Les Rois Frères de Napoléon Ier. Albert Du Casse

Читать онлайн.
Название Les Rois Frères de Napoléon Ier
Автор произведения Albert Du Casse
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066082673



Скачать книгу

il lui demandait le gouvernement de Gênes ou du Piémont. Napoléon refusa. Quelques jours après, le prince de Talleyrand, ministre des relations extérieures, vint lire, à Saint-Cloud, à Louis et à Hortense, le traité avec la Hollande et la constitution de ce pays. Le prince eut beau dire qu'il ne pouvait juger sur une simple lecture un projet de cette importance, qu'étranger aux discussions et au travail qui avaient eu lieu, il ignorait si on ne lui faisait pas promettre plus qu'il ne lui serait possible de tenir, il fallut accepter. Louis avait été nommé grand-connétable de France, l'empereur décida que cette dignité lui serait conservée. Louis voulut tirer prétexte de sa santé, du climat de la Hollande, Napoléon répondit qu'il valait mieux mourir sur un trône que vivre prince français. Il n'y avait plus qu'à obéir, c'est ce qu'il fit en assurant qu'il se dévouerait à son nouveau pays avec zèle et qu'il chercherait à justifier, dans l'esprit de la nation, la bonne opinion que l'empereur avait sans doute donnée de lui. Le 5 juin avait été fixé pour la proclamation du nouveau roi. Après un discours de l'amiral Verhuell et une réplique de Napoléon, ce dernier, s'adressant à son frère, lui dit: «Vous, prince, régnez sur ces peuples.... Qu'ils vous doivent des rois qui protègent ses libertés, ses lois, sa religion; mais ne cessez jamais d'être Français. La dignité de connétable de l'empire sera conservée par vous et vos descendants; elle vous retracera les devoirs que vous avez à remplir envers moi, et l'importance que j'attache à la garde des places fortes qui garnissent le nord de mes états et que je vous confie.» Louis répliqua, et dans son discours on put remarquer cette phrase: «Je faisais consister mon bonheur à admirer de plus près toutes les qualités qui vous rendent si cher à ceux qui, comme moi, ont été si souvent témoins de la puissance et du génie de Votre Majesté. Elle permettra donc que j'éprouve des regrets en m'éloignant d'elle, mais ma vie et ma volonté lui appartiennent. J'irai régner en Hollande, puisque ces peuples le désirent et que Votre Majesté l'ordonne.» Dans son message au sénat, à propos du royaume de Hollande, Napoléon termine en disant: «Le prince Louis, n'étant animé d'aucune ambition personnelle, nous a donné une preuve de l'amour qu'il a pour nous, et de son estime pour les peuples de la Hollande, en acceptant un trône qui lui impose de si grandes obligations.»

      On voit par ce qui précède que le nouveau souverain avait fait pour refuser la couronne tout ce qu'il était humainement possible; que loin de désirer la haute position qui lui était offerte, il la redoutait; qu'en un mot, il sacrifiait à la politique de son frère sa liberté, son indépendance, ce qui lui restait de bonheur sur la terre. Toutefois, dès qu'il eut accepté, son intention bien arrêtée fut de se consacrer entièrement à sa nouvelle patrie, et de régner pour la Hollande seule; de là vinrent les tiraillements, puis bientôt après les discussions et enfin les rapports quasi-hostiles qui ne tardèrent pas à s'établir entre les deux frères, entre les deux souverains, et qui aboutirent finalement à l'abdication de Louis et à la réunion de la Hollande à la France.

