Название | Frédéric |
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Автор произведения | Joseph Fiévée |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066084981 |
Quand il m'eut encore parlé de la destinée affreuse qui réduisoit un homme comme lui à travailler pour les marchands de musique, et à donner des leçons; quand il m'eut bien répété que les François n'étoient pas nés musiciens, qu'ils étoient insensibles à l'harmonie, que la mélodie n'avoit aucun charme pour eux, il essaya ma voix, et m'assura qu'avec son secours je deviendrois bientôt un virtuose. Nous fîmes nos arrangemens, et il me quitta sans prendre garde seulement si je le reconduisois.
Je retournai bien vîte à mon bureau; j'étois pressé de mettre en pratique les conseils de madame Leblanc, et le manuscrit de M. de Vignoral sembloit me reprocher la futilité des occupations auxquelles se livroit un apprenti philosophe: mais il étoit décidé que je n'essaierois seulement pas une plume. Je reçus la visite du maître en fait d'armes; je pris ma première leçon, qui ne fut interrompue que par le récit de toutes les circonstances dans lesquelles ce brave homme avoit tué ou blessé ses adversaires. Il ne les tuoit, m'assura-t-il, qu'à son corps défendant; mais il les blessoit avec le plus grand plaisir, «Et voilà, monsieur, l'avantage de la science sur l'ignorance. Un mal-adroit donne la mort à un galant homme sans s'en douter; une main habile tire du sang, se venge, et laisse la vie à son ennemi. Je ne peux souffrir ces spadassins qui se réjouissent en voyant expirer leur adversaire: c'est une chose affreuse, monsieur, et les lois devroient punir de pareils monstres; ce sont des assassins. Je n'ai tué que six hommes dans ma vie, trois parce qu'ils l'ont absolument voulu, trois autres par ma faute, j'en conviens, et ne m'en consolerai jamais. Quand vous serez plus avancé, je vous montrerai ce coup, et vous avouerez que je ne devois pas les tuer; mais l'être le plus exercé se trompe quelquefois.»
Si le professeur de danse m'avoit brisé les jambes, le maître d'armes me mit le corps et les bras dans un état tel, que lorsque j'essayai d'écrire, il me fut impossible de tracer un mot; ma main trembloit si fort, que je fus obligé d'y renoncer. «Ce sera pour demain, me dis-je; demain, je n'attends personne, et je réparerai le temps perdu.»
À dîner, M. de Vignoral me demanda si j'avois travaillé. «Beaucoup, monsieur, lui répondis-je.—Eh bien! allez au spectacle ce soir; il est naturel qu'à votre âge on cherche le plaisir. Nos théâtres offrent des chefs-d'œuvre qu'il faut connoître: quoique je ne fasse aucun cas de la poésie, je sais qu'elle est séduisante pour la jeunesse; et les maximes philosophiques répandues dans la plupart des tragédies nouvelles, prouvent du moins que la versification est bonne à quelque chose; elle laisse dans la mémoire de la bourgeoisie des idées qu'elle n'iroit pas puiser dans des ouvrages plus sérieux.»
M. de Vignoral se trouvoit d'accord avec moi; mon intention étoit en effet d'aller au spectacle, non pour écouter une tragédie philosophique, mais à l'Opéra, pour voir danser les grands hommes dont j'avois entendu parler le matin.
Ô les aimables gens que les François à Paris! J'étois fâché d'aller seul; j'aurois desiré avoir Philippe, ou tout au moins madame Leblanc, pour m'accompagner. Aussitôt que je fus entré dans la salle, les premières personnes près desquelles je me plaçai, lièrent conversation avec moi. À peine s'apperçurent-elles que j'étois étranger à ce genre de plaisir, qu'elles se disputèrent à qui m'apprendroit le nom des acteurs, des actrices, des danseurs, des danseuses, des musiciens, des décorateurs, du maître des ballets, et même des auteurs. Je sus aussi les intrigues des coulisses, et, qui plus est, dans les entr'actes, on me conta l'histoire secrète des jolies femmes qui étoient dans les loges. Mes deux plus proches voisins me dirent qui ils étoient, ce qu'ils faisoient, ce qu'ils espéroient; et, tout autour de moi, je n'entendis que gens qui causoient si haut de leurs affaires, qu'on auroit cru qu'ils étoient tous condamnés à une confession générale et publique. Je sentis alors qu'on n'étoit jamais en plus grande société au spectacle que lorsqu'on y venoit seul, et la remarque me tranquillisa pour l'avenir.
