Le Vingtième Siècle: La Vie Électrique. Albert Robida

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Название Le Vingtième Siècle: La Vie Électrique
Автор произведения Albert Robida
Жанр Языкознание
Серия
Издательство Языкознание
Год выпуска 0
isbn 4064066074876



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le spectacle du coucher du soleil derrière les cimes neigeuses de l'Oberland.

      Estelle ne resta pas longtemps dans l'inquiétude: un aérocab venant d'Interlaken parut tout à coup, et la jeune fille, avec le secours d'une lorgnette, reconnut sa mère penchée à la portière et pressant le mécanicien. Mais aussitôt une sonnerie du Télé fit retourner Estelle, qui jeta un cri de joie en reconnaissant son père sur la plaque.

      M. Lacombe, dans une logette de phare, de l'air d'un homme très pressé, se hâta de parler:

      «Eh bien! fillette, tout s'est bien passé? Rien de cassé par cette diablesse de tournade, hein? Heureux! Je t'embrasse! J'étais inquiet... Où est maman?

      —Maman revient! Elle arrive de Paris...

      —Encore! fit M. Lacombe. A Paris! pendant cette tourmente! Quelle inquiétude, si j'avais su!

      —La voici...

      —Je n'ai pas le temps! Gronde-la pour moi! Je suis resté en panne pendant la tournade au phare 189, à Bellinzona; je serai à la maison vers neuf heures; ne m'attendez pas pour dîner...»

      Drinn! Il avait déjà disparu. Au même moment, Mme Lacombe mettait le pied sur le balcon et payait précipitamment son aérocab. La porte du balcon s'ouvrit et la bonne dame, chargée de paquets, s'écroula dans un fauteuil.

      «Ouf! ma chérie, comme j'ai eu peur! Tu sais que j'ai vu plusieurs accidents...

      —Je viens de communiquer avec papa, répondit Estelle en embrassant sa mère; il est au 189, à Bellinzona; il va bien, pas d'accident... Et toi, maman?

      MONDAINE PAR TÉLÉ.

      —Oh! moi, mon enfant, je suis mourante! Quelle tempête! Quelle affreuse tournade! Tu verras les détails dans le Téléjournal de ce soir... C'est effrayant! Tu sais que, tout bien réfléchi, je n'ai pas changé le chapeau rose... Figure-toi que j'étais à Babel-Magasins quand elle a éclaté, cette tournade; j'y suis restée trois heures, affolée, mon enfant, littéralement affolée!... J'en ai profité pour voir ce qu'ils avaient de nouveau dans les demi-soies à 14 fr. 50... Il est tombé devant Babel-Magasins des débris d'aéronefs, il y a eu tant d'accidents!... Et puis, dans les dentelles pour manchettes ou collerettes, j'ai trouvé quelque chose de délicieux... et de très avantageux!... Oui, mon enfant, j'ai vu, de mes yeux vu, de la plate-forme de Babel-Magasins, un abordage d'aéronefs au milieu des éclairs quand le fluide a passé... Ce fut horrible... Voyons, n'ai-je pas oublié quelque paquet? Non, tout est bien là... Et j'étais inquiète, ma pauvre chérie; je me suis précipitée dans la salle des Télés dès que je l'ai pu, pour te voir et te faire une foule de recommandations, mais les Télés étaient détraqués... Quelle administration! Quelle mécanique ridicule! Et on appelle ça la science! J'arrive, je veux prendre une communication. Drinn! J'aperçois un intérieur de caserne avec un major en train de faire la théorie des pompes à mitraille à ses hommes... Oh! je suis ferrée là-dessus maintenant... et des jurons, mon enfant, des jurons affreux, parce qu'il y avait un des hommes... une espèce de moule...—bon, voilà que je parle comme le major maintenant!—qui ne saisissait pas le mécanisme... Oh! dans les vingt-quatre Télés du magasin, rien que des scènes semblables, des communications qu'on ne pouvait pas couper... Quelle administration!

      EMPLETTES PAR TÉLÉ.

      —Oui, je sais, dit Estelle; on a donné provisoirement, pendant le travail nécessité par les avaries, une communication quelconque à tous les abonnés.

