et, ma foi, il eût été difficile de ne pas reconnaître l'illustre «old man», ce beau vieillard, toujours droit, lui, toujours prêt à défendre les idées libérales contre les idées autoritaires. Peut-être y a-t-il lieu de s'étonner qu'il regarde le premier ministre d'un air sympathique; mais, entre marionnettes,—même entre marionnettes politiques,—on se passe bien des choses, et ce qui répugnerait à des êtres de chair et d'os, des cabotins en carton et en bois n'en ont point vergogne.
D'ailleurs, voici un autre rapprochement inattendu, engendré par un extraordinaire anachronisme, car Thornpipe s'écrie en gonflant sa voix:
«Je vous présente, ladies et gentlemen, votre célèbre patriote O'Connell, dont le nom trouvera toujours un écho dans le cœur des Irlandais!»
Oui! O'Connell était là, à la cour d'Angleterre, en 1875, bien qu'il fût mort depuis vingt-cinq ans. Et, si on en eût fait l'observation à Thornpipe, le forain aurait répondu à cela que, pour un fils de l'Irlande, le grand agitateur est toujours vivant. A ce compte-là, il aurait tout aussi bien pu exhiber M. Parnell, bien que cet homme politique ne fût guère connu à cette époque.
Puis, par places, sont disséminés d'autres courtisans, dont le nom nous échappe, tous constellés de crachats et enrubannés de cordons, des célébrités politiques et guerrières, entre autres Sa Grâce le duc de Cambridge auprès de feu lord Wellington, et feu lord Palmerston auprès de feu M. Pitt; enfin des membres de la Chambre haute, fraternisant avec des membres de la Chambre basse; derrière eux, une rangée de horse-guards, en tenue de parade, à cheval au milieu de ce salon,—ce qui indique bien qu'il s'agit d'une fête comme il est rare d'en voir au château d'Osborne. Cet ensemble comprend environ une cinquantaine de petits bonshommes, violemment peinturlurés, qui représentent avec aplomb et raideur tout ce qu'il y a de plus aristocratique, de plus distingué, de plus officiel, dans le monde militaire et politique du Royaume-Uni.
On s'aperçoit même que la flotte anglaise n'a point été oubliée, et si le yacht royal Victoria and Albert n'est pas là sous vapeur, du moins des navires sont-ils dessinés sur la vitre des fenêtres, d'où l'on est censé voir la rade de Spithead. Avec de bons yeux, sans doute, on pourrait distinguer le yacht Enchanteress, ayant à bord leurs Seigneuries les lords de l'Amirauté, tenant chacun une lunette d'une main et un porte-voix de l'autre.
Il faut en convenir, Thornpipe n'a point trompé son public, en disant que cette exhibition est unique au monde. Positivement, elle permet d'économiser un voyage à l'île de Wight. Aussi est-ce un ébahissement, non seulement chez les gamins qui regardent cette merveille, mais également parmi les spectateurs d'âge respectable, qui ne sont jamais sortis du comté de Connaught ni des environs de Westport. Peut-être le curé de la paroisse ne laisse-t-il pas de sourire in petto: quant au pharmacien-droguiste, il ne se cache pas de dire que ces personnages sont d'une ressemblance à s'y méprendre, bien qu'il ne les ait vus de sa vie. Pour le boulanger, il l'avouait, cela passait l'imagination, et il se refusait à croire qu'une réception à la cour d'Angleterre pût s'accomplir avec tant de luxe, d'éclat et de distinction.
«Eh bien, ladies et gentlemen, ce n'est rien encore! reprit Thornpipe. Vous supposez sans doute que ces personnes royales et autres ne peuvent faire ni mouvements ni gestes... Erreur! Elles sont vivantes, vivantes, je vous dis, comme vous et moi, et vous l'allez voir. Auparavant, je prendrai la liberté de faire mon petit tour en me recommandant à la générosité d'un chacun.»