En ballon! Pendant le siege de Paris. Gaston Tissandier

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Название En ballon! Pendant le siege de Paris
Автор произведения Gaston Tissandier
Жанр Документальная литература
Серия
Издательство Документальная литература
Год выпуска 0
isbn 4064066090036



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je le connais de longue date; il a failli me rompre les os, l'année précédente. Je le regarde avec soin, je le touche respectueusement, et je m'aperçois, hélas! qu'il est dans un état déplorable. Il a gelé la nuit; le froid l'a saisi, son étoffe est raide et cassante. Grand Dieu! qu'aperçois-je près de la soupape? des trous où l'on passerait le petit doigt, ils sont entourés de toute une constellation de piqûres. Ceci n'est plus un ballon, c'est une écumoire.

      Cependant les aéronautes qui doivent gonfler mon navire aérien, arrivent. Ils ont avec eux une bonne couturière qui, armée de son aiguille, répare les avaries. Mon frère prend un pot de colle, un pinceau, et applique des bandelettes de papier sur tous les petits trous qui s'offrent à son investigation minutieuse. C'est égal, je ne suis que médiocrement rassuré, je vais partir seul dans ce méchant ballon, usé par l'âge et le service; j'entends le canon qui tonne à nos portes; mon imagination me montre les Prussiens qui m'attendent, les fusils qui se dressent et vomissent sur mon navire aérien une pluie de balles!

      La dernière fois que je suis monté dans le Céleste, je n'ai pu rester en l'air que trente-cinq minutes! Toutes les perspectives qui s'ouvrent à mes yeux ne sont pas très-rassurantes.

      --Ne partez pas, me disent des amis, attendez au moins un bon ballon; c'est folie de s'aventurer ainsi dans un outil de pacotille.

      Cependant, MM. Bechet et Chassinat arrivent de la Poste avec des ballots de lettres. M. Hervé Mangon me dit que le vent est très-favorable, qu'il souffle de l'est et que je vais descendre en Normandie; le colonel Usquin me serre la main et me souhaite bon succès. Puis bientôt M. Ernest Picard, à qui je suis spécialement recommandé, demande à m'entretenir; pendant une heure, il m'informe des recommandations que j'aurai à faire à Tours au nom du gouvernement de Paris; il me remet un petit paquet de lettres importantes que je devrai, dit-il, avaler ou brûler en cas de danger. Sur ces entrefaites, le soleil se lève, et le ballon se gonfle. Ma foi, le sort en est jeté. Pas d'hésitations! Mon frère surveille toujours la réparation du ballon, il bouche les trous avec une attention dont il ne se sentirait pas capable, s'il travaillait pour lui-même: la besogne qu'il exécute si bien, me rassure. Il est certain que je préférerais un bon ballon, tout frais verni et tout neuf, mais je me suis toujours persuadé qu'il y avait un Dieu pour les aéronautes. Je me laisse conduire par ma destinée, les yeux bien ouverts, le coeur et les bras résolus. Je ne puis m'empêcher de penser à mon dernier voyage aérien. C'était le 27 juin 1869, au milieu du Champ de Mars. Je partais avec huit voyageurs dans l'immense ballon le Pôle Nord. Qui aurait pu soupçonner, alors, la nécessité future des ballons-poste!

      A 9 heures, le ballon est gonflé, on attache la nacelle. J'y entasse des sacs de lest et trois ballots de dépêches pesant 80 kilog.

      On m'apporte une cage contenant trois pigeons.

      --Tenez, me dit Van Roosebeke, chargé du service de ces précieux messagers, ayez bien soin de mes oiseaux. A la descente, vous leur donnerez à boire, vous leur servirez quelques grains de blé. Quand ils auront bien mangé, vous en lancerez deux, après avoir attaché à une plume de leur queue la dépêche qui nous annoncera votre heureuse descente. Quant au troisième pigeon, celui ci qui a la tête brune, c'est un vieux malin que je ne donnerais pas pour cinq cents francs. Il a déjà fait de grands voyages. Vous le porterez à Tours. Ayez-en bien soin. Prenez garde qu'il ne se fatigue en chemin de fer.

      Je monte dans la nacelle au moment où le canon gronde avec une violence extrême. J'embrasse mes frères, mes amis. Je pense à nos soldats qui combattent et qui meurent à deux pas de moi. L'idée de la patrie en danger remplit mon âme. On attend là-bas ces ballots de dépêches qui me sont confiés. Le moment est grave et solennel; nul sentiment d'émotion ne saurait plus m'atteindre. Lâchez tout!

      Me voilà flottant au milieu de l'air!

