Frédéric. Joseph Fiévée

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Название Frédéric
Автор произведения Joseph Fiévée
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066084981



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se tiennent; il paroît présider les hommes au premier mérite—ce qui se dit chez lui, il croit l'avoir dit; les ouvrages qu'on y lit, et sur lesquels on le consulte, il croit les avoir faits: dupe de son amour propre et des flagorneries, de ceux qui, entre eux, l'apprécient à sa juste valeur, il est malheureux sans oser en approfondir la cause; c'est une victime dévouée, qui, semblable aux vieilles religieuses, pense alléger le poids de ses chaînes en faisant de nouvelles conquêtes à l'ordre. C'est une preuve vivante pour quiconque a lu dans son ame, qu'un sot peut quelquefois être célèbre, et que sottise et célébrité forment le plus cruel supplice auquel les hommes d'esprit puissent condamner les dupes dont ils ont besoin.

      «La situation de madame de Sponasi a beaucoup de rapports avec celle de M. de Parvis; car elle ne crie bien fort contre Dieu que par la peur qu'elle a du diable. Cependant elle conserve avec ceux qui l'ont séduite, ce ton de supériorité qui convient à son nom et au rôle brillant qu'elle a joué dans le monde: c'est un enfant de la philosophie, il est vrai; mais c'est un enfant gâté, dont la mère est obligée de supporter les caprices, dans la crainte d'une rupture dont l'éclat lui seroit désagréable. Personne n'a d'empire sur ses volontés, excepté.... Devinez.—M. de Vignoral? lui dis-je.—Oh! non, c'est elle qui a commencé sa réputation; elle lui commande quelquefois, et ne lui cède jamais.—Qui donc la gouverne?—Moi, me répondit Philippe; moi, qui connois mieux qu'elle le fond de son caractère. Elle ne s'intéresse à vous que dans l'espoir que vous vous distinguerez dans le monde par votre esprit; applaudissez au sien, et vous pourrez vous dispenser d'en avoir. Elle vous répétera sans cesse que tout le mérite d'un homme est dans ses connoissances; mais si votre figure lui plaît, si votre tournure lui rappelle le temps où la foule s'atteloit à son char, la première impression décidera l'amitié qu'elle prendra pour vous. Entre ses idées et ses sensations, le contraste est frappant: elle dit d'un homme laid et spirituel, qu'il l'amuse, et elle bâille; elle dit d'un bel homme ignorant, qu'il l'ennuie, et elle sourit. C'est une coquette dont l'imagination rêve sagesse, et dont le cœur tient toujours à ses vieilles habitudes. Choisissez, ou de lui plaire assez au premier abord pour qu'elle prenne votre parti contre M. de Vignoral, ou de plaire en même temps à lui et à elle, de manière que les louanges qu'il vous donnera justifient la première opinion qu'elle prendra de vous.»

      «Mon parti est pris, Philippe: plaire à l'un et à l'autre ne me paroît pas impossible. M. de Vignoral est en colère contre moi, je le sais; mais je ferai tout mon possible pour l'appaiser, et dorénavant je travaillerai de manière à m'éviter ses reproches.»

      Je contai à Philippe la cause du mécontentement du grand homme, et comment je croyois faire ma paix; il m'indiqua un moyen plus sûr. Lorsque je rentrai, il étoit trop tard pour songer au fameux manuscrit; mais, suivant l'usage, je lui promis mes soins pour le lendemain.

      M. de Vignoral me fit appeler si matin, que j'étois encore au lit quand on vint me dire qu'il me demandoit. Je me levai à la hâte, et je descendis.

      «Avez-vous travaillé?—Non, monsieur.—Avez-vous seulement ouvert vos livres?—Non, monsieur.—Qu'avez-vous donc fait depuis votre arrivée?—Je n'ose vous le dire, de crainte de vous déplaire.—Parlez, parlez; je n'ai pas de temps à perdre. Qu'avez-vous fait?—Monsieur, je crains...—Parlez, vous dis-je, ou montez dans votre chambre, et rapportez-moi mon manuscrit. Je ne sais quelle sotte complaisance m'a engagé à le confier à un... Parlerez-vous, monsieur? me direz-vous comment vous avez employé votre temps?—Monsieur, avant de copier, j'ai voulu essayer de lire votre écriture.—Et vous n'avez pu y réussir? Je m'en étois douté.—Pardonnez-moi, monsieur.—Eh bien! monsieur?—Eh bien! monsieur, en lisant la première page, j'ai été entraîné à la seconde, de la seconde à la troisième, et ainsi de suite, jusqu'à ce que l'heure du dîner m'appelât.—Après, Frédéric.—Après dîner, monsieur, je n'ai pu résister au désir de continuer: le lendemain de même. Je suis bien avancé dans ma lecture: mais j'avoue que j'ai eu tort; mon devoir étoit de copier, puisque vous l'aviez ordonné ainsi.—Certainement; mais j'aurois dû le prévoir, car vous annoncez de l'intelligence, et je conçois facilement le sentiment qui vous a maîtrisé. Il faut être indulgent pour la jeunesse: à votre âge, j'en aurois fait autant. Asseyez-vous donc, continua-t-il en souriant; nous n'avons pas encore causé ensemble». Je poussai un siége près du sien, en répétant tout bas: Philippe, Philippe, je te devrai l'amitié de tout le monde.

