Études sur l'histoire de l'art. Eugene Guillaume

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Название Études sur l'histoire de l'art
Автор произведения Eugene Guillaume
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066328429



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présumée du mur de la cella primitive, et on y a trouvé, à côté de blocs de tuf laissés en désordre, un pavage antique de marbre encore en place à plusieurs endroits. Au-dessous s’étend une aire de béton et plus bas une nappe d’eau. Des sondages opérés extérieurement et dans le voisinage du laconicum ont fait voir la même aire bétonnée et la même couche d’eau. Celle-ci donnant partout à sa surface un niveau constant, on a établi sans peine la profondeur relative des différents sols existants et mis au jour par la fouille. Ainsi le pavé de marbre retrouvé à l’intérieur est à 2m, i3 en contrebas du vestibule, et s’il en est ainsi, comment communiquait-on du portique aux autres parties du temple? Sans pousser plus loin, on voit que, dans l’état présent des choses, il est difficile d’émettre une opinion.

      Néanmoins, quels que soient les faits inattendus que les fouilles doivent nous révéler, la part de découvertes qui revient à M. Chedanne est assez importante pour qu’on ne tarde pas davantage à la faire connaître. Quant aux conséquences, après ce qui vient d’être rapporté, il faut renoncer à beaucoup d’idées reçues et la science elle-même est changée sur plus d’un point. Si l’on reconnaît aujourd’ hui que l’édifice circulaire est d’Adrien, plusieurs des questions qui ont le plus occupé les savants deviennent moins difficiles à résoudre. D’abord, je le redis, il ne faut plus attribuer la rotonde au temps de la république. Aussi bien, était-il difficile d’admettre que l’architecture romaine eût, en quelque sorte, débuté par cette œuvre sans précédent, par une construction aussi considérable et aussi belle sans qu’il en eût été fait mention. Aujourd’hui, on comprendra mieux qu’après maintes entreprises qui introduisirent à Rome les formes de l’architecture orientale et sous un empereur architecte et éclectique comme Adrien, le Panthéon ait été exécuté avec la perfection où nous le voyons. D’ailleurs, on le croit encore, c’est de l’Asie et non de l’Italie, c’est de la Mésopotamie qu’est venu l’art de faire des massifs de briques et de matériaux comprimés et de les revêtir de parements de marbre, ou d’albâtre comme cela se pratiquait dès une haute antiquité dans le palais des rois d’Assyrie. De pareilles masses de matériaux dans lesquelles le bois n’entrait pour rien à Rome étaient à l’abri du feu. Cette considération, que j’ai déjà émise, on peut l’opposera ceux qui voudraient qu’Adrien eût rétabli le Panthéon dans son état primitif. Comment, étant dépourvu de tout élément combustible, le premier temple aurait-il été incendié ? Il semblerait que la réfection de l’an 123 eût été, en partie du moins, une création.

      Dans ces conditions, nous nous arrêtons avec hésitation devant les textes de Pline. Ne sont-ils pas plus vieux que le Panthéon actuel de près d’un siècle? Ces textes ont été étudiés avec une persévérance infatigable; ils sont l’objet d’un grand respect. Mais peut-être a-t-on étendu outre mesure leur signification? Non seulement on tient compte de ce qu’ils disent et on l’accepte; mais, même en présence du monument, on croit devoir admettre, comme attesté par eux, ce qu’ils ne disent pas-Pline parle d’un temple. Il fait mention d’un fronton, de cariatides, de chapiteaux de bronze; mais nulle part d’une rotonde et d’une coupole, chose cependant digne de remarque. Cette voûte si vaste devait être, même à Rome, quelque chose qui méritait l’attention. En tout cas, rien de ce que rapporte l’auteur ne s’accorde avec ce qui existe. Mais si l’on veut bien penser qu’il voyait et décrivait un autre édifice, tout se simplifie. Alors le temple, un octostyle, se développe suivant les règles de Vitruve et la cella répond logiquement à l’ordonnance du vestibule. L’intérieur est divisé en trois nefs par des colonnes dont les chapiteaux sont de bronze. Les colonnes du milieu forment un premier ordre et elles portent des cariatides sur lesquelles la charpente vient poser. Cette partie de l’œuvre a pu brûler, les poutres n’étant pas seulement de bronze, mais de bois recouvert de métal. L’incendie a pu être allumé par la foudre; il a pu aussi être concentré dans la cella et le portique rester intact. Voilà ce qu’il serait permis de penser du premier Panthéon, en concluant de ce qu’il en reste à ce qui en a péri; et peut-être les découvertes à venir viendront-elles justifier ces conjectures.