      * * * * *

      Mon ballon s'élève dans l'espace avec une force ascensionnelle très-modérée. Je ne quitte pas de vue l'usine de Vaugirard et le groupe d'amis qui me saluent de la main: je leur réponds de loin en agitant mon chapeau avec enthousiasme, mais bientôt l'horizon s'élargit. Paris immense, solennel, s'étend à mes pieds, les bastions des fortifications l'entourent comme un chapelet; là, près de Vaugirard, j'aperçois la fumée de la canonnade, dont le grondement sourd et puissant, tout à la fois, monte jusqu'à mes oreilles comme un concert lugubre. Les forts d'Issy et de Vanves m'apparaissent comme des forteresses en miniature; bientôt je passe au-dessus de la Seine, en vue de l'île de Billancourt.

      Il est 9 heures 50; je plane à 1,000 mètres de haut; mes yeux ne se détachent pas de la campagne, où j'aperçois un spectacle navrant qui ne s'effacera jamais de mon esprit. Ce ne sont plus ces environs de Paris, riants et animés, ce n'est plus la Seine, dont les bateaux sillonnent l'onde, où les canotiers agitent leurs avirons. C'est un désert, triste, dénudé, horrible. Pas un habitant sur les routes, pas une voiture, pas un convoi de chemin de fer. Tous les ponts détruits offrent l'aspect de ruines abandonnées, pas un canot sur la Seine qui déroule toujours son onde au milieu des campagnes, mais avec tristesse et monotonie. Pas un soldat, pas une sentinelle, rien, rien, l'abandon du cimetière. On se croirait aux abords d'une ville antique, détruite par le temps; il faut forcer son souvenir pour entrevoir par la pensée les deux millions d'hommes emprisonnés près de là dans une vaste muraille!

      LE CÉLESTE

      Il est dix heures; le soleil est ardent et donne des ailes à mon ballon; le gaz contenu dans le Céleste se dilate sous l'action de la chaleur; il sort avec rapidité par l'appendice ouvert au-dessus de ma tête, et m'incommode momentanément par son odeur. J'entends un léger roucoulement au-dessus de moi. Ce sont mes pigeons qui gémissent. Ils ne paraissent nullement rassurés et me regardent avec inquiétude.

      --Pauvres oiseaux, vous êtes mes seuls compagnons; aéronautes improvisés, vous allez défier tous les marins de l'air, car vos ailes vous dirigeront bientôt vers Paris, que vous quittez, et nos ballons sauront-ils y revenir?

      L'aiguille de mon baromètre Breguet tourne assez vite autour de son cadran, elle m'indique que je monte toujours..., puis elle s'arrête au point qui correspond à une altitude de 4,800 mètres au-dessus du niveau de la mer.

      Il fait ici une chaleur vraiment insupportable: le soleil me lance ses rayons en pleine figure et me brûle; je me désaltère d'un peu d'eau. Je retire mon paletot, je m'assieds sur mes sacs de dépêches, et le coude appuyé sur le bord de la nacelle, je contemple en silence l'admirable panorama qui s'étale devant moi.

      Le ciel est d'un bleu indigo; sa limpidité, son ton chaud, coloré, me feraient croire que je suis en Italie; de beaux nuages argentés planent au-dessus des campagnes; quelques-uns d'entre eux sont si loin de moi, qu'ils paraissent mollement se reposer au-dessus des arbres. Pendant quelques instants, je m'abandonne à une douce rêverie, à une muette contemplation, charme merveilleux des voyages aériens: je plane dans un pays enchanté, monde abandonné de tout être vivant, le seul où la guerre n'ait pas encore porté ses maux! Mais la vue de Saint-Cloud que j'aperçois à mes pieds, sur l'autre rive de la Seine, me ramène aux choses d'en bas. Je me reporte vers la réalité, vers l'invasion. Je jette mes regards du côté de Paris, que je n'entrevois plus que sous une mousseline de brume.

      Une profonde tristesse s'empare de moi; j'éprouve la sensation du marin qui quitte le port pour un long voyage. Je pars; mais quand reviendrai-je? Je te quitte, Paris; te retrouverai-je? Comment définir ces pensées qui se heurtent confusément dans mon cerveau? C'est là-bas, au milieu de ce monceau de constructions, de ce labyrinthe de rues et de boulevards, que j'ai vu le jour; c'est sous cette mer de brume que s'est écoulée mon enfance! C'est toi, Paris, qui as su ouvrir mon coeur aux sentiments d'indépendance et de liberté qui m'animent! Te voilà captif aujourd'hui? L'heure de la délivrance sonnera-t-elle pour toi? Je sais bien que la foi, la constance, ne manqueront jamais à tes enfants; mais qui peut compter sans les hasards de la guerre?

      Pendant que mille réflexions naissent et s'agitent ainsi dans mon esprit, le vent me pousse toujours dans la direction de l'Ouest, comme l'atteste ma boussole. Après Saint-Cloud, c'est Versailles