Название | P'tit-bonhomme |
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Автор произведения | Jules Verne |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066074326 |
Il va sans dire que, devant le feu, il n'y avait jamais une place pour P'tit-Bonhomme, et rarement une écuelle de ce liquide que la vieille réservait aux plus grands. Ceux-ci se jetaient dessus comme des chiens affamés, et n'hésitaient pas à montrer les crocs pour défendre leur maigre portion.
Heureusement, Grip s'empressait d'emmener l'enfant dans son trou, et il lui donnait le meilleur de ce qui lui revenait pour sa part de la réfection quotidienne. Sans doute, il n'y avait pas de feu là-haut. Cependant, en se blottissant sous la paille, en se serrant l'un contre l'autre, tous deux parvenaient à se garantir du froid, puis à s'endormir, et le sommeil, peut-être cela réchauffe-t-il?... Il faut l'espérer du moins.
Un jour, Grip eut un vrai coup de fortune. Il était en promenade et filait le long de la principale rue de Galway, lorsqu'un voyageur qui rentrait à Royal-Hôtel, le pria de lui porter une lettre au Post-Office. Grip s'empressa de faire la commission et, pour sa peine, il reçut un beau shilling tout neuf. Certes, ce n'était pas un gros capital qui lui arrivait sous cette forme, et il n'aurait pas à se creuser la tête pour décider s'il le placerait en rentes sur l'État ou en valeurs industrielles. Non! le placement tout indiqué se ferait en nature, beaucoup dans l'estomac de P'tit-Bonhomme, un peu dans le sien. Il acheta donc une portion de charcuterie variée qui dura trois jours, et dont on se régala en cachette de Carker et des autres. On le pense bien, Grip entendait ne rien partager avec ceux qui ne partageaient jamais avec lui.
En outre,—ce qui rendit particulièrement heureuse la rencontre de Grip et du voyageur de Royal-Hôtel,—c'est que ce digne gentleman, le voyant si mal vêtu, se défit en sa faveur d'un tricot de laine qui était en bon état.
Ne croyez pas que Grip eût songé à le garder pour son usage personnel. Non! il ne pensa qu'à P'tit-Bonhomme. Ce serait «fameux» d'avoir ce bon tricot sous ses haillons.
«Il s'ra là-d'dans comme un mouton sous sa laine!» se dit le brave cœur.
Mais le mouton ne voulut point que Grip se dépouillât de sa toison à son profit. Il y eut discussion. Enfin les choses purent s'arranger à la satisfaction commune.
En effet, le gentleman était gros, et son tricot eût fait deux fois le tour du corps de Grip. Le gentleman était grand, et son tricot eût enveloppé P'tit-Bonhomme de la tête aux pieds. Donc, en gagnant sur la hauteur et la largeur, il ne serait pas impossible d'ajuster le tricot à l'avantage des deux amis. Demander à cette vieille ivrognesse de Kriss de découdre et de recoudre, autant lui demander de renoncer à sa pipe. Aussi, s'enfermant dans le galetas, Grip se mit-il à l'œuvre en y concentrant toute son intelligence. Après avoir pris mesure sur l'enfant, il travailla si adroitement qu'il parvint à confectionner une bonne veste de laine. Quant à lui, il se trouva pourvu d'un gilet—sans manches, il est vrai—mais enfin un gilet, c'est déjà quelque chose.
Il va de soi que recommandation fut faite à P'tit-Bonhomme de cacher sa veste sous ses loques, afin que les autres ne pussent la voir. Plutôt que de la lui laisser, ils l'auraient mise en morceaux. C'est ce qu'il fit, et s'il apprécia l'excellente chaleur de ce tricot pendant les grands froids de l'hiver, nous le laissons à penser.
A la suite d'un mois d'octobre excessivement pluvieux, novembre déchaîna sur le comté une bise glaciale qui condensa en neige toute l'humidité de l'atmosphère. La couche blanche dépassa l'épaisseur de deux pieds dans les rues de Galway. La récolte quotidienne de houille et de tourbe s'en ressentit. On gelait rudement dans la ragged-school, et si le foyer manquait de combustible, l'estomac, qui est un foyer, en manquait également, car on n'y faisait pas de feu tous les jours.
Il fallait bien, néanmoins, au milieu de ces tempêtes de neige, à travers les courants glacés, le long des rues, sur les routes, que les déguenillés cherchassent à pourvoir aux besoins de l'école. Maintenant, on ne trouvait plus rien à ramasser entre les pavés. L'unique ressource, c'était d'aller de porte en porte. Certes, la paroisse faisait ce qu'elle pouvait pour ses pauvres; mais, sans parler de la ragged-school, nombre d'établissements de charité se réclamaient d'elle en ce temps de misère.