      —Et ici, mon enfant, j'espère que tu n'es pas tombée sur une communication désagréable.

      —Non, maman, au contraire!... C'est-à-dire, fit Estelle en rougissant, que nous avions communication avec un jeune homme très comme il faut...»

      ON RESPIRE LA FRAICHEUR DU SOIR

      —A ces mots, Mme Lacombe sursauta.

      «Un jeune homme, parle, tu m'inquiètes! Mon Dieu! quelle administration ridicule que celle des Télés! Sont-ils inconvenants parfois avec leurs erreurs ou leurs accidents! On voit bien que leurs employées sont de jeunes linottes qui ne songent qu'à bavarder, à médire, à se moquer des abonnés, à rire des petits secrets qu'elles peuvent surprendre!... Un jeune homme!... Oh! je me plaindrai!

      —Attends, maman!... c'était le fils de Philox Lorris!

      —Le fils de Philox Lorris! s'écria Mme Lacombe; tu ne t'es pas sauvée, n'est-ce pas? tu lui as parlé?

      —Oui, maman.

      —J'aurais mieux aimé le grand Philox Lorris lui-même; mais enfin j'espère que tu n'as pas baissé la tête comme une petite sotte, ainsi que tu le fais devant ces messieurs des examens?

      Mme LACOMBE METTAIT LE PIED SUR LE BALCON.

      —J'avais très peur, maman, la tournade m'avait terrifiée... il m'a rassurée...

      —Je suppose que tu as montré pourtant, par quelques mots spirituels, mais techniques, sur la tournade électrique, que tu étais ferrée sur tes sciences, que tu avais tes diplômes...

      —Je ne sais trop ce que j'ai pu dire... mais ce monsieur a été très aimable; il a vu mon insuffisance, au contraire, car il doit m'envoyer des notes, des phonogrammes de conférences de son père.

      —De son père! de l'illustre Philox Lorris! Quelle heureuse chance! Ces Télés ont quelquefois du bon avec leurs erreurs... je le reconnais tout de même... Il t'enverra des phonogrammes, je ferai une petite visite de remerciements, je parlerai de ton père qui croupit dans un poste secondaire aux Phares alpins... J'obtiendrai une recommandation du grand Philox Lorris et ton père aura de l'avancement... Je me charge de tout, embrasse-moi!»

      Drinn! Drinn! C'était le Télé. Dans la plaque apparut encore M. Lacombe.

      «Ta mère est revenue! Ah! bon, te voilà, Aurélie? J'étais inquiet; au revoir, très pressé; ne m'attendez pas pour dîner, je serai ici à neuf heures et demie...»

      Drinn! Drinn! M. Lacombe avait disparu.

      Nous ne savons si l'incident amené par la tournade troubla le sommeil d'Estelle, mais sa mère fit, cette nuit-là, de beaux rêves où MM. Philox Lorris père et fils tenaient une place importante. Mme Lacombe était en train, aussitôt levée, de se faire encore une fois raconter par sa fille les détails de sa conversation de la veille avec le fils du grand Philox Lorris, lorsque l'aéro-galère du tube amenant des touristes d'Interlaken apporta un colis tubal adressé de Paris à Mlle Estelle Lacombe.

      Il contenait une vingtaine de phonogrammes de conférences de Philox et de leçons d'un maître célèbre qui avait été le professeur de Georges Lorris. Le jeune homme avait tenu sa promesse.

      «Je vais prendre le tube de midi pour faire une petite visite à Philox Lorris! s'écria Mme Lacombe joyeuse. C'est mon rêve qui se réalise, j'ai rêvé que j'allais voir le grand inventeur, qu'il me promenait dans son laboratoire en me donnant gracieusement toutes sortes d'explications, et qu'enfin il m'amenait devant sa dernière invention, une machine très compliquée... «Ça, madame, me disait-il, c'est un appareil à élever électriquement les appointements; permettez-moi de vous en faire hommage pour monsieur votre mari...»

      —Toujours ton dada! fit M. Lacombe en riant.

      —Crois-tu qu'il soit agréable de vivre de privations de chapeaux roses comme j'en ai vu un hier à Babel-Magasins?... Je vais l'acheter en passant pour aller chez Philox Lorris!