Frédéric. Joseph Fiévée

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Название Frédéric
Автор произведения Joseph Fiévée
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066084981



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vous prendrez celle à répétition, garnie de perles, et vous la lui donnerez.—Avec la chaîne, madame?—Non; elle est trop antique pour un jeune homme comme lui. Je vous charge, Philippe, de lui en acheter une qui lui plaise.—Voyez, monsieur, ajouta-t-il en me présentant le bijou le plus galant qu'il soit possible de choisir, voyez si j'ai bien réussi.»

      J'embrassai mon bon Philippe de toutes mes forces; il me dédommageoit si agréablement du moment d'inquiétude qu'il m'avoit donné, qu'en vérité il auroit fallu être de bien mauvaise humeur pour lui en vouloir.

      «Il n'est pas un seul de vos conseils qui ne m'ait été utile, lui dis-je; et hier encore, grâce à vous, j'ai acquis beaucoup auprès de M. de Vignoral.—C'est fort bien, mon cher Frédéric; mais maintenant je vous exhorte à vous occuper sérieusement de l'ouvrage qu'il vous a donné. Il étoit ridicule à lui de vous accabler à votre arrivée; il seroit dangereux pour vous de vous faire une habitude de la dissipation. Je n'ai pas besoin de vous recommander de lire les volumes dédiés à votre protectrice; il faut vous attendre aux questions qu'elle vous fera à cet égard.—Oui, Philippe.—Que faites-vous ce soir?—J'attends un jeune homme avec lequel je dois aller aux François.—Beaucoup de discrétion avec vos amis.—Avec tous, Philippe?—Oui, monsieur, avec tous.—Et avec vous aussi», lui dis-je en riant et en lui tendant la main. Il la serra contre sa poitrine, et m'apprit qu'il iroit aussi aux François.

      «Nous irons ensemble, m'écriai-je.—Non, monsieur, cela ne se peut pas, sur-tout quand vous êtes en société. Madame de Sponasi y sera; c'est son jour de loge.—Et M. de Vignoral aussi, avec son épouse future. J'ai bien envie de la voir, et c'est en grande partie ce qui m'a décidé. Philippe, je fais une réflexion bien singulière: M. de Vignoral ne m'a pas encore apperçu dans une élégance si nouvelle pour moi, qu'elle a presque l'air d'un déguisement; j'ai peur qu'elle ne lui déplaise.—J'y pensois, me répondit-il, et je ne vois qu'un moyen de vous éviter jusqu'à ses réflexions. Il verra madame de Sponasi, et je suis persuadé qu'il ira lui rendre visite dans sa loge. Elle est aux premières, à droite: placez-vous de manière à ce qu'elle vous remarque; saluez-la respectueusement: n'avancez pas si elle ne vous encourage à venir; mais faites en sorte qu'elle vous apperçoive de nouveau quand M. de Vignoral sera auprès d'elle: je vous réponds du reste.

       Table des matières

       Table des matières

      Florvel (c'étoit bien le nom de l'ami que j'attendois, j'en fus sûr en le voyant), Florvel arriva. Philippe sortit en m'assurant qu'il n'oublieroit pas de présenter mes remerciemens à madame la baronne. Je souris de la complaisance de sa mémoire, car je n'avois pensé qu'à remercier Philippe. Florvel me prit par le bras, et nous partîmes pour le spectacle.

      «Quelle est cette baronne, me dit-il, à laquelle on présente tes remerciemens? Est-elle jeune?—Elle n'a que soixante-deux ans.—Et de quoi la fais-tu donc remercier?—Regarde, lui dis-je en lui présentant ma montre: le cadeau n'en vaut-il pas la peine?—Oui certes, mon ami; et si, à ton âge, avec une santé toute neuve, tu donnes dans la vieille noblesse, je te prédis que tu iras loin. Comment se nomme-t-elle?—Madame de Sponasi.—Cela n'est pas possible; je croyois que sa philosophie la mettoit maintenant au-dessus des foiblesses de l'humanité.—Je ne t'entends pas.—Il me semble cependant que je m'explique. Madame de Sponasi est-elle ta parente?»

      Je compris aussitôt ce qu'il vouloit me dire, et je répondis avec assurance que j'avois l'honneur d'être allié à sa maison; qu'ayant perdu de bonne heure mes parens, et madame de Sponasi n'ayant pas d'enfant, elle avoit bien voulu se charger de mon sort.

