Jane Austen: Oeuvres Majeures. Джейн Остин

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Название Jane Austen: Oeuvres Majeures
Автор произведения Джейн Остин
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 9788027302383



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et Willoughby, et il lui paraissait tout aussi positif que ce dernier avait changé, et voulait rompre. Sa conduite ne pouvait avoir pour excuse aucune erreur, aucun malentendu, puisqu’il avouait avoir reçu ses lettres. Rien autre chose qu’un changement total dans ses sentimens ou dans ses intentions ne pouvait l’expliquer. L’indignation d’Elinor contre lui aurait été à son comble, si elle n’avait pas été témoin de son extrême embarras, de sa rougeur, de sa pâleur : ce qui prouvait au moins qu’il reconnaissait ses torts, et empêchait qu’on le crût un homme sans principes de morale et d’humanité, qui aurait cherché à gagner l’affection d’une pauvre jeune fille, sans amour et sans une intention honorable. Bonne Elinor ! elle ignorait encore combien un tel caractère est commun dans le grand monde ! combien d’hommes vraiment cruels se font un jeu d’inspirer un sentiment qu’ils ne partagent pas, de blesser à mort un cœur innocent et sensible, et d’assimiler ainsi, dans leurs plaisirs criminels, l’imprudente jeune fille qui les écoute, au gibier qu’ils poursuivent, et qu’ils blessent ou tuent sans remords. Elinor n’avait pas cette idée de Willoughby ; elle se rappelait cet air de franchise et de bonté qui dès le premier moment les avait toutes captivées ; elle voyait encore ses regards pleins d’amour sur Maria, et ses paroles si tendres, si pleines d’un sentiment honnête, vrai, délicat, lorsqu’il conjurait madame Dashwood de ne rien changer à la Chaumière. Non, non, Willoughby, ne peut les avoir trompées ; il aimait passionnément Maria ; elle n’a là-dessus aucun doute. Mais l’absence peut avoir affaibli cet amour ; un autre objet peut l’avoir entraîné. Peut-être aussi est-il forcé d’agir comme il le fait par quelque circonstance impérieuse. Il lui en coûte au moins beaucoup ; elle l’a vu dans chacun de ses traits ; et l’excellente Elinor dans son désir de le trouver moins coupable, lui savait presque gré d’avoir le courage d’éviter sa sœur s’il ne l’aimait plus, et de ne pas chercher à entretenir un sentiment inutile. Mais pour le moment Maria n’en était pas moins très-malheureuse ! Elinor ne pouvait penser sans le plus profond chagrin à l’effet que cette rencontre si désirée et si cruelle devait avoir sur un caractère aussi peu modéré et qui s’abandonnait avec tant de violence à toutes les impressions. Sa propre situation gagnait à présent dans la comparaison ; elle était aussi séparée pour toujours d’Edward, mais elle pouvait encore l’estimer entièrement, elle pouvait au moins se croire encore aimée tendrement comme une amie. Puisqu’un autre titre lui était interdit, celui-là et l’idée de pouvoir encore être quelque chose pour lui, consolaient un peu son cœur ; mais toutes les circonstances agravaient le sort de Maria, et plus que tout encore son caractère. Une immédiate et complète rupture avec Willoughy devait avoir lieu, et comment la soutiendrait-elle ?

      Lorsqu’elle rentra dans leur appartement, Maria était assoupie ou feignait de l’être. Elinor se jeta toute habillée sur son lit, laissant la porte de communication ouverte pour voler à son secours au moindre bruit. La nuit fut passablement tranquille. Elinor lasse de réfléchir s’était endormie, lorsqu’elle fut réveillée par des sanglots. Le jour d’une sombre matinée de janvier commençait à poindre ; elle se leva promptement et passa dans la chambre de Maria ; elle la trouva levée aussi, à moitié habillée, à genoux, dans l’embrâsure de la fenêtre pour avoir plus de clarté, et devant un siége sur lequel elle écrivait, aussi vîte qu’un déluge de larmes qui coulaient sur son papier pouvait le lui permettre. Elinor la considéra quelque temps en silence avec le cœur déchiré ; puis elle lui dit avec l’accent le plus tendre : Chère Maria, combien je m’afflige de vous voir dans cet état. Le temps du mystère est passé, ne voulez-vous pas me confier…

      — Non, non, Elinor, répondit-elle, ne demandez rien en ce moment : bientôt vous saurez tout. Elle continua d’écrire et de pleurer avec une telle violence, qu’elle était souvent obligée de poser sa plume pour se livrer à l’excès de son chagrin. Elinor s’était assise à quelque distance, et si sa douleur était plus concentrée, elle n’en était pas moins vive. Ces mots : Bientôt vous saurez tout, la glaçaient de terreur. Grand Dieu que lui restait-il encore à apprendre ! Cependant ses craintes étaient vagues, obscures, incertaines, ne portaient pas sur la conduite de Maria ; Elinor avait elle-même l’âme trop pure pour concevoir une pareille idée ; elle connaissait d’ailleurs trop bien la noblesse du caractère de Maria, ses sentimens élevés, son enthousiasme de la vertu pour imaginer même un instant qu’elle eût pu les oublier.