Les enfants étaient dès lors réduits à quêter d'une maison à l'autre, et quand toute pitié n'y était pas éteinte, on ne leur faisait pas mauvais accueil. Le plus souvent, il est vrai, avec quelle brutalité on les recevait, avec quelles menaces en cas qu'ils s'aviseraient de revenir, et ils rentraient alors les mains vides...
P'tit-Bonhomme n'avait pu se refuser à suivre l'exemple de ses compagnons. Et pourtant, lorsqu'il s'arrêtait devant une porte, après en avoir soulevé le marteau, il lui semblait que ce marteau retombait d'un grand coup sur sa poitrine. Alors, au lieu de tendre la main, il demandait si l'on n'avait pas quelque commission à lui donner. Il s'épargnait du moins la honte de mendier... Une commission à ce gamin de cinq ans, on savait ce que cela voulait dire, et parfois, on lui jetait un morceau de pain... qu'il prenait en pleurant. Que voulez-vous?... la faim.
Avec décembre, le froid devint très rigoureux et très humide. La neige ne cessait de tomber à gros flocons. C'est à peine si l'on pouvait reconnaître son chemin à travers les rues. A trois heures de l'après-midi, il fallait allumer le gaz, et la lumière jaunâtre des becs ne parvenait point à percer l'amas des brumes, comme si elle eût perdu tout pouvoir éclairant. Ni voitures ni charrettes en circulation. De rares passants se hâtant vers leur logis. Et P'tit-Bonhomme, avec les yeux brûlés par le froid, les mains et la figure bleuies sous les morsures de la bise, courait en serrant étroitement ses loques blanches de neige...
Enfin ce pénible hiver s'acheva. Les premiers mois de l'année 1877 furent moins durs. L'été fit une précoce apparition. Il y eut d'assez fortes chaleurs dès le mois de juin.
Le 17 août, P'tit-Bonhomme—il avait alors cinq ans et demi—eut la bonne chance d'une trouvaille, qui allait avoir des conséquences très inattendues.
A sept heures du soir, il suivait une des ruelles aboutissant au pont du Claddagh, et revenait à la ragged-school, certain d'y être fort mal reçu, car sa tournée n'avait point été fructueuse. Si Grip n'avait pas quelque vieille croûte en réserve, tous deux devraient se passer de souper ce soir-là. Ce ne serait pas la première fois, d'ailleurs, et de s'attendre à manger tous les jours, à heure fixe, c'eût été de la présomption. Que les riches aient de ces habitudes, rien de mieux, puisque c'est dans leurs moyens. Mais un pauvre diable, ça mange quand ça peut, et «ça n' mang' pas, quand ça n' peut pas!» disait Grip, très habitué à se nourrir de maximes philosophiques.
Or, voilà qu'à deux cents pas de l'école, P'tit-Bonhomme buta et s'étendit de tout son long sur le pavé. Comme il n'était point tombé de haut, il ne se fit aucun mal. Mais, au moment où il s'étalait, un objet, heurté par son pied, avait roulé devant lui. C'était une grosse bouteille de grès, qui ne s'était pas cassée,—par bonheur, car il aurait pu être blessé grièvement.
Notre petit garçon se releva, et, en cherchant autour de lui, finit par retrouver cette bouteille, dont la contenance pouvait être de deux à trois gallons. Un bouchon de liège fermait son goulot, et il suffisait de l'enlever avec la main pour savoir ce que contenait ladite bouteille.
P'tit-Bonhomme la déboucha donc, et il lui sembla qu'elle était pleine de gin.
Ma foi, il y aurait là de quoi satisfaire tous les déguenillés, et, ce jour-là, P'tit-Bonhomme put être assuré qu'on lui ferait un excellent accueil.
Personne dans la ruelle, aucun passant ne l'avait vu, et deux cents pas le séparaient de la ragged-school.
Mais alors des idées lui vinrent,—des idées qui ne seraient venues ni à Carker ni aux autres. Elle ne lui appartenait pas, cette bouteille. Ce n'était point un don de charité, ce n'était pas un débris jeté aux ordures, c'était un objet perdu. Sans doute, de retrouver son propriétaire, cela ne laisserait pas d'être assez difficile. N'importe, sa conscience lui disait