Название | P'tit-bonhomme |
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Автор произведения | Jules Verne |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066074326 |
C'est là le moment critique pour les montreurs de curiosités et autres, lorsque la sébile commence à circuler entre les rangs de l'assistance. Règle générale, les spectateurs de ces exhibitions foraines se classent en deux catégories: ceux qui s'en vont pour ne point mettre la main à la poche, et ceux qui restent avec l'intention de s'amuser gratuitement,—ces derniers, qu'on ne s'en étonne pas, de beaucoup plus nombreux. Il existe une troisième catégorie, celle des payants, mais elle est si infime qu'il vaut mieux n'en point parler. Et cela ne fut que trop évident, lorsque Thornpipe «fit son petit tour», avec un sourire qu'il essayait de rendre aimable et qui n'était que farouche. En eût-il pu être autrement de cette face de boule-dogue, aux yeux méchants, à la bouche plus prête à mordre les gens qu'à les embrasser?...
Il va de soi que chez toute cette marmaille en guenilles qui ne bougea pas, on n'eût pas même trouvé deux coppers à récolter. Quant à ceux des spectateurs qui, alléchés par le boniment du montreur de marionnettes, voulaient voir sans payer, ils se bornèrent à détourner la tête. Cinq ou six seulement tirèrent quelques piécettes de leur gousset, ce qui produisit une recette d'un shilling et trois pence que Thornpipe accueillit d'une méprisante grimace... Que voulez-vous? Il fallait s'en contenter, en attendant la représentation de l'après-midi, qui serait peut-être meilleure, et se conformer au programme annoncé plutôt que de rendre l'argent.
Et, alors, à l'admiration muette succéda l'admiration démonstrative et criarde. Les mains se mirent à battre, les pieds à trépigner, les bouches à s'emplir, puis à se vider de aohs! qui devaient s'entendre du port.
En effet, Thornpipe vient de donner sous la caisse un coup de baguette, qui a provoqué un gémissement auquel personne n'a pris garde. Soudain toute la scène s'est animée, on peut dire d'une façon miraculeuse.
Les marionnettes, mues par un mécanisme intérieur, semblent être douées d'une vie réelle. Sa Majesté la reine Victoria n'a pas quitté son trône,—ce qui eût été contraire à l'étiquette,—elle ne s'est pas même levée, mais elle meut la tête, agitant son bonnet couronné et abaissant son sceptre à la façon du bâton d'un chef de musique qui bat une mesure à deux temps. Quant aux membres de la famille royale, ils se tournent et se retournent tout d'une pièce, rendant salut pour salut, tandis que ducs, marquis, baronnets, défilent avec grandes démonstrations de respect. De son côté, le premier ministre s'incline devant M. Gladstone, qui s'incline à son tour. Après eux, O'Connell s'avance gravement sur sa rainure invisible, suivi du duc de Cambridge, lequel semble exécuter un pas de caractère. Les autres personnages déambulent ensuite, et les chevaux des horse-guards, comme s'ils étaient non dans un salon mais au milieu de la cour du château d'Osborne, piaffent en secouant leur queue.
Et tout ce manège s'accomplit au son d'une musique aigre et susurrante, grâce à une serinette à laquelle manquaient nombre de dièzes et de bémols. Mais comment Paddy,—si sensible à l'art musical que Henri VIII a mis une harpe dans les armes de la Verte Erin,—n'aurait-il pas été charmé, bien qu'il eût préféré au God save the Queen et au Rule Britannia, hymnes mélancoliques qui sont les dignes chants nationaux du triste Royaume-Uni, quelque refrain de sa chère Irlande?
De vrai, c'était très beau, et pour qui n'avait jamais vu les mises en scène des grands théâtres de l'Europe, il y avait là de quoi provoquer plus que de l'admiration. Et ce fut un indescriptible enthousiasme à la vue de ces marionnettes mouvantes, que l'on appelle en termes du métier des «danso-musicomanes».
Mais, à un certain moment, voici que par suite d'un à-coup du mécanisme, la Reine abaisse si vivement son sceptre qu'elle atteint le dos rond du premier ministre. Alors les hurrahs du public de redoubler.
