En ballon! Pendant le siege de Paris. Gaston Tissandier

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Название En ballon! Pendant le siege de Paris
Автор произведения Gaston Tissandier
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066090036



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descente sur les toits si le vent n'est pas trop rapide. Enfin, s'il manque l'entrée, il aura la sortie pour lui, où de nouveaux forts le protégeront. Dans tous les cas, il lui sera possible de lancer par dessus bord des lettres et des dépêches.

      Nous verrons plus tard pourquoi ce projet n'a été réalisé que très-incomplètement, comment il se fait que mon frère et moi soyons les seuls aéronautes assez heureux pour avoir tenté deux fois le voyage. Mais n'anticipons pas sur les événements. Disons toutefois dès à présent que la commission scientifique a apporté ici son concours le plus utile, et que M. Steenackers n'a jamais reculé devant aucun sacrifice pour mener à bonne fin une entreprise dont l'influence morale aurait été considérable.

      Les ballons de Paris, disions-nous, sont excellents pour un voyage, mais leur étoffe est en coton; s'il faut qu'ils restent longtemps gonflés, qu'ils supportent un grand vent, ils se déchireront. N'oublions pas d'ailleurs que nous sommes seulement dans les premiers jours d'octobre et que pas un ballon neuf n'est encore sorti de Paris. Il est décidé qu'on fabriquera à la hâte des ballons de soie. Duruof sera chargé de la construction avec le concours de Mangin et de Louis Godard; on commencera par confectionner un premier type. La commission m'envoie à la hâte à Lyon pour acheter l'étoffe nécessaire.

      5 octobre.--Je m'aperçois que les chemins de fer fonctionnent pendant la guerre d'une façon bien singulière. Je passe deux grands jours et deux grandes nuits dans mon wagon, avant d'arriver dans la patrie de la soie. Les gares sont encombrées partout de troupes, de voyageurs; c'est un désordre épouvantable. Je passe à Orléans, où j'apprends que l'armée de la Loire, qu'on attend à Paris, n'existe que dans le cerveau des bons Français qui voient les événements couleur de rose, mais on me parle beaucoup de l'armée du Rhône. À Lyon, j'aperçois le drapeau rouge sur l'Hôtel-de-Ville, des braillards dans les rues, des caricatures chez les libraires, mais d'armée et de canons, point.

      --Ici, me dit-on, nous n'avons pas de troupes, mais, croyez-moi, monsieur, l'armée de la Loire est vraiment formidable. Je cours chez tous les fabricants de soie de la ville, accompagné d'un membre du conseil municipal, qui me sert de guide de la façon la plus obligeante, sous les auspices du préfet, M. Challemel-Lacour. Je fixe mon choix sur des pièces roses et bleues; ce sont les seules que l'on puisse trouver de suite en quantité suffisante.

      J'en achète, pour le compte de l'État, deux mille huit cents mètres, à quatre francs cinquante, prix très-modéré, que le fabricant appelle avec raison un prix patriotique.

      Bientôt, à Tours, le nouveau théâtre est transformé eu atelier de construction. Je reviens avec mes ballots de soie; Duruof et Mangin ont déjà dressé des tables, fait l'épure pour la construction d'un aérostat de 1200 mètres cubes. On se prépare à couper l'étoffe, on s'efforce de trouver des ouvrières. Quelques jours après, quatre-vingts aiguilles marchent sans cesse, car les côtes sont étroites, et la longueur de la piqûre qu'il s'agit de faire est considérable. Le travail est lancé avec activité, et se terminera dans un délai de quinze jours.

      On n'a pas perdu le temps pendant mon absence; le vendredi 7, une expérience est faite avec un ballon captif de 20 mètres cubes pour connaître à quelle hauteur un ballon est à l'abri des balles de chassepot. Un aérostat captif en papier est monté à 400 mètres de haut. Dix-huit bons tireurs le visent à cette hauteur. On ramène l'aérostat à terre, il est percé de 11 balles. A 500 mètres de haut, pas une balle n'a porté. MM. l'amiral Fourichon et Glois-Bizoin assistaient à l'expérience: ce dernier fit même le coup de feu avec une grande habileté.

      J'utilise mes moments de loisir à publier dans le Moniteur Universel une série d'articles sur Paris assiégé. On a soif de savoir ce qui se passe dans les murs de la capitale, les détails que j'apporte sur la physionomie des bastions, sur les travaux effectués au bois de Boulogne, au Point-du-Jour, les récits que je fais sur la formation des ambulances, sur l'organisation des gardes nationaux, excitent vivement l'attention de tous. Mais bientôt, d'autres ballons viennent après moi apporter des nouvelles plus récentes.

