Iza Lolotte et Compagnie. Alexis Bouvier

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Название Iza Lolotte et Compagnie
Автор произведения Alexis Bouvier
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066316440



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pour faire son corsage. C’était amusant à voir, je ne l’ai pas quittée des yeux. Elle a été gentille, elle est partie avant la fin. Je décampe, je la vois monter en fiacre, je m’accroche derrière, et allez-y! plus d’une demi-heure de marche dans un quartier insensé. Avec ça qu’il était trop tard pour venir prendre des renseignements; mais j’ai bien regardé mon chemin et je m’y reconnaîtrai. Arrivé dans les petites rues, j’ai fait des croix sur chaque coin où l’on tournait. Quand la voiture s’arrêta, je me cachai dans un coin de porte, et je la vis descendre.

      Ça m’a l’air d’un petit hôtel garni. Avant qu’elle eut frappé, la porte fut ouverte par un grand et beau gars qui tenait une bougie à la main. Ah! je l’ai vu en plein; il avait l’air de s’éclairer lui-même, et je le reèonnaîtrais bien: brun de peau, de grands yeux noirs immenses, de longs cheveux blonds qui retombaient bouclés sur ses épaules. Ils ont échangé quelques mots dans une langue encore plus ridicule que l’autre, puis elle est montée avec lui, et j’ai vu la lumière au premier. Elle est restée là à peu près une petite demi-heure, elle est redescendue et montée en voiture. Vous comprenez qu’à cette heure-là je ne pouvais rien aller demander, ni aux voisins, ni dans la maison; alors je me suis raccroché à la voiture, qui m’a ramené encore sur une espèce de grand boulevard qui se trouve juste au bout, tout au bout de la rue dans laquelle est notre hôtel. Elle est descendue devant un jardin qui a une grande serre vitrée; ça ressemble à un jardin des plantes. Elle a payé le cocher, puis, remontant le boulevard pendant environ cinq minutes, est entrée dans un petit hôtel où l’on faisait un bacchanal d’enfer. J’ai demandé à un des cochers, devant la porte; il m’a dit que c’était la demeure d’un financier qui faisait courir, et dont le cheval avait gagné le grand prix aujourd’hui, le propriétaire de Nichette;. c’est. ah! le baron Van Ber-Costeinn. Comme il m’a dit que c’était une fête, qu’on soupait, qu’on passerait la nuit, alors je suis revenu et demain matin j’irai là-bas, enfin dans le quartier, et je vous garantis que je saurai quel est le bonhomme chez qui elle est allée ce soir et ce qu’elle allait y faire.

      –C’est très bien, Chadi, très bien, mon ami, fit Huret en lui prenant la main; nous devons être sur la voie. Nous allons nous coucher bien vite, et demain matin nous irons ensemble.

      –Ah bien! j’aime mieux cela.

      Huret se préparait à se déshabiller, car ils avaient une grande chambre à deux lits, lorsque Chadi lui demanda:

      –A Bruxelles, dans les hôtels, est-ce que c’est indiscret de demander la nuit, quelque chose à manger, un brin de n’importe quoi, sur le pouce, une parcelle de gigot sur un petit bout de pain? Oh! que j’ai faim! C’est ça qui creuse de courir!

      –Eh! ma foi, tu as une bonne idée, fit Huret, nous n’avons pas besoin de réveiller le garçon de l’hôtel pour nous servir. A Bruxelles, on mange et on boit toute la nuit. Nous allons sortir et aller à la taverne de Londres. C’est là que les étrangers vont le plus souvent lorsqu’ils arrivent, et peut-être verrons-nous ce type, portant une valise, que je t’ai signalé au chemin de fer.

      –Oh! que nous le voyions ou que nous ne le voyions pas, tout ce que je demande, c’est qu’on mange. Et puis, c’est pas ça, monsieur Huret, vous m’avez promis de me faire connaître Bruxelles, il faut commencer.