«Ils sont vivants! dit un des spectateurs.
—Il ne leur manque que la parole! répondit un autre.
—Ne le regrettons pas!» ajouta le pharmacien, qui était démocrate à ses moments perdus.
Et il avait raison. Voyez-vous ces marionnettes faisant des discours officiels!
«Je voudrais savoir ce qui les met en mouvement, dit alors le boulanger.
—C'est le diable! répliqua un vieux matelot.
—Oui! le diable!» s'écrièrent quelques matrones à demi convaincues, qui se signèrent, en tournant la tête vers le curé, lequel regardait d'un air pensif.
«Comment voulez-vous que le diable puisse tenir à l'intérieur de cette caisse? fit observer un jeune commis, connu pour ses naïvetés. Il est de grande taille... le diable...
—S'il n'est pas dedans, il est dehors! riposta une vieille commère. C'est lui qui nous montre le spectacle...
—Non, répondit gravement le droguiste, vous savez bien que le diable ne parle pas l'Irlandais!»
Or, c'est là une de ces vérités que Paddy admet sans conteste, et il fut constant que Thornpipe ne pouvait être le diable, puisqu'il s'exprimait en pure langue du pays.
Décidément, si le sortilège n'entrait pour rien en cette affaire, il fallait admettre qu'un mécanisme interne donnait le mouvement à ce petit monde de cabotins. Cependant personne n'avait vu Thornpipe remonter le ressort. Et même—particularité qui n'avait point échappé au curé—dès que la circulation des personnages commençait à se ralentir, un coup de fouet envoyé sous la caisse que cachait le tapis, suffisait à ranimer leur jeu. A qui s'adressait ce coup de fouet, toujours suivi d'un gémissement?»
Le curé voulut savoir, et il dit à Thornpipe:
«Vous avez donc un chien au fond de cette boîte?
L'homme le regarda en fronçant le sourcil et parut trouver la question indiscrète.
«Il y a ce qu'il y a! répondit-il. C'est mon secret... Je ne suis pas obligé de le faire connaître...
—Vous n'y êtes point obligé, répondit le curé, mais nous avons bien le droit de supposer que c'est un chien qui fait marcher votre mécanique...
—Eh oui!... un chien, répliqua Thornpipe de mauvaise humeur, un chien dans une cage tournante... Ce qu'il m'a fallu de temps et de patience pour le dresser!... Et qu'ai-je reçu en payement de ma peine?... Pas même la moitié de ce qu'on donne pour dire une messe au curé de la paroisse!»
A l'instant où Thornpipe achevait cette phrase, le mécanisme s'arrêta, au vif déplaisir des spectateurs, dont la curiosité était loin d'être satisfaite. Et, comme le montreur de marionnettes se disposait à rabattre le couvercle de la caisse, en disant que la représentation était terminée:
«Est-ce que vous consentiriez à en donner une seconde? lui demanda le pharmacien.
—Non, répondit brusquement Thornpipe, qui se voyait entouré de regards soupçonneux.
—Pas même si l'on vous assurait une belle recette de deux shillings?...
—Ni pour deux ni pour trois!» s'écria Thornpipe.
Il ne songeait qu'à partir, mais le public ne semblait point en humeur de lui livrer passage. Cependant, sur un signe de son maître, l'épagneul tirait déjà entre les brancards, lorsqu'une longue plainte, entrecoupée de sanglots, sembla s'échapper de la caisse.
Et alors Thornpipe, furieux, de s'écrier, ainsi qu'il l'avait déjà fait une première fois:
«Te tairas-tu, fils de chien!
—Ce n'est point un chien qui est là! dit le curé en retenant la charrette.
—Si! riposta Thornpipe.
—Non!... c'est un enfant!...
—Un enfant... un enfant!» répéta l'assistance.
Quel revirement venait de s'opérer dans les sentiments des spectateurs! Ce n'était plus leur curiosité, c'était leur pitié qui se manifestait par une attitude peu