      Les aérostats continuent en effet à attirer l'attention générale. On apprend que Gambetta a confié sa fortune à l'esquif aérien, qu'il est descendu près d'Amiens, après un voyage émouvant, rempli de dangers auxquels il a échappé comme par miracle. En même temps que Gambetta, un deuxième aérostat est parti de la place Saint-Pierre, conduit par M. Revilliod. L'arrivée du ministre de l'intérieur à Tours, le 11 octobre, produit une véritable révolution; on ne doute pas que la face des choses va changer, chacun est persuadé qu'une main énergique va enfin imprimer à la France l'élan du salut et de la délivrance.

      Peu de jours après, les descentes d'aérostats se succèdent. Farcot et Tracelet descendent en Belgique le 12 octobre. Bertoux et Van Roosebeke tombent à Cambrai, et subissent un traînage périlleux. M. Bertoux est grièvement blessé, et Van Roosebeke, roulé dans la nacelle, parvient à sauver les pigeons voyageurs qu'il amène de Paris.

      On ne peut plus douter, non sans une joie indicible, que le service des ballons-poste est définitivement organisé. Cependant je suis profondément surpris de ne pas voir mon frère Albert Tissandier parmi les nouveaux débarqués du ciel.--Il devait partir le lendemain de mon départ et voilà plusieurs ballons qui viennent sans lui; les aéronautes n'ont même pas entendu parler de son départ... Ce silence m'inquiète, car je ne puis croire que mon frère ait renoncé à son projet.

      Dimanche 16 octobre.--Je rencontre rue Royale à Tours un de mes amis.

      --Vous savez la nouvelle? me dit-il.

      --Quoi donc?

      --Votre frère Albert est ici. Nous venons de le voir, il vous attend à déjeuner, je vous cherche depuis ce matin.

      Je trouve mon frère à l'hôtel de l'Univers;--nous nous jetons dans les bras l'un de l'autre. Il me raconte qu'il a manqué deux départs, que son voyage a été retardé, qu'il est parti enfin avec deux voyageurs.

      Voici le récit qu'il a publié lui-même de son ascension; j'en reproduis les passages les plus intéressants.

      VOYAGE DU JEAN-BART.

      «Le 14 octobre, à une heure un quart, le ballon le Jean-Bart s'élevait de Paris dans les airs, conduisant MM. Rane, maire du 9e arrondissement, et Ferrand, chargés d'une mission spéciale du gouvernement. Outre les voyageurs confiés à mes soins, j'emportais avec moi 400 kilogrammes de dépêches, c'est-à-dire cent mille lettres, cent mille souvenirs envoyés de Paris par la voie des airs à cent mille familles anxieuses! Par un soleil ardent et superbe, nous passons les lignes des forts, à 1,000 mètres, nous distinguons nos ennemis qui en toute hâte se mettent en mesure de nous envoyer des balles. Mais nous planons trop loin de la terre, pour que l'artillerie puisse nous faire peur; nous entendons les balles qui bourdonnent comme des mouches au-dessous de notre nacelle, et nous moquant des uhlans, des cuirassiers blancs, et de tous les Prussiens du monde, nous nous laissons mollement bercer par les ailes de la brise jusqu'au-dessus de la forêt d'Armonviliers.»

      «Là un spectacle plein de désolation s'offre à nos yeux. Les maisons, les habitations, les châteaux, sont déserts, abandonnés: nul bruit ne s'élève jusqu'à nous, si ce n'est celui de l'aboiement rauque et sinistre de quelques chiens abandonnés.»

      «Plus loin, au milieu même de la forêt de Jouy, c'est un camp prussien qui s'étend sous notre nacelle; on remarque des travaux de défense habilement organisés pour répondre à toute surprise. Les tentes forment deux lignes parallèles aux extrémités desquelles s'élèvent des remparts de gabions et de fascines. Près de là nous apercevons un immense convoi de munitions qui couvre les routes entières; il est suivi d'une infinité de petites charrettes couvertes de bâches blanches; des uhlans l'accompagnent en grand nombre. A la vue de notre aérostat, ils s'arrêtent, et nous devinons, malgré la distance qui nous éloigne, qu'ils nous jettent un regard de haine et de dépit.»

      «Cependant le soleil échauffe nos toiles, et dilate le gaz qui les gonfle; les rayons ardents nous donnent des ailes, nous bondissons vers les plages aériennes supérieures, et bientôt la terre disparaît à nos