      «C'est un ouvrage bien sérieux cependant, reprit M. de Vignoral; et puisqu'il vous a intéressé à ce point, il faut que vous ayez naturellement l'esprit juste. Avez-vous tout compris également?—Non, monsieur; plusieurs passages m'ont paru au-dessus de mon intelligence.—Je le crois.—Mais je me suis dit: En les copiant, j'aurai plus de temps pour les approfondir. Je lisois si vite!—Mauvaise manière, monsieur. Qu'on dévore un roman, qu'on soit pressé d'arriver au dénouement, rien de plus naturel; mais quand on tient une de ces conceptions profondes, destinées à développer les progrès de l'entendement humain, il faut s'appesantir sur chaque phrase. Ce n'est pas assez de lire, il faut comprendre, et voilà la difficulté.—Oui, monsieur.—Avez-vous déjà été chez votre protectrice?—Pas encore; mais j'ai vu Philippe.—Qu'est-ce que c'est que Philippe?—C'est le valet-de-chambre de madame de...—Ah! oui, un fat qui singe le grand seigneur; je ne sais comment elle peut garder si long-temps un homme pareil à son service. Que vous a-t-il dit?—Des choses, monsieur, qui me font de la peine. Madame de Sponasi veut que je vous sois soumis; rien ne me sera plus facile: mais elle exige aussi que je me livre à tous les talens agréables dont tous ayez blâmé l'usage.—Que voulez-vous, mon cher Frédéric? Puisque vous dépendez d'elle, il faut la satisfaire. La femme la plus philosophe est toujours femme, vous en ferez bientôt l'expérience: et quel empire la frivolité n'a telle pas sur ce sexe léger! Les talens seraient dangereux pour tous s'ils devenoient votre seule occupation; mais avec le genre d'esprit que vous annoncez, je suis sûr qu'ils ne vous séduiront jamais. Allez, mon ami, allez travailler.»

      Je remontai les escaliers quatre à quatre; j'entrai dans ma chambre en sautant; j'y trouvai... Qui, mon cher lecteur? M. Léger, le maître de danse. Je le pris par les mains, et je lui rendis bien gaiement la première leçon que j'en avois reçue. Si je ne lui fis pas faire des pirouettes sévères et des contre-temps d'une exécution finie, je lui communiquai du moins la joie qui m'agitoit.

      «Comment diable, monsieur! vous êtes leste comme un daim, et vous avez dans les jarrets une souplesse qui me prouve que vous vous êtes exercé.—J'ai fait plus, monsieur Léger; j'ai été à l'Opéra.—Vous avez donc maintenant une idée de cet art étonnant dont je vous démontrerai les véritables principes? Quand vous les connoîtrez, vous serez surpris de trouver un langage parfaitement intelligible, dans des danses où le vulgaire ne voit que des hommes qui sautent». Si M. Léger avoit raison, cessons d'être surpris de ce que les fameux danseurs dont parle l'histoire romaine ont fait passer leur bêtise en proverbe: quand on a tant d'idées dans les jambes, on peut négliger d'en meubler sa tête. C'est la faute du vulgaire qui ne les entend pas.

       Table des matières

       Table des matières

      Le jour de ma présentation chez madame de Sponasi arriva; j'aurois voulu le retarder, tant je craignois de ne pas réussir auprès d'elle. Je n'avois jamais mieux senti combien il me manquoit de qualités séduisantes, que du moment ou j'avois travaillé à en acquérir. Philippe vint me chercher; il me rassura par ses exhortations, plus encore par les complimens qu'il me fit. Nous montâmes en voiture; nous arrivâmes à l'hôtel. J'avois beau me faire intérieurement les raisonnemens les plus sages, mes sensations me trahissoient. Enfin nous entrâmes dans le cabinet de ma protectrice. Je la saluai. Elle dit à Philippe de se retirer; mais Philippe, qui