      Dix minutes après, ils étaient attablés à la taverne anglaise, et Huret commandait à souper.

      Chadi ne se sentait pas de joie de cette vie de noctambule. Il regardait curieusement autour de lui ce monde bruyant, ces femmes en toilettes tapageuses; jamais il n’aurait cru qu’à pareille heure, dans les maisons qui semblaient endormies, on vivait si gaiement.

      C’est un des côtés les plus agréables de Bruxelles, que cette vie non interrompue par la nuit; bien au contraire, il semble qu’à la sortie des théâtres une vie nouvelle recommence. Alors, les tavernes s’emplissent. Toutes les filles que l’inconduite a chassées de Paris, toutes celles que la liberté absolue des mœurs laisse promener à toute heure dans les rues de la vieille ville flamande se retrouvent là, cherchant un compagnon, pour la nuit, dans une des tavernes.

      Chadi était mis en gaieté par ce spectacle tout nouveau pour lui; aussi le simple souper qu’ils firent compta-t-il comme un des heureux moments de son existence.

      Lorsque Huret proposa de se reposer, Chadi proposa d’attendre, en buvant, le lever du jour; mais Huret n’agréa pas sa proposition; ils rentrèrent vers trois heures du matin, se jetèrent chacun sur son lit et dormirent, ayant’convenu de prendre deux heures de sommeil.

      A cinq heures et demie ils étaient debout.

      Huret dit à Chadi:

      –Vas-tu pouvoir retrouver ton chemin?

      –Oh! ça, j’en réponds; autant que je l’ai pu, j’ai gravé dans ma mémoire les noms des rues par lesquelles nous sommes passés.

      –Nous allons suivre le même chemin. Ainsi, tu es parti du théâtre?

      –Oui.

      –Allons-y.

      Arrivés sur la place de la Monnaie, Chadi s’orienta en disant:

      –Voilà1nous avons pris la voiture ici, puis elle a tourné à gauche.

      –Bien.

      Puis ils marchèrent.

      –Maintenant, par ici.

      –Ah! nous sommes rue Fossés-aux-Loups.

      –J’ai pas encore remarqué ça, Je ne sais pas le nom; ah! nous avons encore tourné ici.

      –Est-ce la rue du Marais!

      –Oui, nous avons été jusqu’au bout, et ça donne sur le boulevard du jardin Botanique.

      –C’est ça, justement.

      Ils marchèrent encore vingt minutes pour arriver en haut du boulevard.

      Chadi reprit:

      –Nous y voici.

      Ils firent encore une trentaine de pas.

      Chadi s’arrêta:

      –Ah! voilà, je ne sais pas laquelle ça est, si c’est la première ou la seconde rue que nous avons prise à droite. Attendez, elle s’appelle la rue..., la rue. de la Traverse, je crois.

      –Ah! rue Traversière.

      –Oui, ça doit être ça, je n’ai pas bien vu.

      –C’est la deuxième alors, avançons.

      –Oh! là, nous avons été loin, c’est tout en haut, tout en haut.

      Ils marchèrent; au bout d’un certain temps, Huret lui demanda:

      –Eh bien, t’y reconnais-tu?

      –Ma foi, pas très bien. C’était une rue là, à gauche, ça ne doit pas être loin d’ici.

      –Nous ne l’avons pas passée?

      –Oh! non.

      –Comment n’as-tu pas mieux remarqué que cela?

      –Vous êtes encore bon! vous; je me tenais après le fiacre, en courant derrière.

      –Te souviens-tu du nom de la rue?

      –Oui, attendez, c’est un sacré nom, pas un nom français. Attendez, rue..., rue.

      –Ce n’est pas cette rue-là?

      –Qu’est-ce que c’est que ça?

      –Rue du Mérinos.

      –Non. Montons.

      –Rue Verbockoven?

      –C’est ça. Ah! nous y sommes maintenant. Là, dans le milieu; c’est dans le milieu de la rue;