Название | Jane Austen: Oeuvres Majeures |
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Автор произведения | Джейн ОÑтин |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 9788027302383 |
Le reste de la matinée s’écoula assez tranquillement. Maria était sombre, parlait peu, soupirait beaucoup, mais fut plus calme, et à la grande surprise de sa sœur, elle voulut descendre pour le dîner. Elinor s’y opposait, mais elle le voulut ; elle le supporterait très-bien, dit-elle, et donnerait moins de peine que de la servir en haut. Elinor approuva ce motif, l’habilla en malade aussi bien qu’elle pût, et se tint prête pour la conduire à la salle à manger quand on les appellerait.
Elles descendirent ; Maria appuyée sur sa sœur, pâle, abattue et les yeux bien rouges, se mit à table et plus calme que sa sœur ne l’avait espéré. Si elle avait essayé de parler ou qu’elle eût entendu la moitié de tout ce que madame Jennings disait, son calme ne se serait pas aussi bien soutenu, mais pas un mot n’échappa de ses lèvres, et la concentration de ses pensées l’empêcha de faire attention à ce qui se passait autour d’elle. La bonne madame Jennings ne pensait pas que ses attentions poussées jusqu’au ridicule, la tourmentaient plutôt que de lui faire du bien : Elinor qui rendait justice à ses bonnes intentions, lui en témoignait sa reconnaissance et faisait son possible pour qu’elle laissât Maria tranquille, mais elle ne pouvait pas lui persuader que les peines de l’âme ne doivent pas être traitées comme une migraine ou des maux purement physiques. Madame Jennings voyait Maria malheureuse, et la traitait avec l’indulgente tendresse d’une mère pour un enfant malade. Maria devait avoir la meilleure place vers le feu, le meilleur mets, le meilleur vin, le meilleur fauteuil ; elle cherchait tout ce qu’elle pouvait imaginer pour l’amuser, ou la tenter de manger en lui présentant une variété d’entremets, de dessert, de confitures de toute espèce. Si Elinor n’avait pas vu par la contenance de sa sœur que toute plaisanterie lui serait insupportable, elle n’aurait pu s’empêcher de rire avec elle des recettes de la bonne dame contre un chagrin d’amour. À la fin cependant elle fut si pressante et lui répéta si souvent que tout ce qu’elle lui présentait lui ferait sûrement du bien, que Maria ne pouvant ni l’accepter, ni s’en défendre, prit le parti de retourner dans sa chambre ; elle se leva avec une expression douloureuse, et fit signe à sa sœur de ne pas la suivre.
— Pauvre enfant ! s’écria madame Jennings aussitôt qu’elle fut loin, combien je suis peinée de la voir ainsi ! Voyez, elle s’est en allée sans finir ses cerises à l’eau-de-vie ; rien ne l’aurait mieux fortifiée ; mais plus rien ne lui fait plaisir. Si je pouvais découvrir quelque chose qu’elle aimât, j’irai le lui chercher au bout de la ville. N’est-ce pas odieux qu’un homme abandonne ainsi une si jolie personne ! Mais voilà ce que c’est ; quand il y a tant d’argent d’un côté et presque point de l’autre, la balance l’emporte.
— Cette dame donc, dit Elinor, cette miss Grey (n’est-ce pas ainsi que vous l’appelez), vous dites qu’elle est très-riche !
Cinquante mille pièces, ma chère ; on est toujours belle avec une telle dot. L’avez-vous vue à l’assemblée ? elle est élégante, bien faite, mais point jolie. J’ai connu son oncle dont elle a hérité ; toute cette famille est riche à millions, et cela tente un jeune homme qui aime la dépense, et les chiens, et les chevaux, et les caricles, et les équipages de toute espèce, et la bonne table. Je veux bien cela, mais il ne faut pas tourner la tête à une pauvre jeune fille qui n’a rien, lui faire espérer le mariage, et puis la planter là quand il en trouve une qui veut payer sa belle figure et toutes ses fantaisies.
— Savez-vous, madame, si miss Grey est aimable ?
— Je n’ai jamais entendu faire d’elle d’autre éloge que d’être riche et élégante ; elle a toujours les premières modes ; seulement madame Taylor m’a dit aujourd’hui que monsieur et madame Elison ne seraient pas fâchés du tout qu’elle se mariât, parce qu’ils n’allaient point ensemble.
— Et qui sont ces Elison ?
— Son tuteur, ma chère, chez qui elle vit ; mais dès qu’elle a pu choisir, elle a préfère le beau Willoughby. Le joli choix qu’elle a fait là ! elle le payera sur ma parole.
— Elle s’arrêta un moment. « Elle est allée dans sa chambre la pauvre petite je suppose ; il faut retourner auprès d’elle, ce serait cruel de la laisser seule, la pauvre enfant ! J’ai quelques amis ce soir, il faut qu’elle vienne ; on jouera à tout ce qu’elle voudra ; elle n’aime pas le wisk, c’est trop sérieux, je comprends cela ; nous ferons un vingt et un, un trente et quarante, une macédoine, enfin tout ce qui pourra l’amuser. Chère dame, dit Elinor, votre bonté est tout-à-fait inutile ; ma sœur n’est pas en état de quitter sa chambre ce soir. Je vais lui persuader de se mettre au lit de bonne heure ; un parfait repos est ce qui convient le mieux à ses nerfs.
— Oui, oui, je crois que c’est le mieux ; il faut qu’elle ordonne elle-même son souper, et qu’elle dorme. C’est donc cela qui la rendait si triste ces dernières semaines ? Je suppose qu’elle s’en doutait la pauvre enfant, quand elle ne voyait point venir son amoureux ; moi je n’y comprenais rien, et lorsqu’il ne vint pas au bal chez ma fille, j’aurais bien pu alors me douter de quelque chose. Mais ce sont des querelles d’amans, pensai-je en moi-même ; ils se raccommoderont et ne s’en aimeront que mieux. C’est donc cette lettre qu’elle a reçue ce matin qui a tout fini ? Pauvre petite ! Si j’avais pu deviner ce que c’était, je me serais bien gardée de la railler, mais qui pouvait penser une telle chose ? Ah ! combien sir Georges et Mary vont être étonnés quand ils l’apprendront ! Je suis fâchée de n’être pas allée chez eux en revenant pour le leur dire, mais j’irai demain sûrement.
— Il est inutile j’en suis sûre, chère dame, de vous recommander de prier vos filles et vos gendres de ne pas nommer M. Willoughby devant ma sœur, de ne pas faire la moindre allusion à ce qui s’est passé