      «Que fais-tu chez M. de Vignoral?—J'achève mon éducation.—Est-ce qu'elle veut faire de toi un philosophe, mon pauvre Frédéric? Ne t'avise pas de devenir raisonnable, ou, malgré mon amitié pour toi, je renoncerois à te voir.—Est-ce que tu n'es pas raisonnable, toi, Florvel?—Pas trop; du moins c'est l'avis de ma famille. Figure-toi qu'ils veulent me marier. À vingt ans, un nom, et quelque réputation auprès des femmes, me marier!—Avec une demoiselle âgée, peut-être?—Elle n'a que seize ans.—Laide?—Belle comme son âge.—Sotte?—Remplie d'esprit, de graces et de talens.—Pauvre?—Au contraire, riche dès à présent, et héritière d'une demi-douzaine de vieux parens qui l'adorent.—Et tu refuses?—Mon ami, ce n'est pas ma faute. Je suis aimé à la folie d'une femme qui mourroit de chagrin si je l'abandonnois. Elle ne peut supporter l'idée de ce mariage, et je n'ai pas la force de lui en causer le chagrin. Elle est mariée: elle a bravé pour moi et l'autorité de son époux, et la censure publique; il n'est pas de sacrifices qui lui coûtassent, plutôt que de renoncer à son amour. D'un autre côté, mes parens me pressent: je ne suis pas riche, moi; et comme je n'ai rien de réel à leur objecter, cela m'embarrasse beaucoup.»

      Nous arrivâmes aux François, et nous nous plaçâmes au balcon opposé à la loge que Philippe m'avoit indiquée pour être celle de madame de Sponasi. Presque en face de nous, je découvris M. de Vignoral, avec une femme entre deux âges, propriétaire d'une de ces figures dont on ne parle pas, et une jeune personne si jolie, que je soupirai en la regardant. Il s'occupoit si peu d'elle, que je me persuadai bientôt que ce n'étoit pas l'épouse qui lui étoit destinée; et cette idée me fit plaisir, sans trop savoir pourquoi. J'allois la faire remarquer à Florvel, quand lui-même me montra son père avec plusieurs dames et mademoiselle de Nangis; c'étoit l'épouse qu'il refusoit. «Tu as raison, mon ami, lui dis-je, elle est de la figure la plus intéressante.—Sans doute, me répondit-il en soupirant». La pièce venoit de commencer.

      Dans l'entr'acte, Florvel m'observa qu'il lui étoit impossible de ne pas aller saluer ces dames et son père; il me proposa de venir avec lui. J'avois vu arriver madame de Sponasi, et je ne demandois pas mieux que d'aller me placer au balcon au-dessous de sa loge, quoique je m'exposasse à être vu de M. de Vignoral, qui étoit presque à côté; mais alors la crainte de ses observations étoit moins grande que le désir de voir sa société de plus près. Je consentis à accompagner Florvel, à condition qu'il viendroit à son tour avec moi. Proposer à un jeune homme de parcourir tous les coins d'une salle de théâtre, c'est être sûr d'avance de sa réponse.

      Notre première visite fut pour le père de Florvel; j'en fus accueilli avec les politesses d'usage. Je ne pourrais apprendre aux autres ce que je ne sais pas moi-même; mais il est des choses sur lesquelles l'expérience précède la réflexion. En sortant de la loge, je dis à Florvel: «Mon ami, je suis persuadé que mademoiselle de Nangis t'aime.—Je le crois, me répondit-il d'un air inquiet; je crois plus, c'est que je l'aime aussi.»

      Nous entrâmes au balcon. Madame de Sponasi m'apperçut, et me sourit avec amitié: je la saluai; Florvel en fit autant. Madame de Sponasi n'avoit répondu à mon salut que par un nouveau sourire: elle répondit à celui de Florvel par une inclination de tête plusieurs fois répétée. M. de Vignoral entra en ce moment dans sa loge: nous étions restés debout; elle nous fit signe d'approcher.

      «Monsieur, dit-elle à Florvel, je félicite Frédéric sur le choix de ses amis: on vouloit me faire craindre qu'il ne devînt trop sérieux; mais en le voyant lié avec vous, je garantis qu'avant un mois on le citera dans tout Paris pour son étourderie.»

      «Je crois plutôt, madame, répondit Florvel, que je lui devrai la gloire de devenir raisonnable. L'honneur qu'il a de vous connoître, les conseils de M. de Vignoral, le mettent à l'abri de ma séduction, sans me donner la même assurance contre son exemple.»

      «Qu'en pensez-vous, Frédéric»? me dit madame de Sponasi.

      «Moi, madame? J'ai appris ce matin que l'amabilité et la raison vont si bien