Название | Frédéric |
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Автор произведения | Joseph Fiévée |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 4064066084981 |
«Quand vous vîntes au monde, je vous pressai le premier dans mes bras; c'est moi qui vous portai à Mareil; c'est d'après mon conseil que madame de Sponasi vous fit recommander au curé par M. de Vignoral. Je peux vous avouer deux choses qui ne vous seront point indifférentes: la première, que le service que je vous rendis avant que vous pussiez l'apprécier, m'inspira pour vous l'amitié d'un père, et que ce sentiment fut si vif, que je jurai de vous consacrer mon existence; la seconde, que, pour m'acquitter de cet engagement, je restai chez madame la baronne, qui n'étoit pas favorablement disposée pour vous. J'ai pris de l'ascendant sur elle, dans l'intention de vous être utile; c'est à votre conduite maintenant d'achever mon ouvrage.»
«—En vérité, Philippe, je serois accablé de la reconnoissance que je vous dois, si je ne trouvois un plaisir que je ne peux définir à vous devoir beaucoup. Croyez-vous que madame de Sponasi me nomme un jour mes parens?—Je ne le crois pas.—Pourrai-je les connoître sans son secours ou sans le vôtre?—Jamais.—Je dépends donc entièrement de cette femme, qui, sans Philippe, m'auroit abandonné?—Oui; mais je soupçonne que si elle ne cédoit qu'à mes prières, intérieurement elle n'étoit pas fâchée d'être sollicitée.—M. de Vignoral ne sait donc pas qui je suis?—Non.—Suis-je gentilhomme?—Conduisez-vous comme si vous l'étiez, puisque toujours les hommes ne valent qu'en proportion de ce qu'ils s'estiment.—Mes parens sont ils morts?—Je ne peux vous répondre.—Une dernière question, Philippe. Si mon sort se décidoit d'une manière avantageuse, que voudriez-vous de moi?—Rien, que de vous savoir heureux.—Si tout le monde m'abandonnoit, Philippe, que pourriez-vous pour moi?—Vous sacrifier ma vie si elle vous étoit nécessaire.—Encore une fois, sur quoi repose le sentiment qui vous attache au sort d'un infortuné pour qui tout vous seroit possible, et qui ne peut rien pour vous?—Sur mon devoir.—Votre devoir?—Ne vous ai-je pas dit qu'à votre naissance j'ai juré à votre père de ne jamais vous abandonner? Tant que vous m'aimerez, mon cher Frédéric, ce devoir sera bien facile à remplir: si jamais vous me méprisiez....—Philippe, j'en suis incapable: eh! que suis-je moi même pour m'élever jusqu'à la fierté? Si les obligations que l'honnête homme contracte l'enchaînent jusqu'à ce qu'ils les aient acquittées, ma reconnoissance sera éternelle.»
«Vous n'osez cependant, me dit-il, me promettre de n'avoir rien de caché pour moi: est-ce qu'une semblable promesse vous coûteroit?—Non, Philippe, et je vous la fais du plus profond de mon cœur.»
Son intention étant de passer la soirée avec moi, il me proposa de me mener à une petite maison de madame de Sponasi, située aux barrières. J'acceptai avec empressement; et, après avoir visité ce séjour dont le dieu des arts sembloit avoir été l'architecte, nous passâmes dans le jardin.
Portraits de société.
«Je vous ai promis, me dit Philippe, des renseignemens sur les personnes qu'il vous importe de connoître. Je vais commencer par votre protectrice.
