Название | Jane Austen: Oeuvres Majeures |
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Автор произведения | Джейн ОÑтин |
Жанр | Языкознание |
Серия | |
Издательство | Языкознание |
Год выпуска | 0 |
isbn | 9788027302383 |
Lorsque Maria vit que sa sœur avait fini sa lecture et réfléchissait en silence, elle lui fit observer que ses lettres ne contenaient rien que toute autre qu’elle n’eût écrit dans la même situation : je me regardais, dit-elle, comme étant aussi solennellement engagée avec lui, que si un contrat légal nous eût liés. Cette sympathie qui nous avait entraînés l’un vers l’autre au premier instant, ce rapport de nos goûts, de nos caractères : tout enfin me paraissait la voix du ciel qui nous avait destinés l’un à l’autre.
— Malheureusement, dit Elinor, il ne voyait ni ne sentait de même.
— Oui, Elinor, pendant tout le temps qu’il a passé près de nous il voyait, il sentait comme moi j’en suis aussi sûre que de mon propre cœur. Sans doute le sien a changé, mais ce n’est pas sa faute ; l’art le plus diabolique a été employé pour le détacher de moi. Quand il me quitta je lui étais aussi chère que mon cœur pouvait le désirer, et qu’il m’était cher à moi-même ! Cette boucle de cheveux qu’il m’a renvoyée si vîte à ma première demande, par combien d’instances réitérées ne l’avait-il pas obtenue ? Si vous aviez vu son regard, si vous aviez entendu le son de sa voix lorsqu’il me suppliait de la lui laisser couper ; et la dernière soirée de la Chaumière, l’avez-vous oubliée, Elinor ? et le matin quand il vint prendre congé de moi, son désespoir, ses larmes ! Les hommes peuvent-ils pleurer à volonté ? Les larmes, cette espèce de soulagement que la nature accorde aux femmes, ne sont-elles pas chez eux la preuve d’un cœur vraiment touché ? Oh ! si vous aviez vu son affliction à la seule pensée de se séparer de moi pour quelques semaines ! Non jamais, jamais je ne puis l’oublier !
Elle fut quelques instans sans pouvoir parler ; mais quand son émotion fut un peu calmée, elle ajouta avec fermeté : Elinor, on m’a traitée cruellement ; mais ce n’est pas Willoughby.
— Chère Maria, quel autre que lui faut-il en accuser ? Par qui peut-il avoir été influencé ?
— Par tout le monde, plutôt que par son propre cœur. Je croirais plutôt que tous ceux que je connais se sont ligués contre moi, que de le croire coupable d’une telle cruauté. Cette femme de qui il parle peut être… ou tout autre, je n’excepte que vous, maman, Emma et Edward, tous, tous les autres peuvent m’avoir calomniée. Excepté vous quatre, il n’existe personne que je ne puisse soupçonner, plutôt que Willoughby dont le cœur m’est si bien connu, On s’est vengé sans doute de ce que je préférais la société de l’homme du monde le plus aimable, à la sottise, à l’insipidité, au manque total de goût et d’esprit. Je me suis fait des ennemis par la franchise de mon caractère qui ne peut se plier ni à dissimuler, ni à flatter.
Elinor ne voulut pas dans ce moment disputer avec elle ; elle lui dit seulement : Chère Maria, si vous croyez avoir des ennemis assez méchans, assez détestables pour vous nuire par des calomnies, laissez leurs torts retomber sur eux-mêmes, et que le sentiment de votre innocence et de vos bonnes intentions relève votre âme ; ne leur donnez pas l’indigne triomphe de vous avoir rendue aussi malheureuse. C’est un louable et raisonnable orgueil que celui qui nous donne le sentiment de notre propre dignité et qui nous élève au-dessus de la méchanceté et de la malveillance.