      En plaçant sur la tête de Louis la couronne de Hollande, Napoléon entendait faire de lui un roi-préfet; en acceptant cette couronne, Louis voulait être un roi-souverain. La politique de l'empereur jeta toujours du froid entre lui et ceux des membres de sa famille qu'il mit sur les trônes. Cela ne pouvait être autrement. Selon qu'on se place à un point de vue différent, on voit les mêmes choses sous un aspect qui n'est pas le même. Napoléon partait de ce principe, que tout souverain par sa grâce à lui, l'empereur des Français, devenait par le fait même, non seulement son obligé comme homme, comme roi, mais encore qu'il devait contraindre les peuples dont il lui donnait le gouvernement à tout sacrifier à la politique française, même les intérêts les plus chers. C'était partir d'un principe injuste et inapplicable dans la pratique. En supposant qu'un roi sur le trône consente à n'être qu'un préfet couronné, ses peuples n'ayant pas les mêmes motifs pour suivre le sillon tracé par un état voisin, pourront vouloir s'en écarter. De là doit résulter forcément des levains de discorde, soit entre le souverain protecteur et le souverain protégé, soit entre le souverain protégé et les sujets. Voilà pourquoi, à partir du jour où il se mit à fabriquer des rois de famille, Napoléon fut toujours en discussion avec les siens. Un seul des princes qu'il éleva près de lui suivit aveuglément sa politique, le prince Eugène; pourquoi? La raison en est bien simple, c'est qu'Eugène n'était que vice-roi et non roi d'Italie. Le jour où il eût gouverné en son nom, Eugène, malgré son affection profonde, son respect sans bornes pour son père adoptif, n'eût probablement pas consenti à tout ce que voulait l'empereur. Eugène, en restant vice-roi d'un état dont la couronne était sur la tête de Napoléon, remplissait son devoir, sans éprouver aucune répugnance à agir comme il le faisait. Murat à Naples, Joseph en Espagne, Louis en Hollande, Jérôme en Westphalie, n'étaient pas dans la même position. Rois-préfets, ils perdaient leur prestige aux yeux de leurs sujets; rois-souverains, prenant les intérêts de leurs peuples, ils contrariaient souvent les vues de celui qui les avait mis sur le trône, ils excitaient son ressentiment, se faisaient accuser par lui d'ingratitude; puis, comme malgré son affection pour les siens Napoléon n'était pas homme à abandonner, pour quelque considération que ce pût être, ses gigantesques projets, il cherchait bientôt à briser ceux qu'il avait élevés. De là ces lettres acerbes entre lui et ses frères, ces reproches continuels, ces refus de sa part d'accéder à leurs demandes, quelquefois fort justes, et de remplir même les engagements qu'il avait contractés à leur égard. Joseph, en Espagne, avait beau être roi par la grâce de son frère, pouvait-il abandonner les intérêts de l'État dont on lui confiait les rênes, jusqu'à accueillir, comme le voulait l'empereur, la ruine financière d'abord, le démembrement de ses États ensuite? Louis, roi malgré lui de la Hollande, pouvait-il voir sans chagrin le dépérissement du pays dont il avait juré de maintenir les droits, parce qu'il entrait dans le système de la France de sacrifier tous les intérêts commerciaux pour réduire l'Angleterre?

      Avec son accession au trône de Hollande, se termine la première partie de l'existence de Louis Bonaparte, période heureuse si on la compare à celles qui la suivirent.

       Juin 1806-1808.

       Table des matières

      Le roi et la reine quittèrent Paris dans les premiers jours de juin 1806, et arrivèrent dans leurs États le 18. Ils descendirent d'abord à la maison royale, dite du Bois, à une lieue de La Haye, où ils reçurent les députations et les accueillirent avec la plus extrême affabilité. Le 23 juin eut lieu l'entrée solennelle des deux souverains à La Haye. Le roi crut devoir ne s'environner que de troupes nationales; il congédia, après l'avoir très bien traité, un corps français mis à sa disposition par l'empereur. Ce dernier en fut choqué, mais les Hollandais surent beaucoup de gré à Louis de sa conduite à cette occasion. Bientôt, malgré tout ce que purent faire le roi et la reine, une certaine jalousie se fit sentir à leur nouvelle cour entre les Français et les Hollandais admis auprès d'eux. La nation, de son côté, tout en reconnaissant la supériorité de l'administration française que l'on commençait à introduire en Hollande, se prit à regretter ses vieilles pratiques. Il y eut des bals, des concerts, des fêtes que la reine Hortense, femme des plus aimables et des plus gracieuses, embellissait par la bienveillance avec laquelle elle recevait indistinctement tout le monde. Le roi, qui ne pouvait pas se dissimuler la division existant déjà entre les Hollandais et les Français, semblait accueillir les premiers plus volontiers que les seconds; les seconds au contraire paraissaient plus agréables à la reine. En montant sur le trône, Louis prit très au sérieux ses nouveaux devoirs envers la Hollande, mais il ne tarda pas à comprendre combien il lui serait difficile de concilier les intérêts de la nation avec ce que l'empereur attendait de lui. Ce fut sans doute parce qu'il était résolu à tout sacrifier à sa nouvelle patrie qu'il avait désiré renoncer au titre de connétable. Napoléon, qui le devina, l'avait contraint, comme on l'a vu, à conserver cette haute dignité militaire. Pour juger les actes du roi Louis, il ne faut pas oublier cette position mixte et fausse dans laquelle il se trouva pendant tout le temps de son règne. On a vu Louis refusant la couronne, on l'a vu l'acceptant malgré lui, on va le voir maintenant désireux d'user d'un pouvoir indépendant, résister à