«Madame de Sponasi a été belle. Veuve à vingt-cinq ans, elle mena une vie fort libre, sans être scandaleuse. Le choix de ses amis, ses succès à la cour, des bouffées d'esprit, et l'art de ménager toutes les femmes, lui firent une réputation brillante, dont vous entendrez parler dans le monde. Quand elle avoua elle-même approcher de la quarantaine, elle avoit quelques années de plus; c'est l'âge où une femme riche et titrée a l'habitude de se faire une nouvelle manière de vivre. Autrefois l'usage étoit de se jeter dans la dévotion; et, à l'époque dont je vous parle, il falloit encore une espèce de courage pour s'en dispenser. Madame de Sponasi balança un an. Deux jours par semaine elle donnoit à dîner à des prélats et aux hommes les plus marquans dans l'église; deux autres jours elle recevoit les hommes de lettres en réputation, et les philosophes en titre; le soir nous avions quelquefois des artistes. Les artistes en général ne cherchent que les plaisirs, des admirateurs et des protecteurs: aussi sont-ils sans conséquence, et nous les recevons toujours. Il n'en est pas de même des prêtres et des philosophes; chacun cherche à gagner à son corps ceux qui peuvent lui donner de l'éclat. Jeter madame de Sponasi dans la dévotion ou dans la philosophie, étoit un véritable coup de parti. Les prêtres s'y prirent mal. Elle est foible de caractère, et aime le plaisir; l'austérité l'effraya. Les prélats petits-maîtres essayèrent à leur tour de la convertir. Je vous ai parlé de ses bouffées d'esprit; elle les tourna en ridicule avec les mêmes argumens dont la sévérité lui avoit fait peur. Les philosophes, plus adroits, flattèrent ses passions, applaudirent à ses saillies, répétèrent ses bons mots, lui prêchèrent une morale si commode, qu'elle en fut séduite. Sa porte fut fermée à tous les ecclésiastiques; et cette même femme qui avoit pensé sérieusement à faire son salut, se déclara hautement pour la philosophie, et se fit une religion de ne pas croire en Dieu. Cela vous paroît extraordinaire; mais c'est une mode qui passe du boudoir dans le salon, du salon dans l'antichambre, de l'antichambre dans toutes les classes du peuple.
«Ne parlez donc jamais de la Divinité devant votre protectrice, et riez des traits hardis qu'elle lance à tout instant contre le ciel. Pour un jeune homme élevé par un curé, l'effort est pénible; mais, dans quinze jours, je vous prédis que vous vous y prêterez de bonne grâce.—Moi, Philippe?—Vous, monsieur. Je vous le répète, c'est la mode; et la crainte seule du ridicule suffiroit pour vous amener promptement à ce point. Est-il rien, d'ailleurs, de plus aimable qu'une doctrine qui, brisant le frein des passions, permet de se livrer à tous les écarts de l'imagination? Pourvu que vous parliez avec esprit de vos devoirs, on vous pardonnera de les négliger: les connoître et s'en dispenser, voilà le nec plus ultrà de la philosophie.»
«Je crois, Philippe, que vous exagérez, et qu'il y a parmi les philosophes des hommes estimables.»
«S'il y en a! s'écria-t-il; beaucoup plus qu'on ne se l'imagine: mais ceux-là n'en prennent pas le titre; ils le méritent, et c'est le public qui le leur accorde. On peut diviser ceux qui viennent chez nous en trois classes: les charlatans, les dupes, et les véritables amis de l'humanité. Pour vous donner une idée juste des charlatans et des dupes, je vais vous conter une anecdote sur deux personnages que tous rencontrerez souvent chez madame de Sponasi. Je tiens quelques détails du secrétaire de l'un d'eux, garçon rempli d'esprit, et qui doit sa fortune aux soins qu'il met à cacher à tout le monde des talens dont il pare un sot.
«M. de Parvis est petit de taille, de génie et de santé. À vingt ans, de petits yeux, une petite bouche, un petit nez, un petit menton rond, lui composoient une petite figure fort aimable. De petits calembourgs en eussent fait le héros des petites sociétés, si l'ennui qui le suivoit par-tout ne lui eût inspiré le désir de viser à la célébrité. Pour un homme riche, et il l'est, il y a beaucoup de manières d'être célèbre; il les essaya toutes. Il fit tant de folies pour faire parler de lui, qu'il fut obligé de quitter le service, et de ne plus paroître à la cour. C'est alors qu'il s'annonça publiquement comme ennemi des préjugés: il croyoit s'y soustraire; il ne bravoit que la décence.
«Il fréquenta les hommes de lettres, et fut accueilli dans la maison de M. Sentencis. M. Sentencis est roturier, riche et avare; il desiroit s'allier à la noblesse, et marier sa fille sans bourse délier; il cherchoit un sot à prétention; M. de Parvis lui parut mériter la préférence. Il répéta si souvent devant lui qu'il n'accorderoit la main de sa fille qu'à un partisan de la bonne cause, un véritable philosophe, un grand homme, que lorsque M. de Parvis la demanda et l'obtint, il se crut irrésistiblement un partisan de la bonne cause, et un véritable philosophe, et un grand homme. Pour dot, M. de Sentencis lui dédia un de ses ouvrages: aussi furent-ils tous les deux satisfaits, l'un d'avoir marié sa fille à bon marché, l'autre de passer