      Lorsque Maria eût fini sa lettre, elle sonna pour que la fille de la maison vînt allumer le feu. Pendant ce temps-là elle acheva de s’habiller, cacheta sa lettre et la lui remit pour l’envoyer à l’instant à son adresse, puis vint s’asseoir sur le sopha à côté d’Elinor, et la tête enfoncée sur un des coussins, recommença à s’abandonner à son désespoir. Elinor fit tout ce qui dépendait d’elle pour la tranquilliser, la calmer, ne se permit aucune question, et lui dit seulement qu’elle ne désirait de savoir le détail de ses peines que pour les adoucir. Mais lorsque Maria pouvait parler, c’était pour la conjurer de ne lui rien demander encore, et véritablement ses nerfs étaient dans un tel état d’irritabilité, qu’elle n’aurait pas pu avoir une conversation suivie. Je vous fais un mal affreux, chère Elinor, lui dit-elle ; il vaut mieux nous séparer jusqu’à ce qu’il me soit possible… Ma tête… mes yeux, j’ai besoin d’un peu d’air. Elle ouvrit la fenêtre, y resta quelque temps, sortit de la chambre, rentra, ressortit encore ; elle était dans une agitation qui ne lui permettait pas de rester en place, mais ce mouvement parut la calmer assez pour pouvoir descendre avec Elinor, lorsqu’on vint les avertir pour le déjeûner.

      CHAPITRE XXIX.

       Table des matières

      Elle descendit donc appuyée sur le bras de sa sœur, s’assit à la table du déjeûner, mais n’essaya pas même de boire ni de manger la moindre chose ; toute l’attention d’Elinor était employée, non à la plaindre ou à la presser, mais à détourner entièrement sur elle-même celle de madame Jennings. Comme le déjeûner était le repas favori de la maîtresse de la maison, il durait long-temps ; quand il fut fini elles s’assirent autour d’une table d’ouvrage. Elinor montrait le sien à madame Jennings et lui expliquait quelque chose ; Maria travaillait pour avoir un prétexte de baisser les yeux et de se taire, lorsque le domestique entra et lui remit une lettre. Elle s’en saisit vivement, regarda l’adresse, devint pâle comme la mort, et se hâta de sortir de la chambre. Elinor comprit de qui elle était, comme si elle avait vu la signature, et fut si émue qu’elle craignit de ne pouvoir le cacher à madame Jennings. La bonne dame vit seulement que Maria avait reçu une lettre de Willoughby, et l’en plaisanta, mais comme elle était très-occupée à mesurer des aiguillées de laine pour le morceau de tapisserie qu’elle brodait, elle ne s’aperçut pas du trouble d’Elinor. Aussitôt que Maria fut sortie, elle dit en riant : En vérité, chère Elinor, je n’ai encore vu de ma vie une tête de jeune fille aussi complètement tournée que celle de Maria ; la pauvre enfant se meurt d’amour ! Si elle n’en devient pas folle tout-à-fait, elle sera bien heureuse. J’espère qu’on ne la fera pas attendre trop long-temps, car il est vraiment triste de la voir ainsi rêveuse, mélancolique, et ayant l’air si abattu. Dites-moi, je vous en prie, quand le mariage aura lieu, et pourquoi Willoughby ne vient pas ici tous les jours pour l’égayer ? A-t-il peur de moi ? Il a tort, j’aime beaucoup les jeunes gens bien amoureux, quand le mariage doit suivre, et il serait le bien venu.

      Jamais Elinor n’avait été moins en train de causer que dans ce moment, mais la question était trop directe pour n’y pas répondre ; elle essaya donc de sourire. Avez-vous donc réellement, madame, lui dit-elle, une sérieuse persuasion que ma sœur est engagée avec M. Willoughby ? J’ai toujours cru que vous plaisantiez, mais une question si positive n’est plus, un badinage, et il faut aussi que j’y réponde sérieusement, et que je vous assure que rien au monde ne me surprendrait plus que ce mariage, et qu’il n’en est pas question.

      — Fi donc ! Miss Dashwood, dit toujours en riant madame Jennings, comment pouvez-vous parler ainsi ! Est-ce que nous n’avons pas tous vus que leur mariage était arrêté ? N’avons-nous pas