Seconde visite de Philippe.
En m'éveillant le lendemain, ma première pensée fut pour le manuscrit du grand homme; je me promis très-sérieusement de lui consacrer la matinée: mais j'avois oublié que j'attendois mon tailleur. Il vint; je passai une heure avec lui, tant à contrôler ce qu'il m'apportoit, qu'à lui donner des ordres précis sur ce qu'il avoit à me livrer. Il fut étonné des connoissances que j'avois acquises depuis deux jours; il ignoroit que j'avois été la veille à l'Opéra. Quand il fut parti, je restai encore long-temps à considérer mes habits; enfin la vanité l'emporta, je ne pus résister au désir de m'habiller. Adieu le manuscrit: comment rester en place dans l'équipage où j'étois? J'allois me promener uniquement pour me montrer, quand je reçus un billet de Philippe. Il m'envoyoit l'adresse d'une académie d'équitation, et me prévenoit qu'il viendroit me voir dans l'après-midi. Je pris une voiture, et j'allai au manége: j'y fus accueilli avec amitié par les jeunes gens qui s'y trouvoient; et moi, qui, quatre jours avant, ne connoissois que le curé de Mareil, j'aurois pu me vanter d'être alors lié avec les plus aimables cavaliers de Paris. Pour un jeune homme qui craint la solitude, c'est une grande ressource que le manége.
En rentrant, je trouvai madame Leblanc qui me guettoit: elle m'avertit que M. de Vignoral m'avoit demandé plusieurs fois avec humeur; qu'il étoit même monté dans mon appartement, et que lorsqu'il étoit descendu, il paroissoit fort en colère. Je sentis combien j'avois eu tort de ne pas fermer mon bureau, puisque cette négligence lui avoit donné la certitude que je n'avois encore rien fait. Je me promis de nouveau de réparer le temps perdu. M. de Vignoral ne devoit revenir que le soir, et je croyois, moi, ne plus sortir.
Philippe vint comme il me l'avoit écrit; il me félicita sur le changement qui s'étoit déjà opéré en moi, et me prédit que si je sentois l'importance de plaire, sans me laisser emporter par la fatuité, je ferois promptement mon chemin. «Êtes-vous toujours décidé, me dit-il, à me regarder comme un ami?—Plus que jamais, Philippe. Qu'elle idée avez-vous donc de moi, si vous croyez que je puisse oublier si vite l'intérêt que vous m'avez témoigné?—Promettez-moi donc que vous n'aurez jamais rien de caché pour moi.—Je vous le promets, Philippe, à condition que vous n'aurez pas non plus de secrets pour Frédéric.—Cela est impossible, monsieur. Dans tout ce qui a rapport à votre naissance, je ne sais que ce que vos parens ont bien voulu m'apprendre; et s'ils m'ont livré leur confiance sous la condition de ne la trahir jamais, que penseriez-vous de moi si je violois un pareil engagement?—Vous m'étonnez, Philippe; vos airs, vos discours, ne sont pas d'un homme de votre état: la première fois que je vous ai vu, j'ai douté de la vérité de ce que vous me disiez à ce sujet. Comment se peut-il que vous ayez tant de sensibilité, de noblesse même, dans une pareille condition? Et si vous vous êtes senti au-dessus, ce que je crois, comment n'avez-vous pas cherché à en sortir?—Je vous répondrai franchement dans tout ce qui aura rapport à moi, mon cher Frédéric (pardonnez-moi cette expression que la plus vive amitié m'inspire, et qui ne m'échappera jamais qu'entre nous). Je vous avoue que je suis flatté de votre question; elle me prouve que vous vous êtes occupé de moi, et que vous cherchez à justifier dans vos propres idées le sentiment dont vous m'honorez.
«Une éducation trop au-dessus de mon état me perdit. Je suis fils de paysans pauvres; à leur mort, je vins chercher à Paris ce qu'on appelle fortune, c'est-à-dire le moyen d'exister. Quelques dons que j'avois reçus de la nature ne servirent qu'à me faciliter la route des plaisirs; bientôt je fus obligé d'entrer au service. Vous vîtes le jour, et personne ne pénétra le secret de votre naissance, excepté madame de Sponasi et votre