      Quant au texte de Dion Cassius, il s’appliquerait aux choses de son temps. Pline était mort en 79. Dion, qui était né en 155, a certainement vu le monument dans un état différent de celui que Pline a décrit. Depuis lors, le Panthéon avait été brûlé et rétabli deux fois. Les restaurations très fidèles telles que nous nous efforçons de les exécuter aujourd’hui n’étaient guère plus dans les habitudes des anciens que les copies serviles; et chaque empereur devait être tenté de mettre du sien dans ce qu’il reconstruisait. Dion vit le Panthéon tel qu’il était sous Septime-Sévère, et c’est de celui-là qu’il a parlé. Mais cette réfection venait après celle d’Adrien et malgré l’inscription dont il a été parlé plus haut, peut-on la considérer comme ayant reproduit avec une rigoureuse exactitude le temple bâti ou consacré par Agrippa?...

      Mais je discute, j’émets des suppositions et des doutes, et je n’ai point qualité pour cela. Qu’on m’excuse. Tout ce que je puis dire, c’est que les découvertes de M. Chedanne me semblent simplifier la tâche des archéologues et leur enlever un grand souci: celui de faire cadrer les indications fournies par Pline avec la réalité présente, celui de faire entrer dans un édifice postérieur en date ce qui appartenait à un édifice plus ancien.

      Ce que le travail dont nous nous occupons a aussi de particulier, c’est que l’auteur y est parti de l’étude de la construction. Il n’a pas été ébloui par les beautés de son modèle au point de n’en voir le complément que dans sa propre imagination. Il a voulu en connaître la raison profonde. Il n’a pas eu la prétention d’interpréter les textes: cet art n’est pas le sien. Il se borne à déchiffrer les débris du passé et à interpréter les formes architectoniques, ce qui constitue une épigraphie et une philologie spéciales. Maintenant que les marques empreintes sur les matériaux ont fourni leur témoignage, il continue son œuvre technique en recherchant dans les substructions les vestiges des fondations anciennes et la condition statique des constructions actuelles. Ensuite, il achèvera son œuvre en poursuivant ses investigations jusqu’au sommet de la coupole. Plus tard, et seulement lorsqu’il en aura bien reconnu et pénétré l’organisme intime, il revêtira l’édifice de ses ornements.

      La méthode est rationnelle, et, à ce propos, je veux appeler l’attention sur cette disposition d’esprit du jeune architecte. Ce n’est pas l’opinion généralement reçue que les élèves de l’École des Beaux-Arts et particulièrement ceux qui obtiennent le prix de Rome aient une grande prédilection pour l’étude de la construction. A entendre les détracteurs de l’institution, ce qu’on peut attendre de nos pensionnaires, ce sont surtout de belles aquarelles. Mais ils ne se bornent pas à cela et les personnes prévenues contre eux ne suivent pas d’assez près ce qui se fait rue Bonaparte. Depuis vingt-cinq ans, l’enseignement de la construction y a pris une place considérable: il embrasse au moins deux années. Après que les voies lui eurent été préparées par le vénérable M. Jay et qu’il eut été déjà développé par le baron Elphège Baude, il a été porté très haut par un artiste de premier ordre, Emmanuel Brune. Élève distingué de l’École polytechnique et, bientôt après qu’il en fut sorti, grand prix d’architecture, Brune, quand il fut appelé à professer à l’École des Beaux-Arts, déploya dans son cours la double intelligence et la double autorité de l’ingénieur et de l’architecte. Sa mort récente et prématurée a laissé un grand vide. Mais son successeur conserve pieusement l’esprit de ses leçons, esprit de principes rigoureux et de mesure, doctrine qui ne fait pas plus fléchir la science qu’elle n’entrave le sentiment. Mais ce que Brune a laissé après lui, c’est une génération d’architectes formés d’après ces idées, également préoccupés de l’art de bâtir et de l’art de décorer et ne les séparant jamais, parce qu’ils sont inséparables dans les chefs-d’œuvre. Ainsi Brune a été un maître véritable; il a formé des disciples convaincus, et, parmi eux, les pensionnaires de l’Académie restent au nombre des plus fervents.

      Une évolution très importante s’est donc opérée dans notre école. On n’y descend pas, et comme par grâce,