— Non, non, s’écria Maria, un malheur tel que le mien ne laisse aucun orgueil ; il m’est égal que tout le monde sache combien je souffre. Que m’importe leur triomphe ? il ne peut rien ajouter à ma misère. Elinor, Elinor, il est bien faible le chagrin qui peut s’adoucir par la fierté, qui peut s’élever au-dessus de l’insulte et de la mortification ; il peut alors s’effacer entièrement, tandis que le mien ne s’effacera jamais ; je ne puis le surmonter. On peut jouir du mal qu’on m’a fait tant qu’on voudra, sans l’augmenter ni l’affaiblir. Je n’ai plus aucun sentiment de fierté ; je n’ai, je ne puis avoir que celui de mon malheur.
— Mais pour l’amour de ma mère, pour le mien, Maria, ne pouvez-vous rien sur vous-même ?
— Ah ! pour vous deux je voudrais faire tout ce qui dépendrait de moi ; mais paraître heureuse quand je suis au désespoir, ah ! qui pourrait l’exiger.
Elles restèrent quelque temps en silence. Elinor, se promenait du feu à la fenêtre et de la fenêtre au feu, les bras croisés, les yeux baissés, absorbée dans ses pensées, sans sentir la chaleur du feu et sans rien voir au travers des vitres. Maria assise sur le pied de son lit, sa tête appuyée contre une des colonnes, tenant dans ses mains la lettre de Willoughby, la relisant phrase par phrase, s’écria enfin tout-à-coup : Ah ! c’est trop, c’est trop cruel ! Ah ! Willoughby, Willoughby, est-ce bien vous qui m’écrivez ainsi ? Ne fais-je pas un songe affreux ? Non rien, rien ne peut vous justifier ; non rien, Elinor, quoiqu’on ait pu lui dire contre moi. Ne devait-il pas suspendre son jugement ? Envoie-t-on un criminel au supplice sans l’entendre ? Ne devait-il pas me le dire quand je le lui demandais instamment, et me donner le pouvoir de me justifier. (Elle reprit la lettre.) Cette boucle de cheveux que vous m’aviez donnée avec tant de complaisance. Ah ! cela seul est impardonnable, Willoughby. Est ce votre cœur, est-ce votre conscience qui vous a dicté cette insolente phrase ? Non, Elinor, rien ne peut l’excuser.
— Non, Maria, je le pense aussi.
— Mais cette femme, cette femme, à qui il va dit-il donner son cœur et sa main, cette heureuse femme ! qui sait avec quel art, quelle séduction, elle l’aura enchaîné. Il l’aimait déjà, dit-il, et depuis long-temps. Ah ! sans doute quand elle a vu qu’il allait lui échapper et combien il m’était attaché, elle aura tout fait pour le retenir, pour me bannir de son cœur ; mais qui peut-elle être ? Jamais je ne l’ai entendu parler d’une seule femme jeune, belle, séduisante : L’est-elle, Elinor ? Vous l’avez vue ; moi, je n’ai vu que Willoughby. Est-elle mieux, beaucoup mieux que la pauvre Maria ? Ah ! sans doute puisqu’il m’abandonne pour elle ; mais peut-elle l’aimer comme moi. Ah ! Willoughby, pourquoi ne m’avoir jamais parlé d’elle ? Alors j’aurais respecté ses droits sur vous : mais jamais jamais il ne m’a parlé que de moi-même.
Il y eut une autre pause. Maria était très-agitée ; elle se leva et s’approchant d’Elinor, elle saisit sa main : Chère Elinor, lui dit-elle, je veux retourner à Barton auprès de maman ; ne pouvons-nous partir demain ?
— Demain, Maria !
— Oui demain. Pourquoi resterai-je ici ? J’y suis venue seulement pour Willoughby ; qui ferai-je ? Qui m’intéresse à Londres ? Ah personne, personne ! J’y suis comme dans un désert.
— Il serait je crois impossible de partir demain, dit Elinor ; nous devons à madame Jennings plus que de la politesse ; et la quitter aussi brusquement après les bontés qu’elle a pour vous, ce serait très-malhonnête.
— Eh bien donc ! dans